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1927 : Un paquebot et un hôtel de luxe lancent Waikiki


La tour centrale de l’hôtel mesure 45m de hauteur, bien plus que les 22m alors autorisés. Mais Tenney, qui avait le bras long, avait obtenu une nouvelle loi...
La tour centrale de l’hôtel mesure 45m de hauteur, bien plus que les 22m alors autorisés. Mais Tenney, qui avait le bras long, avait obtenu une nouvelle loi...
 Avec plus de huit millions de touristes chaque année, Hawaii, essentiellement grâce à Waikiki, est devenue depuis un siècle, la destination touristique la plus fréquentée du Pacifique. À l’origine de ce succès éclatant, après le creusement du canal Ala Wai, un homme, Edward Tenney, concepteur d’un luxueux paquebot, le Malolo, et surtout d’un hôtel somptueux, le Royal Hawaiian, inauguré le 1er février 1927 en présence de mille deux cents invités...
 
Au début du XXe siècle, l’archipel hawaiien était dominé par ce que l’on surnomma alors les “Big Five”, entendez cinq grandes entreprises commerciales faisant la pluie et le beau temps, sur le plan économique, mais également politique.

Cette carte postale ancienne représente Waikiki en 1940. A gauche, le Royal Hawaiian, à droite le Moana et au milieu, une forêt de aito et quelques cocotiers...
Cette carte postale ancienne représente Waikiki en 1940. A gauche, le Royal Hawaiian, à droite le Moana et au milieu, une forêt de aito et quelques cocotiers...
Le premier hôtel en 1901
 
Waikiki en tant que destination touristique avait été imaginée et mise en scène à la fin du XIXe siècle par Walter Chamberlain Peacok, un “whisky man” qui avait vu plus loin que ses tonneaux et qui avait construit le premier hôtel de cette plage, le Moana, inauguré en 1901. (Lire Carnets de voyage du 25 juin) 
Il avait donné le coup d’envoi au développement du tourisme, mais celui-ci se fit lentement, car les liaisons entre la Californie et Honolulu étaient assez lentes, très onéreuses et finalement pas aussi confortables qu’elles méritaient de l’être. Qui plus est, Waikiki était un immense marécage, avec étangs à poissons, tarodières et rizières ; une zone humide victime de régulières inondations à tel point qu’en 1913, les eaux en crue et la boue s’arrêtèrent aux portes de l’hôtel Moana, le tout empestant et provoquant l’ire des touristes.
Il fallut bien se résigner à sacrifier l’agriculture et la pisciculture artisanale d’alors pour assainir une bonne fois pour toutes le secteur (voir notre encadré “Un canal pour drainer le marais”) ; de 1921 à 1928, au fur et à mesure de l’avancée du canal, des terres étaient mises hors d’eau à Waikiki et petit à petit, des entrepreneurs décidèrent de profiter de cette opportunité pour enfin lancer à la fois la destination et ce qu’il faut bien appeler la “marque” Waikiki.
 

Le Malolo au moment de son lancement fut le plus sophistiqué et le plus luxueux des paquebots américains.
Le Malolo au moment de son lancement fut le plus sophistiqué et le plus luxueux des paquebots américains.
Un paquebot couplé à un hôtel
 
Début des années 1920 : Edward Tenney, grand patron de la Castle and Cooke, une des “Big Five” et en prime agent à Hawaii d’une compagnie maritime desservant San Francisco et Honolulu, la Matson, cherche à se diversifier. Lui et ses collègues de la “Big Five” contrôlent déjà 96 % de l’industrie sucrière, la grande majorité de l’industrie liée à l’ananas et à peu près toutes les liaisons maritimes entre l’archipel et le continent américain. 
Tenney est donc le très riche propriétaire de la Castle and Cooke et l’agent de la Matson ; le directeur général de cette dernière, William Roth, a des idées. C’est lui qui pousse Tenney à investir à ses côtés dans un nouveau paquebot de luxe, le Malolo, capable de transporter de la Californie à Honolulu plus de six cents passagers de première classe en quatre jours et demi (contre six jours alors). La Matson vient d’avaler son principal concurrent, Tenney n’est pas insensible aux idées de son collègue et se dit favorable à la construction de ce paquebot qu’il ne conçoit qu’accompagné d’un hébergement de luxe à terre pour ses passagers. 
Waikiki en 1920, c’est, en gros, quatre cents chambres, donc soixante-quinze au Moana Hotel. C’est ridiculement insuffisant en termes de capacité comme de luxe. Tenney voit beaucoup plus grand. Il veut quatre cents chambres sur un seul site ; il parvient à se rendre acquéreur pour le groupe qu’il est en train de former de presque huit hectares à Helumoa, en plein cœur de Waikiki. Sur cet emplacement existe déjà un hôtel moyen de gamme, le Seaside Hotel. Il suffit de raser le Seaside et de mettre en chantier ce qui a pour vocation d’être le plus somptueux palace du Pacifique.

