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Roti Make revient à ses premières amours


TAHITI, le 2 août 2023 - Elle n’a jamais vraiment cessé de peindre, mais, prise par ses activités et engagements, elle a mis l’art entre parenthèses. Roti Make a repris ses pinceaux depuis peu et expose à nouveau ses créations au fenua. Elle espère pouvoir, comme elle l’a déjà fait, les montrer également hors territoire. Elle vient tout juste de rentrer à Tahiti.

“Je ne me suis jamais arrêtée de peindre en réalité. J’expose depuis les années 1980 !”, rappelle Roti Make. Pourtant, ses œuvres ont déserté les galeries et lieux d’exposition pendant des années. Voilà quinze ans que l’artiste ne s’est pas montrée. “J’ai été rattrapée par la vie”, résume-t-elle. Ses toiles reviennent devant le grand public, doucement, mais sûrement.

Rapa, une autre vie

Roti Make est née à Rapa en 1953 d’un père français venu installer la station météorologique sur l’île et d’une mère Rapa. Elle y a passé le début de sa vie. “C’est là-bas que se trouve toute ma famille, mon cœur, mon sang, mon âme et mon esprit.” Vers l’âge de 12 ans, après une escale à Tahiti au pensionnat Anne-Marie Javouhey, elle a rejoint sa mère installée en Suisse avec son beau-père, ainsi que ses frères et sœurs. “Je suis l’aînée de la fratrie et il est de coutume à Rapa que le plus âgé des enfants reste avec les grands-parents. Ce que j’ai fait.” Son grand-père paternel l’a choisie pour être sa fille. Mais lorsqu’elle a pu, elle a décidé de partir pour “voir autre chose”.

Son adaptation en Suisse, à Bâle exactement, a été difficile. “On m’a imposé une scolarité en allemand, une langue que je ne connaissais pas du tout en arrivant. Pendant au moins un an, je n’ai rien compris.” Aujourd’hui bien sûr, elle maîtrise cette langue, en plus notamment du français, du tahitien et un peu du rapa. “Je ne le parle pas très bien”, regrette-t-elle. Sur l’île la plus septentrionale de l’archipel des Australes, le tahitien a pris le pas. “Heureusement, il y a un regain d’intérêt pour notre langue, grâce notamment à Pierrot Faraire qui est très impliqué dans la culture à tous les niveaux.”

Pour revenir à son cursus, Roti Make explique qu’elle a choisi une filière artistique car elle ne s’exprimait pas bien à l’école. “J’ai adoré l’art”, confie-t-elle. Pour entrer dans les écoles visées, les élèves avaient à passer un concours. “Un concours dont j’aurais pu être dispensée car le jury m’avait acceptée après avoir vu mes créations. Mais j’ai tenu à être comme tout le monde.” Elle a suivi l’école des beaux-arts puis une école d’arts appliqués. Elle a découvert plus tard, en rencontrant un jour son père, que plusieurs membres de sa famille française étaient peintres. “Ils ont dû me transmettre ça dans les gènes”, plaisante-t-elle.

À la Journée internationale des droits des femmes en 2018, la section polynésienne de la LIPFL, dont Roti Make a été la présidente, dénonce toutes les formes de violences faites aux femmes.
À la Journée internationale des droits des femmes en 2018, la section polynésienne de la LIPFL, dont Roti Make a été la présidente, dénonce toutes les formes de violences faites aux femmes.
Roti Make se rappelle parfaitement l’un de ses enseignants. Il a marqué son parcours, et sans doute celui de nombreux élèves. “Il s’appelait monsieur Kunstler et savait captiver notre attention, développer notre créativité à tous. Il avait une pédagogie, une manière d’enseigner qui me plaisait beaucoup et dont je me suis inspirée par la suite”, avoue-t-elle. Il avait “sa manière” de donner des leçons, toute la classe était unanime à son propos. Il disait souvent : “La vie est belle, il faut savoir créer son monde et embellir ce qui n’est pas beau.” Roti Make ne l’a jamais oublié.

