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​La Polynésie peine à se faire entendre à Bruxelles


Tahiti, le 30 juillet 2020 – S’il peine à faire jouer la solidarité nationale pour faire face aux conséquences économiques de l’épidémie, le Pays éprouve également des difficultés à se faire entendre à Bruxelles pour obtenir des financements à hauteur de ses demandes. Un peu la faute à Paris, selon un rapport du Sénat.

L’adoption, laborieuse, du budget de l’Union européenne vient d’être actée. Un vote pas si anodin pour la Polynésie qui peut, au travers du prochain Fonds Européen de Développement (FED), bénéficier de financements conséquents pour des projets pour les années à venir. Le Pays avait bénéficié de 3,6 milliards de la part de Bruxelles entre 2014 et 2020. Et la somme devrait être quasi inchangée pour la période 2021-2027. Une manne plus que bienvenue en ces temps difficiles, qui n’est cependant pas à la hauteur des espérances ultramarines. Le dernier rapport d’information du Sénat sur "les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020" révèle en effet quelques tensions et décalages entre Paris et ses territoires d’outremer.

Le Pays dans les choux à Bruxelles

La France est diplomate. Entendez par là que la compétence en matière diplomatique reste française. Le gouvernement polynésien ne peut ainsi aller seul plaider sa cause à Bruxelles, notamment pour ses demandes financières. Le Fenua n’existe que comme territoire de la France. La procédure prévoit donc que Paris recense les besoins de ses territoires ultramarins et les défende devant les instances européennes. Un mécanisme "globalement considéré comme efficace" mais qui n’empêche pas les PTOM français de demander "à être davantage associés à l’élaboration des positions et (de souhaiter) être mieux informés de l’avancée des négociations". En première ligne des contestataires, la Polynésie française. Le Pays demande à ce que les territoires "soient plus régulièrement informés de l’évolution des négociations à Bruxelles et tenus informés des positions françaises et des résultats obtenus par des courriers officiels de réponse". Un coup de gueule feutré, destiné à mettre en lumière l’écart entre ce qui est posé sur les bureaux ministériels parisiens et sur ceux des techniciens européens. "La Polynésie française y voit l’illustration du décalage entre les préoccupations exprimées par les PTOM auprès des autorités françaises et les positions défendues par celles-ci à Bruxelles". Un décalage de plusieurs milliards de Fcfp tout de même…
 
Le FED, du surplace
 
Car les aspirations ultramarines sont fortes en matière de financement. Dès juillet 2018, dans un courrier commun, la Nouvelle-Calédonie, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française demandaient ainsi un relèvement de l’enveloppe globale à 669 M€ (près de 80 milliards de Fcfp) à répartir entre tous les PTOM européens. "Force est de constater que des propositions formulées par les territoires n’ont pas été reprises par les autorités françaises". Le Sénat relève que "la France n’a pas endossé cette position, préférant fixer comme objectif la sécurisation de l’enveloppe de 500 millions d’euros proposée par la Commission européenne". Paris considérait en effet que ce montant est un minimum, il "sera difficile d'obtenir davantage" mais "en tout état de cause, il est hors de question de descendre en dessous". Un demi-milliard plancher qui n’a pas vraiment fonctionné et qui devient une histoire belge. Après d’interminables négociations et débats, le Parlement européen vient de voter la semaine dernière pour une enveloppe finale de 444 M€ (53 milliards de Fcfp). Du fait de leur statut, les territoires du Pacifique n’en toucheront qu’une faible partie, ne pouvant en effet prétendre qu’au prochain FED, 12ème du nom, couvrant la période 2021-2027. Avant le vote du budget européen, il était prévu 19 milliards de Fcfp (159 M€) pour les enveloppes territoriales des PTOM français et néerlandais. Un chiffre en "légère augmentation" mais une augmentation "manifestement insuffisante" qui "ne répond pas aux contraintes spécifiques de ces territoires ni aux défis du réchauffement climatique" selon les sénateurs.
 
Papeete, sceptique envers Paris
 
Alors que le Royaume Uni a quitté l’Union européenne et avait, avant cela, également déserté la Communauté du Pacifique dès 2005, la France aurait pu s’affirmer dans la région grâce à ses PTOM qui auraient pu servir "d’avant-poste" des ambitions nationales et européennes. A la mission d’information du Sénat, le Pays a indiqué que "la France n’en a pas pour autant profité pour devenir le relais de l’Union européenne dans le Pacifique sud". Un constat amer d’une France plus spectatrice qu’actrice qui a en effet laissé s’installer la Banque européenne d’investissement (BEI) à Sydney et la délégation de l’Union européenne à Fidji. Le rapport conclut sobrement que "la Polynésie française se montre sceptique quant au nouveau rôle de la France dans le Pacifique". Il émet ainsi la recommandation "d’installer à Papeete ou à Nouméa les principales représentations de l’Union européenne dans la région". Une solution qui permettrait de traiter directement avec les instances européennes et d’éviter que Paris ne mette son grain de sable dans le Pacifique.
 

La Polynésie est, au même titre que la Nouvelle-Calédonie, Saint-Barthélemy, St-Pierre-et-Miquelon, les Terres australes et antarctiques françaises et Wallis et Futuna, un Pays et Territoire d’Outre-mer (PTOM). D’autres territoires éloignés européens comme le Groenland bénéficient du même statut, le Brexit a par contre réduit de moitié le nombre de territoires concernés. Associés à l’Union européenne en vertu du Traité, les PTOM peuvent bénéficier d’un soutien de l’Union pour leur développement économique.
Le Fonds Européen de Développement (FED). Le 11ème FED sur la période 2014-2020, avait permis à la Polynésie de récupérer 3,6 milliards de francs de financements. Une enveloppe que le Pays avait essayé de faire concorder à la mise en place de sa stratégie de développement touristique 2015-2020 avec pour but "de favoriser le développement d’un tourisme durable, dans une perspective d’accroissement des recettes touristiques facilitant la création d’activités et donc d’emplois directs, indirects et induits dans le secteur lui-même (…) tout en valorisant le patrimoine culturel et naturel". Nos deux PTOM voisins avaient utilisé leurs enveloppes respectives à d’autres fins. Les 3,6 milliards également accordés à la Nouvelle Calédonie ont servi à développer l’emploi et l’insertion professionnelle, alors que Wallis et Futuna a préféré miser les 2,3 milliards obtenus sur le développement du numérique. Les orientations choisies dans le cadre du 12ème FED ne sont pas encore connues.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mercredi 29 Juillet 2020 à 20:56 | Lu 2543 fois