A l’intérieur de l’hôtel se nichent, au gré des couloirs, des petites boutiques qui ne sont pas les plus bon marché de Waikiki...
A l’intérieur de l’hôtel se nichent, au gré des couloirs, des petites boutiques qui ne sont pas les plus bon marché de Waikiki...
400 chambres pour 4 millions de dollars
 
Ni les dirigeants de la Matson ni Tenney à la tête de Castle and Cooke n’ayant d’expérience dans l’hôtellerie, ils s’associèrent avec la Territorial Hotel Company ; outre le Moana, ce groupe hôtelier possédait le Alexander Young Hotel au centre d’Honolulu. 
La société hôtelière, dirigée par Conrad C. von Hamm, gérait également l’hôtel Seaside à Waikiki. 
L’accord entre les trois partenaires, Matson, Castle and Cooke et Territorial Hotel fut signé en 1925, Castle and Cooke et Matson demeurant majoritaires. Edward Tenney en fut nommé président. 
Compte tenu de son savoir-faire, c’est la Territorial Hotel Co. qui fut la plus impliquée dans la construction du Royal Hawaiian, ce palace de 400 chambres étant budgétisé pour la somme de 3,5 millions de dollars (somme énorme à l’époque ; il en coûta 4 au final). Ralph Wooley fut le constructeur de l’hôtel et R. T Stevens le paysagiste, la campagne de pub lançant le Malolo et le Royal étant confiée à l’agence N.W. Ayer

Côté plage, les parasols sont, bien évidemment, roses !
Côté plage, les parasols sont, bien évidemment, roses !
Couleur rose, plus romantique
 
Sur le continent, les Américains s’entichent de l’architecture espagnole datant de l’époque où l’ouest des États-Unis était mexicain. Ici et là, on restaure de vieilles missions en ruines, on s’extasie devant des églises baroques, on adore les haciendas... Il n’en faut pas plus à Tenney pour s’enticher de ce style. Il entre en contact avec le cabinet d’architecture new-yorkais Warren & Wetmore qui avait déjà l’expérience et l’inspiration du Ritz-Carlton à Baltimore et de l’Ambassador à New-York.
Les architectes choisirent donc de construire ce qui sera baptisé le Royal Hawaiian en style néocolonial espagnol, adapté au climat de Hawaii (la circulation d’air étant importante au sein des bâtiments). 
La couleur choisie est le rose, jugée plus romantique que le blanc et plus hispanisante également. Un texte prévoit qu’aucun bâtiment ne doit dépasser 22 mètres de hauteur. Pas de souci, Tenney fait voter un amendement, la tour de son hôtel mesurera 45 mètres !
Le jour de l’inauguration, le tout Hawaii est réuni au Royal Hawaiian. Le journal Honolulu Star Bulletin publie une édition spéciale forte de 80 pages, tirée à 22 000 exemplaires avec un titre énorme barrant la première page : “De la mer le grand hôtel surgit comme un palace en Espagne”.

