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​La quarantaine frémissante


Tahiti, le 3 août 2021 - Le tribunal administratif de Papeete a examiné ce mardi la requête d’une cinquantaine de résidents polynésiens contestant les conditions d’attestation obligatoire préalable à l’entrée sur le territoire et de quarantaine. La procédure, engagée par leur avocat Me Millet et qui vise à contester les atteintes graves et non fondées aux libertés, pourrait conduire à la suspension de l’arrêté en vigueur fixant ces règles de déplacement et d’isolement. Mais si les requérants obtenaient gain de cause, le texte pourrait être rapidement remplacé par un arrêté du Haut-commissaire.
 
La demi-douzaine de policiers mobilisés pour l’occasion était probablement de trop. La contestation, portée par une cinquantaine de requérants, sur les conditions de quarantaine en Polynésie française n’a pas engorgé les bancs du tribunal administratif. Le représentant du haut-commissariat n’avait pas plus fait le déplacement pour présenter les arguments de l’État sur l’organisation de restrictions sanitaires à l’entrée sur le territoire polynésien. La séance en référé qui s’est tenue ce mardi a eu lieu en petit comité, forces de l’ordre et journalistes non compris. Me Thibaud Millet, seul représentant des plaignants, n’a ainsi échangé qu’avec les deux représentants du Pays face à trois magistrats. Pour l’avocat, le débat, plus que le combat, sur les atteintes aux libertés n’est pas nouveau. Il s’est en effet déjà attaqué, avec succès, au couvre-feu et aux restrictions apportées sur le commerce d’alcool. Des recours victorieux devant les tribunaux qui ont provoqué l’ire en haut-lieu. En novembre dernier, à la tribune de l’assemblée, Édouard Fritch avait stigmatisé “les avocats qui s’amusent avec ça”.
 
Arrêté modifié sans arrêt

Ça” n’a pas freiné l’intéressé et le serial-défenseur des libertés n’a pas amusé la galerie lors de l’audience. L’avocat demande en effet, au nom de ses clients résidents polynésiens, ni plus ni moins que la suspension de trois articles de l’arrêté du 13 mai 2020 portant mesures d’entrée et de surveillance sanitaire des arrivants en Polynésie française dans le cadre de la lutte contre le covid-19. Le texte, modifié à 17 reprises depuis le début de l’épidémie et une dernière fois le 21 juillet dernier, instaure les conditions applicables à toute personne souhaitant entrer en Polynésie française par voie aérienne et maritime. L’arrêté, ainsi tricoté et détricoté, s’est ainsi adapté au fil de l’évolution épidémique en instaurant puis modifiant les obligations en matière de test PCR, attestation ETIS, quarantaine en site choisi ou imposé et payante. Des conditions, considérées comme illégales pour Me Millet car “très attentatoires aux libertés”.
 
L’ETIS-fonctionnement

Avant d’arriver en Polynésie, les voyageurs doivent disposer d’une attestation ETIS. Ce sésame préalable doit être demandé sur un site Internet dédié. La procédure informatisée commence par une question sur la situation du voyageur en matière de vaccination puis se poursuit notamment sur la nécessité de fournir des éléments sur l’itinéraire en Polynésie. “J’étais persuadé qu’il y avait un texte détaillant le fonctionnement de cette plateforme”. L’avocat avouera n’avoir trouvé que deux lignes imposant de se référencer sur la plateforme. Rien sur la protection sur les données à caractère personnel, devant pourtant être fournies en grand nombre. Un “fichage généralisé”, dont la liste des informations à demander n’est fixée par aucun texte pas plus que les modalités de leur protection. Selon Me Millet, ces données sensibles peuvent être consultées par de nombreuses personnes qui ne sont pas des professionnels de santé. Des atteintes au droit à la vie privée et au droit à la protection des données personnelles que le défenseur souhaite voir disparaitre.
 
