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​Des bouteilles compostables zéro pétrole


Des bouteilles de différentes tailles allant de 25 cl à un litre.
Des bouteilles de différentes tailles allant de 25 cl à un litre.
Tahiti, le 3 février 2025 – De la terre à la terre. La société Biopack Tahiti s'investit pour la planète et lance son usine de production de bouteilles – avec leurs bouchons – compostables. Des bouteilles qui ne contiennent pas une goutte de pétrole et qui sont fabriquées à base de bagasse, du résidu fibreux de canne à sucre, transformée en polymères. Objectif, utiliser des matériaux biosourcés localement, comme la bagasse ou la poudre de nacre, et diminuer ainsi l'importation des matières premières. Lancement prévu mi-avril.
 

“Le plastique, ça m'agace”, nous confie d'emblée le directeur général de la société Biopack Tahiti créée en 2022. Marotea Vitrac est un fervent défenseur de l'environnement depuis toujours, en perpétuelle recherche de solutions innovantes pour le bien de la planète, mais aussi pour celui de la santé. Premier fruticulteur certifié bio de l'ananas en 2006, il se lance ensuite dans la culture de canne à sucre et, depuis dix ans maintenant, son rhum agricole bio “made in Fenua” est sur tous les rayons et a même été récompensé à plusieurs reprises, notamment au Salon international de l'agriculture.
 
C'est dans cet état d'esprit qu'il y a huit ans, il entre en contact avec Nicolas Moufflet, un ingénieur français qui venait de lancer sa société List Packaging à l'origine de cette innovation : des bouteilles écolo compostables à base de bagasse, du résidu de canne à sucre broyée extraite de son jus. “Je vois que c'est génial, sauf qu'à l'époque, je n'étais pas du tout dans l'idée d'une licence ou de produire. On venait déjà de lancer l'usine, on était à fond sur le rhum, il était hors de question de faire une autre usine.”

Une idée qui a fait son chemin

C'est dans son bureau de Arue que le directeur général de Biopack Tahiti, Marotea Vitrac, nous a reçus pour nous exposer son projet.
C'est dans son bureau de Arue que le directeur général de Biopack Tahiti, Marotea Vitrac, nous a reçus pour nous exposer son projet.
Il souhaite alors lui commander des bouteilles en achetant des “préformes – formes temporaires d'un matériau destiné à être modifié, NDLR – pour les souffler ici”, mais ce n'est pas possible, d'autant que “commander des bouteilles d'un litre remplies d'air, c'était une hérésie” environnementale. L'idée s'arrête là.
 
Le temps passe et c'est grâce à Philippe Monier, pharmacien à Paea et fondateur de Heiva Cosmétiques, que le projet de lancer une usine de production de bouteilles en polymères d'origine végétale revient sur la table. “Il importait déjà les produits de Nicolas Moufflet, des toutes petites quantités de 100 ml pour le mono’i et tous ses produits. De fil en aiguille, comme il en commandait de plus en plus, Nicolas Moufflet lui a dit qu'il venait de lancer une production sous licence à l'île Maurice, que ça cartonnait, et qu'il allait en faire en Guadeloupe aussi.”
 
N'étant pas un industriel, Philippe Monier en parle alors à “son copain” Félix Bernardino, ancien P-dg de la Brapac qui en parle à son tour à son successeur Fabrice Baffou, lequel soumet l'idée à Marotea Vitrac. Ni une ni deux, ils créent la société Biopack Tahiti en juillet 2022 et profitent de la présence de Nicolas Moufflet sur le territoire pour en valider la constitution. En avril 2023, ils signent avec lui un contrat de production sous licence de bouteilles biosourcées en polymères d'origine végétale. “On a donc acheté la licence à List Packaging qui comprend les équipements, le savoir-faire et la matière première”, nous explique Marotea Vitrac qui nous fait visiter l'usine de production en phase finale d'installation et qui est située juste en-dessous de son bureau à Arue.

Recycler c'est bien, composter c'est mieux

Les matériaux biosourcés localement comme la bagasse permettent d'en faire des pellets, autrement dit des petits granulés sous la forme de matière première fondue qui permet de fabriquer ces bouteilles.
Les matériaux biosourcés localement comme la bagasse permettent d'en faire des pellets, autrement dit des petits granulés sous la forme de matière première fondue qui permet de fabriquer ces bouteilles.
Alors comment ça marche ? Pour ces bouteilles, le procédé consiste à transformer la bagasse pour en faire des polymères carbonés qui sont la base du constituant du plastique. La canne à sucre est d'abord broyée, puis on en extrait le jus, et c'est le résidu fibreux qui en résulte que l'on on appelle la bagasse. “En général, elle est soit brûlée dans des chaudières dans des grandes économies comme La Réunion à l'échelle d'une île, et ils font de l'électricité avec. Nous, on la composte, et on la remet dans les champs”, nous explique Marotea Vitrac, qui précise que comme beaucoup, il attend avec impatience que Fenua Ma mette enfin en place les fameux bacs marron qui sont enfouissables et non polluants, et destinés aux produits d'origine organique.
 