Le Pink Palace actuellement, fleuron de l’hôtellerie hawaiienne. Evidemment, le béton a poussé de tous les côtés...
Le Pink Palace actuellement, fleuron de l’hôtellerie hawaiienne. Evidemment, le béton a poussé de tous les côtés...
De multiples activités
 
Le “Pink Palace”, où abonde le stuc, peut commencer sa vie en bord de plage. Le Honolulu Advertiser parle du “château d’un rose corail placé au milieu d’une forêt royale datant de l’ancien Hawaii”, tandis que le Honolulu Star Bulletin en remet une couche avec “un joyau rose corail sur une monture verte”.
Evidemment, on n’a rien sans rien. Tenney sait que les passagers du Malolopayent le prix fort pour leur trajet, il estime donc qu’ils ont les moyens de payer également le prix fort au Royal Hawaiian. Au Moana, la nuit est à huit dollars, au Royal elle sera à 14 dollars (tarifs de 1929).
Il est vrai que l’hôtel ne propose pas qu’une chambre avec salle de bains. Le club de golf Waialae est réservé à sa clientèle (golf conçu par le célèbre Seth Raynor, inspiré de Biarritz en France, de Saint Andrew et de North Berwick en Écosse). Pêche au gros, polo, randonnées équestres à Diamond Head, excursions motorisées, surf, pirogue à balancier, on n’a pas le temps de s’ennuyer au Royal Hawaiian, les Américains, bien avant Disney, ayant compris que les activités autour d’un hôtel étaient essentielles pour garder la clientèle longtemps.

Hollywood défile !
 
A l’époque, les vacanciers appréciaient les séjours de quinze à vingt-et-un jours, sûrs qu’ils étaient de ne jamais se retrouver sans rien à faire.
Bien entendu, les stars d’Hollywood n’ont pas tardé à se manifester : le Royal Hawaiian était devenue “the place to be”. 
Se succédèrent ainsi Charlie Chaplin, Shirley Temple, Clarke Gable, Groucho Marx, Bing Crosby, le couple Mary Pickford et Douglas Fairbanks (présents le jour de l’inauguration, ils firent de fréquents séjours à l’hôtel avant de se séparer).
En une décennie, grâce également à une vie nocturne intense, le Royal Hawaiian fit de Waikiki l’un des temples du tourisme américain, jusqu’en décembre 1941, date à laquelle le raid japonais sur Pearl Harbour fit entrer les États-Unis dans une autre logique. L’hôtel devint alors un centre de repos pour les blessés de la Marine, avant, la guerre terminée, de redevenir l’épicentre de la vie à Waikiki. 
 
En 2008, l’hôtel, aujourd’hui propriété du groupe Marriott, a subi une rénovation pour un coût de cent-dix millions de dollars pendant sept mois. Quant à Edward Davies Tenney, fier du succès de son SS Malolo et de son hôtel, il décéda le 29 avril 1934. Il avait alors soixante-quinze ans. Il repose au cimetière d’Oahu.

Après-guerre...

1927 : Un paquebot et un hôtel de luxe lancent Waikiki
Le Royal Hawaiian, après la Seconde Guerre mondiale, a été complètement restauré en 1947. Dans les années 1950, de nombreux nouveaux hôtels à prix plus modérés ont été construits à Waikiki, notamment le SurfRider et le Princess Kaiulani, construits par la Matson Company. Avec le développement des liaisons aériennes, l’intérêt de venir à Hawaii par bateau diminua : pourquoi perdre quatre à cinq jours à l’aller, autant au retour, alors qu’en dix à douze heures de vol (les avions étaient à hélices), on pouvait gagner le “paradis” hawaiien. ? En 1955, plus de la moitié de tous les touristes venus à Hawaii séjournèrent dans l'un des quatre hôtels de la compagnie Matson, mais à peine 20 % avaient choisi de venir par la mer. 
En 1959, les avions à réaction avaient encore réduit le temps de vol, ce qui éroda un peu plus l'activité des bateaux. La même année, après trente-deux ans d'activité hôtelière, la compagnie Matson vendit ses hôtels (Moana, Royal Hawaiian, SurfRider et Princess Kaiulani) à la chaîne hôtelière Sheraton pour 17,6 millions de dollars. 
Aujourd’hui, c’est sous la bannière “Royal Hawaiian A Luxury Collection Resort” que le grand et immobile navire rose de Waikiki poursuit sa croisière dans le temps. 
Depuis 1974, les frères Kenji et Masakuni Osano, des Japonais, ont racheté l’hôtel au groupe ITT Sheraton. Ils ont aussi en poche le Moana Hotel, le Sheraton Princess Kaulani Hotel, le Sheraton Surfrider Hotel et le Sheraton Waikiki Hotel, tous étant aujourd’hui managés par Sheraton Hotels and Resorts Hawaii (sauf le Moana qui est sous la bannière Westin). 
Sheraton est une marque du groupe Marriott, le Royal Hawaiian appartenant à la Luxury Collection Resort du groupe Starwood, lui-même propriété de Marriott.
A la mort des deux frères, c’est Takamasa Osano qui prit en main les destinées de cet empire immobilier nippon. La famille Osano réside une partie de l’année au Royal Hawaiian.

