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​PSG, fiscalité, énergies… Réformes imminentes


Tahiti, le 16 septembre 2021 – Un an, jour pour jour, après sa prise de fonction dans un ministère très étendu de l'Economie et des Finances, en charge de la PSG, de l'Energie et de la Coordination du gouvernement, Yvonnick Raffin livre à Tahiti Infos une longue interview écrite dans laquelle il annonce pour les tout prochains mois les chantiers de la refondation de la Protection sociale généralisée, une réforme fiscale, l'ambition d'un "saut technologique" sur l'énergie avec notamment le fonds annoncé par Emmanuel Macron, mais aussi bien d'autres dossiers à boucler à courte échéance. De la compétitivité des entreprises à l'open data, de Baden-Powell au Petit Gibus, état des lieux ambitieux d'un ministre qui n'exclut pas l'être…

Le 17 septembre 2020, vous faisiez votre entrée au gouvernement en prenant la tête d’un ministère aux portefeuilles multiples et aux compétences très étendues. Quel regard portez-vous sur ces 12 derniers mois ?
 
“Ce furent sûrement les mois les plus courts de ma vie, avec des journées très longues et des nuits courtes. Nous subissons tous la dictature du temps mais je peux vous assurer qu’elle devient tyrannique lorsque vous entrez au gouvernement. C’est un premier enseignement que je tire de cette période. J’ai accepté de relever le défi et le challenge, car j’estime que nous devons, tous à notre niveau, apporter notre pierre à la reconstruction de notre Pays. Les attentes sont énormes, multiples et protéiformes. Chaque matin, en qualité de ministre de l’Économie, on me sollicite pour des exonérations d’impôts diverses et variées, tandis que chaque soir, on m’exhorte à trouver de nouvelles marges de manœuvre financière. Vu la situation sanitaire qui caractérise l’année 2021, vous imaginez les difficultés de l’équation. C’est une véritable alchimie dont il me faut trouver les ingrédients quotidiennement. Je dois continuellement faire des choix, en privilégiant l’intérêt général. Le petit Gibus dans la Guerre des Boutons disait : 'Si j’aurais su, j’aurais pas venu'. En dépit de toutes ces contraintes, contrairement au petit Gibus, si c’était à refaire, j’opterais pour le même choix opéré ce 17 septembre 2020 car j’éprouve une grande fierté à servir mon Pays au quotidien. C’est également une aventure humaine inouïe, de belles rencontres et des sujets passionnants.”
 
Commençons par l’économie. Le plan de relance a-t-il porté ses fruits ?
 
“Comme son intitulé le précise, le plan de relance 2021-2023 a été conçu selon un format triennal avec un cadencement des dépenses selon la temporalité de sortie de crise. Ainsi, la première année est davantage consacrée aux mesures de soutien à l’emploi, tandis que les deux suivantes focalisent sur l’investissement. Depuis mars dernier, la grande majorité de nos efforts a été consacrée à la sauvegarde des emplois, qui a grandement contribué à maintenir une économie endogène, nécessaire au maintien du pacte social et donc de la dignité humaine à laquelle chacun a droit. Ce plan de relance est entré dans sa phase de mise en œuvre : chaque jour, nos services, nos établissements et nos SEM font avancer les actions selon ses lignes directrices. Une première série de rencontres, associant notamment les représentants du monde économique, s’est tenue courant juillet. Sur cette base, dès que la situation sanitaire le permettra, nous réunirons le comité de pilotage qui dressera un point de situation partagé et proposera, le cas échéant, les ajustements nécessaires. Enfin, nous avons finalisé les discussions avec l’État sur le prêt garanti numéro 2 auprès de l’Agence française de développement (AFD) de sorte que nous aurons, dès cette d’année, les moyens de nos ambitions. Les jalons sont posés.”
 
Précisément, le premier PGE prévoyait des mesures relatives à la pérennité de la protection sociale généralisée (PSG). Où en êtes-vous ?
 