“Je voulais changer les choses”

Une fois diplômée, devenue mère, Roti Make a ressenti le besoin de rentrer, “d’aller embrasser mon île et ma famille qui m’avaient beaucoup manqué, et qui continuent à me manquer quand je n’y suis pas”. Elle affirme qu’au sein de la communauté existe “un amour incommensurable” malgré les rivalités, critiques et pe’ape’a du quotidien, malgré la distance parfois.

En 1975, elle reconnaît avoir été impliquée politiquement. “Je me suis sentie appelée, je voulais changer les choses.” En 1980, à Tahiti, elle a passé un concours pour devenir professeure. Elle a trouvé un poste au Centre des métiers d’art lors de son ouverture. Elle a été animatrice d’une émission de radio intitulée La voix des femmes. Roti Make a souhaité quitter un temps la Polynésie. Elle a vécu à Wallis-et-Futuna, en Guadeloupe. Elle a peint, écrit, animé des émissions de radio ou encore des ateliers couture. Elle est rentrée au fenua au tout début des années 1990.

Elle a ensuite donné des cours de couture, ouvert un centre, une école d’arts appliqués. Elle a formé des jeunes et des adultes. Elle s’est engagée avec les membres de sa communauté et plus largement dans des associations pour faire reconnaître les conséquences des essais nucléaires en Polynésie ou bien encore pour protéger les femmes et se battre contre la violence faite aux femmes. Elle a été présidente par exemple de la section polynésienne de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LIPFL).

Au service de son île

La grand-mère de Roti Make a beaucoup compté. Ses mots et conseils résonnent encore aujourd’hui. “D’abord, elle m’a appris que les rêves permettaient une connexion spirituelle, qu’ils pouvaient nous conduire vers un chemin. Elle me demandait chaque matin, quand j’étais petite, de quoi j’avais rêvé pendant la nuit.” Cette grand-mère n’a eu de cesse, en plus, de lui dire à propos des terres et de l’île : “Nous n’avons jamais rien signé, le roi n’a jamais rien signé !” Aussi, quand il a été question de cadastrer Rapa, Roti Make s’est manifestée. Son beau-père, fervent protecteur des peuples autochtones, a pointé du doigt des éléments clés. Elle s’est documentée, a transmis ses connaissances aux habitants de Rapa, a fait le lien avec l’administration à Tahiti. La population de Rapa s’est élevée d’une seule voix. Pas moins de 2 500 signatures ont été récoltées. “Il n’y a que 500 résidents sur place, mais tout le monde y compris ceux qui ont quitté l’île se sont montrés solidaires.” Depuis, c’est le Toohitu (comité des sages) qui gère l’espace en toute autonomie. Cette démarche a été notamment portée par l’association O Paru paru ia Rapa, fondée en 1990. Co-fondatrice et présidente, Roti Make s’appuie sur elle pour veiller au respect de l’île et de ses choix. “Je crois que tout cela fait partie de ma mission”, note-t-elle en repensant à sa grand-mère.


Lorsqu’elle regarde son chemin d’apprentissages, de rencontres, d’engagements et de combats, elle commente : “Le monde avance, les esprits évoluent, il faut aller encore plus loin, vers d’autres systèmes et organisations. Et pour tout cela, les jeunes ont pris la relève.” Roti Make peut souffler. Elle ajoute : “Toutes les personnes que j’ai connues ne m’ont apporté que du merveilleux, même dans la tristesse.” Elle cite notamment Sarahina, peintre installée à la Presqu’île, qui lui a permis de se “reconnecter avec la lumière”. Grâce à elle, Roti Make a retrouvé ses pinceaux, accepté de remettre de la couleur sur les toiles et dans sa vie.

Il y a un an, Sarahina a invité Roti Make à s’installer quelque temps chez elle pour peindre. Une exposition a suivi, Oa oa, sur le thème du bonheur. Le public était au rendez-vous. Début juillet, Roti Make était, seule, à Papeete avec plusieurs dizaines de toiles illustrant le thème Anapa tiare. Une nouvelle dynamique est lancée. “Je pourrais faire des paysages, des portraits réalistes – techniquement, c’est possible –, mais ce que j’aime, c’est créer un monde inconnu, le rendre beau. Je veux partager une autre poésie.”



Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 2 Août 2023 à 20:18 | Lu 2388 fois