Simple clerc...

Les photos d’Edward Tenney sont très rares. Celle-ci le montre avec le staff de sa société, la Castle and Cooke qui fêtait (on était en 1930) ses 50 ans d’existence. Tenney est le monsieur portant de larges colliers de fleurs au premier rang. Il avait commencé en 1880, au tout début de la société comme simple clerc payé 35 $ par mois. En 1916, il en devint le président du conseil d’administration, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, en 1934.
Les photos d’Edward Tenney sont très rares. Celle-ci le montre avec le staff de sa société, la Castle and Cooke qui fêtait (on était en 1930) ses 50 ans d’existence. Tenney est le monsieur portant de larges colliers de fleurs au premier rang. Il avait commencé en 1880, au tout début de la société comme simple clerc payé 35 $ par mois. En 1916, il en devint le président du conseil d’administration, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort, en 1934.
Edward Davies Tenney était entré en 1880 comme simple clerc (nous dirions employé de bureau) au sein de la Castle and Cooke Company, agent de la puissante compagnie maritime Matson à Hawaii). Il gagnait alors trente-cinq dollars par semaine. Petit à petit à force de travail, il gravit tous les échelons et en devint le président.  

Le SS Malolo

Le SS Malolo était un vapeur de 17 000 tonnes, conçu pour transporter 650 passagers, soit près du double des cinq autres navires de la compagnie Matson. Il devait être luxueux, mais aussi le plus rapide (22 nœuds), le plus sécurisant et le plus confortable. Il fut à cette date le paquebot le plus moderne jamais mis en chantier aux États-Unis. 
Il comprenait sept ponts, reliés par des ascenseurs, un cinéma, une salle de bal, un gymnase, une salle de jeux pour enfants et une immense piscine.
Malheureusement, un incendie sur le chantier naval retarda sa mise à l’eau et lors de sa traversée inaugurale, une collision l’obligea à rebrousser chemin. Finalement, il ne fut mis en service que dix mois après l’ouverture du Royal Hawaiian.

Le tourisme en dents de scie

Les investisseurs, qui, dès la fin du XIXe siècle misèrent sur le développement du tourisme à Hawaii, et plus spécialement à Waikiki, prirent un sacré pari sur l’avenir. Certes aujourd’hui, en année “normale” (hors Covid) huit à neuf millions de visiteurs se pressent dans l’archipel, la majorité à Hawaii, mais nous avons retrouvé quelques chiffres plus anciens qui montrent que le développement de cette activité ne se fit pas en deux claquements de doigts. 
On compta 5 000 touristes en 1910, 8 000 en 1921, 12 000 en 1923 et plus de 15 000 en 1925. La progression se poursuivit encore jusqu’au krach boursier : 15 000 visiteurs en 1927, 20 000 en 1928, plus de 22 000 en 1929 mais en 1932 et 1933 moins de 11 000 (31 000 en 1941 avant l’attaque de Pearl Harbour). Il fallut attendre la fin de la guerre pour que le tourisme de masse décolle enfin grâce à l’aviation civile. Signalons au passage que le premier vol aérien commercial fut le fait de la PanAm entre San Francisco et Honolulu (escale vers Manille) le 21 octobre 1936 (20 heures de vol, pour 360 $).