“Grâce à la mobilisation de tous, les employeurs, les syndicats et les experts de l’administration et du privé, sans oublier l'AFD qui a accepté de nous accompagner, nous avons bien progressé. Nous avons tout d’abord dû répondre à l’urgence : sauver nos comptes sociaux en assurant à la Caisse de prévoyance sociale les ressources nécessaires au service des prestations. Parallèlement à cette urgence, nous n’avons pas négligé le long terme. L’actuelle PSG repose sur un modèle imaginé en 1995 dans un contexte bien différent. C’est donc une page de 25 ans, un quart de siècle, qu’il nous faut tourner. Il nous faut repenser le modèle. La nouvelle protection sociale aura vocation à structurer le paysage solidaire de notre Pays pour les 25 prochaines années. Vous comprendrez ainsi le soin que j’attache à la réflexion que nous menons depuis le mois de novembre 2020 avec l’ensemble des parties prenantes. La refondation de notre protection sociale devra nécessairement passer par trois axes : l’évolution de la gouvernance afin d’aboutir à une gestion de branches en lieu et place de nos trois régimes à bout de souffle, l’identification de nouvelles ressources financières pour assurer la pérennité du service des prestations, et enfin, la revue du périmètre de couverture des risques. Je pense notamment à l’assurance maladie dont deux experts indépendants, missionnés par nos soins, s’accordent sur le constat d’un déficit de pilotage de long terme. Entendons-nous bien : cette refondation porte patience et détermination en son sein. Avec le gouvernement, nous serons au rendez-vous, c’est-à-dire avec une première pierre posée en janvier 2022, tel que je m’y étais engagé. Car nous n’avons pas le choix, au risque de se prendre le mur en pleine face.”
 

"Le modèle de la PSG, une page d'un quart de siècle qu’il nous faut tourner"

En décembre dernier, vous aviez également évoqué la nécessité de simplifier la vie des entreprises et des particuliers. Est-ce toujours d’actualité ? Quelles sont les échéances à venir ?
 
“La réforme de notre droit économique en faveur de l’emploi et de la compétitivité des entreprises demeure au cœur de l’action de mon ministère. En la matière, les observateurs avertis vous diront que jamais l’Assemblée n’a examiné autant de textes de simplification au cours des derniers mois. Je me souviens, pêle-mêle, de la réforme des sociétés par actions simplifiées, de l’évolution du code de commerce, de celui de la concurrence, des fondations, du renforcement des pouvoirs de contrôle de nos services, de la réforme des professions réglementées telles que les agents immobiliers, les architectes ou encore les huissiers. Toutes ces mesures obéissent au même principe directeur : comment libérer les énergies en levant les entraves réglementaires et législatives ? Parallèlement, nous avons veillé à renforcer la protection des consommateurs, que ce soit par un meilleur traitement des situations de surendettement ou par un partenariat actif avec l’association Te Tia Ara.
 
Depuis mai, nous avons également lancé un vaste programme de revue et d’ajustement des modalités de l’intervention publique vis-à-vis des acteurs économiques. Là encore, l’idée est de faire évoluer nos aides pour les rendre plus efficaces et mieux adaptées aux besoins d’accompagnement de nos entreprises, tout en améliorant les procédures et les délais de traitement. Je réfute cette légende, largement répandue, selon laquelle le privé serait le temple de la performance tandis que le public serait voué à l’immobilisme et au gaspillage. Il n’y a pas de malédiction pesant sur le secteur public, il n’y a que des renoncements. Prenez l’exemple de nos télé-services. En peu de temps, nous avons facilité les démarches fiscales et douanières des entreprises en offrant des services en ligne. Nous avons fait de la convergence un axe fort de notre politique économique. En d’autres termes, pour nos entreprises présentes et en devenir, il s’agit de raccourcir le processus d'apprentissage en misant très vite sur des croissances plus fortes et plus rapides. Ainsi, grâce à notre partenariat fort avec la CCISM, et en lien étroit avec les organisations patronales, nous allons créer une véritable Agence de développement économique, en procédant uniquement par redéploiement de moyens. Ça ne coûtera pas plus cher au contribuable et ça fonctionnera mieux. C’est d’ailleurs dans cette logique que nous piloterons ensemble le transfert à la Polynésie française et la modernisation du registre du commerce et des sociétés, l’une des autres belles avancées des derniers mois dont l’aboutissement, en 2022, conduira non seulement à une simplification mais aussi à un gain qualitatif certain dans la relation entre entreprises et administrations.”
 
Où en est le chantier fiscal ?
 
