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44 communes de Polynésie ont 50 ans


Tahiti, le 17 mai 2022- Il y a 50 ans, la Polynésie française se voyait dotée par l'État français de 44 nouvelles communes. Leur fondation porte les traces tumultueuses des rencontres historiques entre un héritage traditionnel et un État tutélaire oscillant entre normalisation et affirmation de son autorité.

La commune de Punaauia célèbre son demi-siècle tout au long du mois de mai. À son image, 44 autres communes de Polynésie française fêtent leurs 50 ans d'existence cette année. C'est en effet un décret du 17 mai 1972 qui donne naissance, nomme, et délimite la grande majorité des communes du fenua. Avant cette date, les seules communes étaient Papeete, Uturoa, Faa'a et Pirae. Aujourd'hui ancrées dans notre quotidien, ces institutions républicaines n'existaient pas ou presque quand nos grands-parents étaient enfants. Cela s'explique par l'histoire politique particulière de la Polynésie française.

Des chefferies aux districts

Les sources historiques sur l'organisation politique de Tahiti avant le contact décrive une division en plusieurs "chefferies", dirigés par des ari'i qui étaient secondés localement par des to'ofa. Pomare II a transformé les ari'i en tāvana (empreint de l'anglais governor). L'appellation district est elle apparue à Tahiti pour désigner les chefferies avec l'avènement de Pomare IV. Sous le Protectorat (1842-1880), l'organisation politique des districts a évolué significativement. Une loi de 1852 établissait que le chef de district était choisi par Pomare IV dans la famille de celui qui avait laissé la place vacante. En 1855, une nouvelle loi établissait des conseils de districts composés d'un chef, d'un juge, d'un mūto'i et de deux propriétaires fonciers. Ces conseils disposaient dans la réalité de peu de moyens et de peu de pouvoirs, leurs rôles étant limités à "l'entretien des routes, à la rentrée des impôts et à l'enregistrement des contrats concernant les terres", précise Jean-Marc Regnault. Toujours selon l'historien, "en 1863, pour faciliter le recensement et les corvées de districts, la population des trente districts des deux îles de Tahiti et Moorea, dut se regrouper en dix-huit villages. Pour les Tuamotu, on considéra que chaque île constituait un district, sauf Anaa, divisée en quatre, et les îles de moins de cent habitants qui n'avaient pas de chef."

Les districts laissés pour compte

Après l'annexion, les conseils de districts ont été remplacés par des "commissions municipales". Le gouverneur français pouvait suspendre à loisir les chefs. Là encore, l'absence de moyens financiers limitait grandement leur influence réelle. Le 20 mai 1890, un décret du Président Sadi Carnot instituait dans les établissements français de l'Océanie (EFO) une commune ayant pour chef-lieu Papeete. François Cardella est ainsi devenu le premier maire de la Polynésie française. En 1931, c'est la commune de Uturoa qui est constituée, mais, dans un premier temps son administrateur est nommé par le gouverneur. Ce n'est qu'en 1945 que la capitale des Raromata'i est devenue une commune de "plein exercice".

Si la fin de la guerre a marqué, de facto, la fin des EFO, du côté des districts assez peu de choses ont changé. Dépourvus de budget propre, ils étaient très dépendants du budget de l'État, puis du Territoire lorsque celui-ci s'est vu transféré des compétences. Dès 1949, le RDPT de Pouvanaa a Oopa proposait de transformer certains districts en communes, proposition reprise ensuite de nombreuses fois par des hommes politiques du fenua, comme Jacques Tauraa en 1963 et surtout Jacques-Denis Drollet en 1964, soutenus par l'assemblée. En 1965, les districts de Faa'a et de Pirae sont transformés en communes de "plein exercice". Un an plus tard, la France faisait exploser sa première bombe atomique à Moruroa et la politique polynésienne était déjà devenue un enjeu national.

Une communalisation par l'État

Lors d'une visite mouvementée sur le fenua en 1970, le ministre délégué en charge des DOM-TOM Henri Rey, annonce la volonté du gouvernement de Chaban-Delmas, alors premier Ministre, de créer une trentaine de communes en Polynésie française. Selon l'historien Jean-Marc Regnault, l'objectif de cette "communalisation" par l'État était double : développer les districts et couper l'herbe sous le pied de l'assemblée territoriale. La montée de l'autonomisme au Fenua était en effet une préoccupation du gouvernement français de l'époque. Les districts étant alors sous la coupe de l'assemblée territoriale fortement autonomiste, leur transformation et leurs fusions en communes dépendantes de l'État étaient une manière d'en réduire l'influence.

Pour financer les communes, la loi prévoyait de créer le Fond Intercommunal de Péréquation, le FIP, qui prélèverait 15 % des ressources territoriales pour compléter des ressources provenant de l’État. "L’assemblée ayant moins à distribuer, son audience était entamée et les maires dépendaient maintenant davantage de l’État. On comprend donc l’hostilité à la réforme des élus de la majorité locale", résume l'historien. Cette recentration de l'État explique le fameux "mariage à trois" État, communes, pays, propre à la Polynésie contemporaine.
 

L'acte de naissance des 44 communes au Journal Officiel du 20 mai 1972
L'acte de naissance des 44 communes au Journal Officiel du 20 mai 1972
Créer des entités viables

Après de nombreuses passes d'armes, la loi est finalement adoptée en France le 24 décembre 1971. Le décret qui est paru au journal officiel le 20 mai 1972 précisait à 44 le nombre de communes créées. Un correctif a été publié en juillet 1972 pour corriger le nom de Tatakoto (orthographié "Takakoto" dans le précédent décret) et renommer Raiatea-Est en Taputapuatea. Paea en revanche restera orthographié Paéa pendant quelques temps encore.

Le problème qui s'est posé alors au législateur était le suivant : Le modèle hexagonal des communes est-il réellement transposable aux districts polynésiens ? Au moment de cette communalisation, la Polynésie comptait 109 districts, certains avec très peu d'habitants. Comment, dans ce contexte, créer des entités administratives autonomes sur un territoire éclaté, avec peu de compétences locales préalables et des administrés qui étaient souvent peu locuteurs du français, la langue des documents administratifs ? La solution choisie a été souvent celle du regroupement des compétences.

La création des "communes associées"

Originellement appelées "sections de communes", ces regroupements peuvent concerner jusqu'à 8 "sections" comme c'est le cas à Huahine ou à Tahaa, par exemple. Si les regroupements respectent à peu près les contours des anciens districts, ils n'ont pas toujours été décidés en fonction de considérations purement pratiques. Aux Tuamotu, les communes associées peuvent regrouper un grand nombre d'atolls, parfois distants de plusieurs centaines de kilomètres. Ainsi, la commune de Hao est composée de 3 communes associées : Hao, Amanu et Hereheretue et regroupe 12 atolls. Hereheretue se trouve à plus de 400 km de Hao, où est située la mairie, ce qui ne simplifie pas les visites du maire. Dans le même ordre d'idée, ont été créés, dès le départ, des systèmes intercommunaux d'aide à la gestion de ces nouvelles communes, comme le Syndicat intercommunal à vocation multiple des Tuamotu-Gambier (SIVMTG) ou les communautés de communes, qui continuent, avec plus ou moins de succès, à encadrer certaines gestions communales. Réaffirmer la présence de l'État, autonomiser les communautés tout en regroupant leurs compétences, voici les trois paradoxes qui ont formé ce qui est devenu une composante majeure du paysage politique de la Polynésie française.

 

Rédigé par Antoine Launey le Mardi 17 Mai 2022 à 20:07 | Lu 1536 fois