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​Commission d'enquête sur les essais : “Indemniser” et “réconcilier les Polynésiens avec eux-mêmes”


Paris, le 18 juin 2025 - Les auteurs du rapport de la commission d'enquête sur le fait nucléaire en Polynésie travaillent maintenant à une proposition de loi permettant une meilleure indemnisation des victimes ainsi qu'à une modification de la loi organique afin d'y inclure une demande de “pardon” de la France au Fenua.
 

Réformer la loi Morin (2010) de fond en comble, inscrire dans la loi une demande de “pardon” de la France pour les 193 explosions nucléaires qui ont eu lieu en Polynésie : la députée (GDR) de Polynésie Mereana Reid-Arbelot a toujours de grandes ambitions. L'élue du Fenua rendait public ce mercredi 18 juin le “rapport de la commission d'enquête parlementaire relative à la politique française d’expérimentation nucléaire, à l’ensemble des conséquences de l’installation et des opérations du CEP”.
 
Très attendu, le document fait plus de 400 pages et a nécessité l'audition de 126 personnes depuis le début de cette année. Ses auteurs veulent en faire un “document de référence” et surtout “réparer les dommages collectifs”. Voilà pourquoi, dans les 45 recommandations que l'on y trouve, “le remboursement à la CPS des frais des maladies radio-induites” figure en bonne place.

“Le cadre d'indemnisation a montré ses limites”

Rapporteure de la commission d'enquête, et donc signataire finale du document, l'élue du Fenua Mereana Reid-Arbelot veut avant tout mieux indemniser les victimes, soit les personnes atteintes de maladie radio-induites. “Le cadre d'indemnisation a montré ses limites : il faut supprimer le seuil de 1 millisievert et passer d'une présomption de causalité à une présomption d'exposition”, assure-t-elle. “Il s'agit d'un seuil de gestion sans aucune scientificité. La liste des maladies radio-induites doit être élargie et fixées non plus par décret mais par une institution indépendante. Le délai de prescription doit aussi être allongé de six à dix ans.”
 
Autre axe prioritaire de travail des députés de la commission d'enquête, la demande de “pardon” de la France au Fenua pour les explosions nucléaires organisées entre les archipels. “Il ne s'agit pas de repentance ou encore de faire le procès du nucléaire ou de la dissuasion nucléaire”, selon le président de la commission d'enquête, le député (EPR) du Finistère Didier Le Gac. Dans leur rapport, les députés évoquent longuement le contexte historique et géopolitique qui ont conduit à faire ces essais en Polynésie. “Nous avons évité les postures, les clivages et les polémiques. Il faut en finir avec ce mythe et ces mensonges des essais propres et aussi faire le bilan de la loi Morin qui n'a pas répondu aux attentes !”

Une proposition de loi en cours de rédaction

Pour atteindre ces deux objectifs prioritaires – et produire des effets dans la réalité au-delà de la publication de leur rapport, accessible en intégralité sur le site de l'Assemblée nationale – les députés de la commission d'enquête misent sur deux “véhicules législatifs” distincts. D'abord, l'indemnisation des victimes. “Une proposition de loi est en cours de rédaction, elle est presque terminée”, révélait ce mercredi 18 juin Mereana Reid-Arbelot, à l'occasion d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale, à Paris. “Notre travail est toujours adossé à la loi Morin mais supprime le seuil du 1 millisievert (dont la preuve est jusqu'ici exigée par le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (Civen), NDLR) et nous rajoutons une indemnisation collective et environnementale.”
 
Cette proposition de loi devrait être “sur le bureau de la présidente de l'Assemblée nationale à la rentrée de septembre, parce qu'on sait bien qu'ensuite, on va rentrer dans une période de grandes turbulences politiques”, relève le député Le Gac. Quelle forme prendra la proposition de loi pour passer les fourches caudines de l'ordre du jour déjà chargé du Parlement ? Ce pourrait être une proposition de loi à l'occasion de la journée réservée du groupe Gauche démocrate et républicaine (GDR) ou une proposition de loi transpartisane. Les députés semblaient en tout cas confiants lors de leur conférence de presse de ce mercredi 18 juin, au Palais Bourbon. À les en croire, le gouvernement actuel est “favorable” à une réforme de la loi Morin. Pour l'instant, en quinze ans, sur les dizaines de milliers de personnes concernées, seules 1 200 ont effectivement été reconnues victimes des essais.
 
Les élus devront s'armer de patience et faire la preuve de toute leur détermination s'ils veulent faire passer leur deuxième objectif prioritaire : la demande de “pardon” de la France au Fenua. Il s'agit a priori de modifier la loi organique de 2004, qui fixe les modalités de la relation entre la Polynésie et la France. “Le président Macron a reconnu une ‘dette’ de la France mais n'a pas demandé pardon”, explique Mereana Reid-Arbelot. “Nous ne pouvons pas dépendre d'un seul homme pour avancer sur ce chemin. Si la représentation nationale inscrit la demande de pardon dans la loi, cela nous permettra de mieux envisager l'avenir. Faire la lumière sur cette histoire – et l'inclure dans les programmes scolaires en Polynésie et dans l'Hexagone – nous permettra de réconcilier les Polynésiens avec la France et avec eux-mêmes.”
 

De premières réactions positives
 
C'est peu de dire qu'il était très attendu : le rapport de la commission d'enquête parlementaire a suscité de premières réactions positives de la part des militants mémoriels et pour l'indemnisation des victimes des essais nucléaires. “Nous appelons à une mise en application sincère et au plus vite des 45 recommandations”, écrit l'Observatoire des armements, dans un communiqué de presse publié mardi 17 juin. Pour Patrice Bouveret, son directeur, “il s'agit d'ouvrir le droit à indemnisation des victimes dites ‘par ricochet’ à l'instar de ce qui existe pour les victimes de l'amiante”. Une seule réserve du côté de ces militants de longue date : “Il ne faudrait pas que la non-prise en compte des conséquences des explosions dans le Sahara conduise à la mise en place d'un double standard pour les victimes de cette même politique.”

Rédigé par Julien Sartre le Mercredi 18 Juin 2025 à 19:54 | Lu 2090 fois