“Voilà un dossier passionnant ! Mais, pour bien l’appréhender, il convient de ne pas le dissocier de ses dimensions économiques et sociales. La fiscalité demeure un moyen et non une fin. Le projet de simplification et performance de notre système fiscal sur lequel nous travaillons activement poursuit trois ambitions majeures. Tout d’abord : contribuer au renforcement de la solidarité. Sans corps social solidaire, il n’y a pas de développement possible. Et pour faire société, il faut une juste répartition des efforts. Au fil du temps, le lien social s’est délité, notamment en dissociant les droits et les devoirs, et en faisant peser que sur quelques-uns le poids du financement de notre protection sociale par exemple. Ce n’est ni juste, ni efficace. La seconde ambition vise à créer un environnement fiscal favorable à la création d’emplois. Et cela passe par une progression de la compétitivité de nos entreprises et du volume d’affaires. A travers cette réforme fiscale, je veux que chaque jeune puisse renouer avec l’esprit de conquête économique qui caractérise les territoires dynamiques. Ce qui m’amène à la troisième ambition : simplifier et mieux piloter. Aujourd’hui, les Polynésiens aspirent à un modèle plus agile, plus en adéquation avec leur mode de production, d’échange et de consommation. Encourager l’esprit d’entreprise, c’est aussi réduire les irritants administratifs. Cette réforme s’y emploiera. Et les concrétisations seront rapides. Sur la base des conclusions de l’audit à 360° lancé en juin dernier, je présenterai au Conseil des ministres dans les prochaines semaines un projet de texte qui devrait entrer en résonnance avec ce discours. Dès validation collégiale, j’en partagerai le contenu avec les représentants de la société civile avant d’engager le processus de validation qui devrait aboutir à l’Assemblée en décembre. Le tout pour une entrée en vigueur progressive dès le 1er janvier prochain. Pour une fiscalité dont la refonte était attendue depuis l’ère du CEP, vous reconnaîtrez que nous sommes plutôt dans les temps.”
 
Vous vous savez également très attendu sur le front de l’énergie. Les objectifs envisagés l’an passé sont-ils toujours tenables maintenant que vous les appréhendez du côté du public ?
 
“Plus que jamais, oui. Là aussi, réussir n’est pas une option, c’est un impératif, fruit d’un engagement vis-à-vis des générations futures. Au cours des derniers mois, nous avons renforcé le cadre juridique via la modification du code de l’énergie, lancé l’appel à projets pour les fermes solaires, le projet de réglementation énergétique des bâtiments, et fait adopter le dispositif de solidarité au bénéfice de tous les Polynésiens des îles éloignées. Vais-je pour autant réduire le rythme ? Non ! Car, dans ce domaine, notre retard est important et la Polynésie est dans une position très vulnérable en cas d’évolution rapide des cours sur les marchés internationaux des hydrocarbures. J’ai donc demandé à mes équipes d’anticiper l’activation du fonds annoncé par le Président de la République et qui sera dédié au développement des énergies renouvelables dans les archipels. Les contacts sont pris, et les échanges sont en cours. J’y vois une occasion historique d’opérer un véritable saut technologique, à condition que nous y soyons correctement préparés, nous et les opérateurs privés qui ont un rôle essentiel à jouer dans cette transition. Je n’oublie pas Tahiti, avec le renforcement du rôle de la TEP comme responsable d’équilibre, ce qui implique sa neutralité, à laquelle contribue la sortie d’EDT de son capital, organisée par nos soins.
 
Plus proche de tout un chacun, j’envisage également de conduire une action de développement rapide des véhicules électriques et de carports de recharge à énergie solaire. Dans l’optique de montrer l’exemple, je vais amorcer dès 2022 un programme expérimental au sein des services placés sous mon autorité. Aujourd’hui, 50% de la dépense énergétique de Tahiti est dédiée aux déplacements. C’est considérable et cela appelle de notre part un changement rapide. Il nous faut aussi mieux mesurer pour développer nos capacités de pilotage du réseau, notamment en intensifiant notre recours à la donnée, ce pétrole du XXIe siècle, afin d’améliorer le rendement et d’éclairer nos choix futurs.”
 

"La data, une partie de la solution"

Piloter par la data est un thème récurrent dans votre discours. L’utilisation des données est-il votre remède ?
 
“Nous sommes au XXIe siècle. Le numérique occupe une part importante dans le monde où nous vivons. C’est une partie de la solution, en effet. Lorsque j’ai commencé à parler de politique de la donnée auprès de mes services, l’accueil a été plutôt mitigé, voire très mitigé. Toutes nos organisations ne sont pas encore familiarisées avec ces concepts et cette approche. Pourtant, il est essentiel que nous misions très vite sur le potentiel offert par un recours massif aux données. C’est pourquoi j’ai souhaité lancer le data lab, en lien avec les acteurs privés, et initier une réflexion sur l’open data. Je dis seulement “initier” car il s’agit d’un chantier sur lequel nous accusons un retard certain, en raison de résistances et de l’absence de compétences ; sujets qui avaient été sous-estimés.