Le Pays sur la compétence de l’État

Une fois un pied posé sur le territoire, des règles en matière d’isolement s’imposent pour les non-vaccinés avec une quarantaine de dix jours et deux test dépistage, en plus de celui à l’arrivée, à réaliser au cours de la première semaine ainsi que le versement d’une “participation forfaitaire aux frais de surveillance sanitaire”. Des obligations contestées par l’avocat sur plusieurs points. En premier lieu, l’isolement et la surveillance se fait “au bénéfice de la collectivité, dans l’intérêt général, au détriment des personnes soumises au paiement”. Pour M° Millet, cette redevance dont il peine à trouver quels services elle recouvre exactement et qui peut atteindre des sommes astronomiques, doit être supportée par la collectivité. Un argument balayé par le représentant du Pays en une formule “Vaccinez-vous, ça coûtera moins cher” à l’adresse de requérants “passablement égoïstes”.

Une ironie qui sera moins palpable lors des débats sur l’illégalité de l’arrêté. S’appuyant sur une décision du Conseil constitutionnel de décembre 2020, l’avocat Millet considère que c’est à l’État, garant des libertés publiques, de prendre les mesures encadrant la quarantaine et non le gouvernement polynésien au travers d’un simple arrêté pris en conseil des ministres. Une lecture de la loi statutaire et un argument qui n’ont pas laissé insensibles les magistrats. Peu enclins à poser des questions lors des procédures en référé, ils ont ouvertement interrogé les représentants du Pays sur le sujet épineux de la répartition des compétences. “Si l’arrêté est suspendu, sur quelle base juridique, sur quel cadre général fixé par le haut-commissariat, une personne peut faire l’objet d’une assignation à résidence ?”. Une question à laquelle ne répondra ni l’État, absent du prétoire, ni la Polynésie, silencieuse sur ce point.

La décision du tribunal devrait être rendue au cours de la journée de mercredi. Une suspension de l’arrêté polynésien organisant la quarantaine pourrait conduire le haut-commissaire à assumer la compétence de l’État en la matière et à prendre un arrêté de remplacement. Un exercice de suppression-correction qui pourrait intervenir rapidement selon Me Millet et éviter ainsi une crise de la quarantaine.
 

Me Thibaud Millet : “Éviter qu’il y ait un vide juridique sur cette question de la quarantaine”

Un an et demi après le début de l’épidémie, on ne sait toujours pas qui est compétent pour organiser la quarantaine en Polynésie ?

“C’est un gros problème que j’ai déjà soulevé plusieurs fois et qui n’a toujours pas été tranché. Je pense que ça va être l’occasion enfin de trancher cette question en matière de quarantaine. En matière d’atteinte aux libertés publiques, le Conseil constitutionnel nous indique que c’est une compétence uniquement de l’État et, en l’occurrence, c’est la Polynésie qui a pris cet arrêté qui prévoit le principe d’une quarantaine et son organisation.”
 
Les magistrats ont suggéré qu’il manquait peut-être un texte cadre ?

“Si le texte de la quarantaine, tel qu’il a été pris par la Polynésie devrait être suspendu, je pense que le tribunal est soucieux de savoir si un autre texte pourrait justement prendre le relais au niveau de l’État pour éviter qu’il y ait un vide juridique sur cette question de la quarantaine qui mérite quand même d’être posée.”
 
Vous avez également présenté la plateforme ETIS comme peu fiable, où tout le monde peut accéder ?

“Tout le problème de la plateforme ETIS c’est qu’il n’y a pas de cadre juridique pour garantir les conditions de collecte, de conservation, de traitement des données et l’accès à ces données alors que, en principe, il devrait y avoir des garanties réglementaires qui permettent aux personnes d’être rassurées sur le fait que leurs données soient protégées. Ce n’est pas le cas aujourd’hui réglementairement. (…)”
 
Vous contestez également le cadre des redevances sanitaires et l’obligation de financer sa propre surveillance ?

“Il y a une grosse question publique, à savoir est-ce que l’on peut demander aux personnes qui font l’objet d’une surveillance de payer leur propre surveillance. C’est une question qui se poserait un peu de la même manière pour savoir si l’on peut demander à quelqu’un qui est en garde à vue de payer l’État pour la garde à vue ou un détenu pour payer pour sa détention. (…) On estime pour notre part que c’est une mission qui est rendue dans l’intérêt général et au détriment des personnes surveillées et que ce n’est donc pas à elles de payer ces frais surtout qu’il y a un certain nombre de personnes qui n’ont pas beaucoup de moyens et que ça peut être un obstacle très important aux déplacements.”
 

Rédigé par Sébastien Petit le Mardi 3 Août 2021 à 20:35 | Lu 5386 fois