Waikiki avant Waikiki

Le quartier et la plage de Waikiki aujourd’hui n’ont strictement plus rien à voir avec ce qu’était cette terre avant le développement du tourisme. Le mot même de Waikiki pourrait se traduire par “là où jaillit l’eau” en référence au fait que cette zone était quasiment inondée par des sources artésiennes et les cours d’eau qui descendaient des collines et montagnes, arrosant des terres réputées très fertiles. 
En fait, avant les années 1920 et la construction du canal Ala Wai, les basses terres de ce secteur étaient utilisées comme tarodières, comme rizières et même comme étangs permettant d’élever des poissons, le secteur alimentant une ville de Honolulu toute proche et en plein développement.
Bien avant de devenir une destination touristique, Waikiki était déjà apprécié comme lieu de détente et de villégiature par les riches et des nobles. Ainsi sur la terre Helumoa, actuel emplacement du Royal Hawaiian Hotel, se trouvait le Royal Palm Garden, une collection de plus de dix mille cocotiers plantés là depuis des générations. 
Cette cocoteraie avait une importance religieuse pour les premiers Hawaiiens ; ils y avaient bâti des lieux de culte accessibles uniquement aux chefs de haut rang d'Oahu. Lorsqu’il parvint à unifier sous sa férule les îles hawaiiennes en 1810, le roi Kamehameha Ier choisit Helumoa comme centre administratif. A sa mort, Helumoa perdit son usage religieux, mais resta une résidence royale. L'accès à l'eau douce et à une plage isolée, ainsi que la douceur du Royal Palm Garden ont incité les hauts responsables de Hawaii, Européens, Américains ou Hawaiiens d’origine, à en faire un lieu de résidence alors que le centre décisionnel s’était déplacé à Honolulu.
Ainsi le roi Kamehameha V a aménagé la terre où se trouve le Royal Hawaiian Hotel, une terre qui demeure de nos jours une fiducie par la succession de la princesse Bernice Pauahi Bishop. 

Un canal pour drainer le marais

Faire de Waikiki autre chose qu’un vaste marécage à usage agricole n’était pas chose aisée. Il suffisait de drainer, disaient les partisans d’un développement rapide, mais encore fallait-il trouver la manière de le faire et les moyens techniques. Entre les sources et les cours d’eau parvenant sur ces basses terres, l’eau ne manquait pas, de même que la vase, le limon, les alluvions, sans parler des inondations régulières.
 
Eaux stagnantes et boueuses
 
En arrière de la plage, avec la construction de résidences de luxe et surtout avant l’ouverture du premier hôtel, le Moana en 1901, fut tracée l’avenue Kalakaua, qui entrava le bon écoulement des eaux douces vers l’océan. Mais entre 1901 et 1906, des crues vinrent créer des bassins d’eaux stagnantes et boueuses, infestées de moustiques et nauséabondes, entraînant de multiples plaintes. En 1913, ces eaux stagnantes atteignirent même les portes de l’hôtel Moana au grand dam des touristes. Le paradis prenait des allures d’enfer et la renommée de Waikiki en tant que spot touristique en prit un sérieux coup. 
A quelque chose malheur est bon ; les autorités d’alors décidèrent que la seule solution pour assainir ce secteur était de créer, en arrière de Waikiki, l’actuel canal Ala Wai. Deux hommes sont à l’origine de ce qui fut une demi-réussite : Lucius Eugène Pinkham, gouverneur d’Hawaii de 1913 à 1918, et Walter Francis Pillingham, président du Board of Health, une sorte de ministère de la Santé.
 