Une vieille maxime postule que quand on a la tête en forme de marteau, on voit tous les problèmes sous forme de clou. Eh bien, confiez un chantier open data à des juristes ou à des techniciens, et vous comprendrez vite que cet adage n’a pas vieilli. Les données sont devenues essentielles pour le pilotage de l’ensemble des activités publiques et privées. C’est l’objet de nombreuses discussions avec les représentants du monde économique. Par ailleurs, il m’incombe de superviser l’élaboration du plan de convergence de la Polynésie française qui servira de base de négociation avec l’État du prochain contrat éponyme dès 2023. Pour satisfaire à l’exercice, j’ai besoin de data en conséquence, d’informations, d’indicateurs, sur de très nombreux champs de l’activité. Et les exemples sont légions : énergie, vieillissement de la population, finances, fiscalité, économie, tout repose aujourd’hui sur des systèmes d’information à la fois performants et respectueux des dispositions juridiques visant à protéger les données de nos concitoyens. Rien de très structurant ne peut se faire aujourd’hui sans un minimum d’ingénierie qui fait appel à… de la donnée.”
 
Cette performance de l’action publique semble être devenue l’Arlésienne : tout le monde en parle mais personne ne l’a encore vue…
 
“C’est un constat sévère et partiellement injustifié. Rome ne s’est pas bâtie en un jour. Je peux vous assurer que l’ensemble du gouvernement est mobilisé sur ce sujet. Notre Président a lancé de multiples initiatives en faveur de la simplification des procédures publiques. Est-ce suffisant pour autant ? Non, car nous avions accumulé un tel retard que le temps de l’ajustement sera nécessairement conséquent. A titre d’exemple, sur les systèmes d’informations du Pays, nous devons être en mesure de faire mieux et bien plus vite, en changeant de paradigme. Les temps ne sont plus à une administration qui s’appuie sur ses seuls moyens internes pour gérer ses outils informatiques et ses systèmes d’informations. L’externalisation de fonctions que nous ne sommes plus en mesure d’assumer en régie est encore un tabou pour une administration ayant bien souvent une représentation erronée de ses missions et de ses modalités d’action. L’externalisation n’est pas un renoncement à l’exercice d’une mission de service public mais bien un moyen de satisfaire les besoins exprimés.
 
Autre exemple, je souhaite résorber l’asymétrie d’informations, voire la vaine concurrence entretenue, dans ce domaine comme dans d’autres, entre les sphères publique et privée. Ayant évolué au sein d’un groupe structuré, je sais les bénéfices incroyables que chacun peut tirer de la mise en réseau, en particulier sur les fonctions à haute valeur ajoutée que sont le contrôle interne de gestion et l’audit. J’ai donc décidé de proposer, très prochainement, toujours en lien avec les partenaires économiques, le lancement d’un Institut polynésien d’expertise qui rapprochera demain les acteurs concernés. Et vous verrez que cette initiative me survivra longtemps tant son utilité sera vite démontrée. C’est cela aussi, le changement de modèle par l’innovation.”
 

"J’ai de l’ambition pour mon Pays et j’espère lui être encore utile demain"

Les 20 prochains mois seront marqués par des scrutins déterminants. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces échéances ?
 
“J’ai à cœur de mener à terme les chantiers structurants que nous venons d’examiner ensemble car je sais, en mon for intérieur, qu’il n’y a pas d’alternative à la réussite de ces axes. C’est cette ambition qui m’anime au quotidien. Quand je regarde le chemin parcouru, j’éprouve un sentiment de fierté envers mes services et mes équipes qui ont su répondre aux défis lancés, qui ont été au rendez-vous, quitte à bousculer de nombreuses habitudes. Après tout, comme le disait Deng Xiaoping, peu importe que le chat soit noir ou blanc, pourvu qu'il attrape la souris. Pour les vingt prochains mois, si le Président et mes équipes me conservent leur confiance, je continuerai à exercer mes fonctions avec la même énergie et la même conviction ; selon les lignes directrices que je viens de lister.”
 
On vous dit ambitieux. Serez-vous candidat à un mandat dans les prochains mois ?
 
“J’aime beaucoup Baden-Powell. Il disait, en substance, que l’ambition de faire le bien est la seule qui compte. C’est un principe directeur pour moi. Dites-vous bien que ne pas reconnaître son talent, c'est favoriser la réussite des médiocres. L’ambition n’empêche pas l’introspection, tout comme les convictions n’interdisent pas le doute. Alors, oui, j’ai de l’ambition pour mon Pays et j’espère lui être encore utile demain. Après, selon les circonstances, nous verrons.”
 

Rédigé par Antoine Samoyeau le Vendredi 17 Septembre 2021 à 14:09 | Lu 10641 fois