Recycler dans les bacs verts, c'est bien, mais composter dans les bacs marron, c'est mieux. Parce que qui dit recyclage, dit forcément réexportation. “On importe des bouteilles en plastique remplies d'eau, elles font le tour de la terre, et elles arrivent ici. Tu les bois, tu mets le plastique dans ton bac vert, et tu as la conscience tranquille. Mais elles sont ensuite compactées, stockées à Motu Uta avant d'être remises sur un bateau et renvoyées à l'autre bout du monde pour être traitées. C'est complètement débile”, s'agace Marotea Vitrac qui plaide pour l'interdiction totale d'importation de bouteilles d'eau en plastique puisque ce procédé à base de bagasse serait on ne peut plus adapté à contenir notre Eau Royale ou notre Vaimato, mais aussi du mitihue ou de l'eau de coco notamment. La balle est dans le camp du gouvernement qui serait ainsi cohérent avec sa loi anti-plastique, et qui permettrait aux Polynésiens de moins subir l'inflation importée. Mais ça, c'est une autre histoire.

Utiliser des matières premières locales pour moins en importer

“Avec ces bouteilles, on va dans un avenir proche utiliser des matériaux biosourcés localement, comme la bagasse de canne à sucre, la poudre de nacre, ou le marc de café pour en faire des pellets. Ce sont des petits granulés sous la forme de matière première fondue qui permet de faire ces bouteilles biodégradables, mais aussi les bouchons”, l'objectif étant de s'inscrire dans un cercle vertueux en diminuant l'importation des matières premières. “L'idée, c'est que dans une bouteille, au final, il y ait 10% de produits micronisés d'origine végétale locale, et peut-être 15 à 20% de PHA (acide poly-hydroxydés) qui sont de vrais bioplastiques produits par des bactéries récupérées dans des milieux hostiles. Donc on aurait 30% qui ne seraient pas issus de l'importation mais fabriqués ici.”
 
C'est la dernière ligne droite. Reste encore à finaliser les derniers détails et à constituer un peu de stock, “au moins 30 000 bouteilles” à 50 francs l'unité avant le lancement officiel de l'usine de production prévu pour la mi-avril, en présence d'ailleurs de Nicolas Moufflet.

La solution pour les îles comme les Tuamotu
 
Ces bouteilles écolo sont la solution idéale pour arrêter de polluer nos îles, et notamment les Tuamotu où l'enfouissement des déchets est impossible même s'il se fait quand même à la sauvage. “Il y a un mètre de sol, donc on pollue directement la nappe. Or, c'est ce que tout le monde fait. Ils font des trous et ça finit dans le lagon. L'avantage de ces bouteilles, mises sous des andains, c'est qu'en deux ans, elles disparaissent. Pas besoin de les enfouir ou de les brûler, elles retournent à la terre.” Le temps de compostage est différent suivant l'endroit où se retrouve la bouteille, et ce retour à la terre varie ainsi entre un an et moins de dix ans. Une chose est sûre, elle ne se fragmente pas et est complètement biodégradable. Biopack envisage même d'utiliser ces bouteilles pour y contenir du rhum à destination de ces îles uniquement qui en sont gourmandes, et éviter ainsi le verre qui reste polluant.

La société Biopack Tahiti a acheté la licence d'équipements et de savoir-faire à List Packaging qui est le premier à avoir lancé cette activité innovante en métropole.
La société Biopack Tahiti a acheté la licence d'équipements et de savoir-faire à List Packaging qui est le premier à avoir lancé cette activité innovante en métropole.
Aucune aide du Pays
 
Marotea Vitrac est allé frapper à la porte du Pays, notamment au ministère de l'Agriculture pour tenter d'obtenir des financements à ce projet. Mais rien. “Sur un investissement de 160 millions de francs, on a obtenu trois millions d'AEPE (aide à l'équipement des petites entreprises, NDLR) mais aucune aide de la Direction de l'agriculture, aucune aide du Pays“, regrette Marotea Vitrac qui n'a pas pu compter non plus sur la défiscalisation locale, mais uniquement sur “la défisc' État de la Lodeom”. La Sofidep également qui “est entrée au capital et nous finance”, précise-t-il, ajoutant avoir heureusement bénéficié d'un “contexte favorable”, notamment grâce à la légifération sur la fin programmée sur plusieurs années du plastique jetable.

Rédigé par Stéphanie Delorme le Lundi 3 Février 2025 à 08:39 | Lu 2333 fois