Waikiki enfin hors d’eau
 
Evidemment, dès l’annonce du creusement du canal, les propriétaires de tarodières ou d’étangs comprirent que leur sort était réglé : ils étaient condamnés à disparaître à brève échéance. Pinkham voyait d’ailleurs plus loin que ce canal, puisque sur son plan figurait un quadrillage de Waikiki destinée à faciliter la construction de bâtiments. 
Pinkham lui-même expliqua : “En faisant mon plan, j'ai simplement suggéré au géomètre de tracer des rues, de relier les routes, et cela a été fait, mais sans l'idée que le plan tel qu'il a été dessiné était une décision arbitraire. Je pense que le terrain pourrait être vendu, peut-être à de nouveaux arrivants”. Mais il y avait loin de la coupe aux lèvres, un tel chantier nécessitant de nombreuses négociations. Finalement, le creusement du canal Ala Wai débuta en 1921 seulement, les travaux étant confiés à Walter Francis Dillingham. 
Evidemment, certaines familles expropriées refusèrent de quitter leurs terres, mais à l’époque, on savait ne pas perdre de temps en vaines discussions et ces familles finirent par quitter leurs terrains lorsque les engins de dragage et de creusement se trouvèrent à leurs portes, bien décidés à ce que le chantier ne prenne pas de retard. 
Astuce du dragage, tous les matériaux retirés du canal ont été utilisés pour rehausser le sol de chaque côté, de manière à mettre Waikiki réellement hors d’eau. Au total, la Hawaiian Dredging Company de Dillingham aménagea 687 acres, soit 278 hectares prêts à recevoir des projets immobiliers, les travaux de creusement cessant en 1928. 
 
Un égout à ciel ouvert
 
Coût du canal à l’époque : plus de cent mille dollars. On était hors budget, et Dillingham, pour limiter les frais, supprima le deuxième exutoire de son canal vers l’océan, exutoire prévu vers Diamond Head. Recevant huit mille à dix mille mètres cubes de sédiments par an, n’offrant qu’une sortie vers l’océan, Ala Wai est devenu un cloaque nécessitant d’être régulièrement dragué. 
Si Dillingham n’imagina pas le succès qu’allaient connaître les terrains offerts aux promoteurs immobiliers, il se trompa totalement sur le devenir de son canal. Il parlait volontiers d’une Venise du Pacifique, alors que le Ala Wai est aujourd’hui une sorte d’égout à ciel ouvert où pêche et baignade sont strictement interdits compte tenu du niveau de pollution de ses eaux plus proches du noir que du bleu... Mais enfin, grâce au canal, sur près de trois cents hectares, la Waikiki moderne allait pouvoir jaillir du sol...

Le défilé des “plumes”

Waikiki ne serait pas devenue ce qu’elle est aujourd’hui si des plumes célèbres n’en avaient pas parlé. Mark Twain, Robert Louis Stevenson, Jack London firent une indéniable promotion à la destination, grâce à leurs récits enthousiastes. Le plus décisif fut sans conteste Jack London qui se rendit deux fois sur place, en 1907 à bord du Snark, voilier sur lequel il voyageait dans tout le Pacifique Sud, puis fin 1915, lors d’un séjour prolongé. 
Durant son premier séjour (il avait loué une tente-cabine sur la plage), il découvrit émerveillé le surf pratiqué par un groupe de jeunes qui l’initièrent à cette discipline complètement exotique pour lui. Dans son récit “Un sport royal”, il ne tarit pas d’éloges sur ces personnes capables de se tenir debout sur une planche poussée par des vagues que personne n’avait songé à chevaucher. Il va même jusqu’à comparer un jeune Hawaiien glissant à grande vitesse à un “Mercure brun”. 
 
Surfeurs et pirogues à balancier
 
Evidemment, l’écrivain tomba dans les clichés parlant des indigènes comme amicaux et civilisés mais encore primitifs, caricature dans laquelle les auteurs de l’époque enfermaient volontiers tous ceux qui n’étaient pas blancs de peau et qui n’avaient pas leur mode de vie... Qu’importe à vrai dire cette carte postale vieillotte, elle contribua efficacement à la notoriété de l’archipel et c’est bien ce que recherchaient les pionniers du tourisme...
Plus tard, nombre de journalistes venus du continent vinrent eux aussi s’extasier devant les surfeurs et encore plus les pirogues à balancier capables, elles aussi, de surfer sur les vagues et de partir au loin pour revenir sans ramer jusqu’au rivage.
Le célèbre magazine Vogue résuma le sentiment général à propos d’Honolulu et de Waikiki : “c’est la plus orientale des villes occidentales et la plus occidentale des villes orientales”. Tout était dit, en matière d’exotisme, on ne trouverait pas mieux... La publicité, massive, allait faire le reste !

Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 2 Juillet 2021 à 18:12 | Lu 3246 fois