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Aujourd'hui les paiements cash ne peuvent plus dépasser 119 300 Fcfp


PAPEETE, le 31 aout 2015 - C'est fait, dès aujourd'hui les paiements en espèces ne peuvent plus dépasser 1000 euros, soit 119 300 Fcfp. Pour la majorité de la population, cette mesure n'aura aucun effet. Pour ceux qui n'ont pas de compte bancaire par contre, c'est une sacrée complication qui s'annonce, d'autant que l'administration n'est pas du tout prête…

Dès aujourd'hui il devient illégal pour les résidents de Polynésie française de régler toute transaction de plus de 119 300 Fcfp en espèces. Cette règle s'applique à toute opération où au moins un professionnel est concerné, et donc aussi au versement des salaires. Mais pour contourner ce problème, les employeurs qui règlent leurs salariés en cash prévoient de les payer toutes les semaines au lieu de chaque mois, comme c'est déjà souvent le cas. Du côté des commerces, ce sont les gros achats qui seront les plus affectés : véhicules, produits de luxe, etc. Là encore, certains commerçants annoncent déjà qu'ils vont simplement diviser le paiement en plusieurs échéances, toutes inférieures à la limite… Impossible pour l'instant de trouver un interlocuteur dans l'administration capable de nous dire si ces petits arrangements seront autorisés (voir encadré).

Jusqu'à hier une limite existait déjà, mais elle était fixée à 358 000 francs. Le changement est causé par un arrêté pris à Paris le 24 juin dernier, applicable partout en France ainsi qu'en Polynésie, en Nouvelle Calédonie et à Wallis et Futuna. L'idée est de lutter contre les trafics, le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Ceux qui espèrent qu'un bug administratif permettrait au Fenua d'être épargné quelques mois de plus en seront pour leurs frais : l'arrêté d'application a bien été publié au JOPF le 10 juillet.

LES TOURISTES AURONT DROIT À 1,2 MILLION FCFP

Pour les non-résidents, c'est-à-dire principalement les touristes étrangers, le maximum des paiements en espèces est lui aussi revu à la baisse, de 15 000 à 10 000 euros, soit 1 193 000 Fcfp. De quoi acheter encore pas mal de souvenirs, on pense notamment aux bijoux et aux perles de Tahiti.

Mais le secteur perlier craint tout de même les effets négatifs de ce décret, à cause de la façon dont les grossistes et bijoutiers de Tahiti s'approvisionnent. Ils ont pour habitude de se rendre chez les perliculteurs et de leur acheter leurs perles en espèces. Mais comme pour le coprah (voir encadré), le problème d'accès aux services bancaires dans les Tuamotu est universel et les fermes perlières payent toutes leurs charges en numéraire… Une source proche d'un des GIE de producteurs nous confirme que les professionnels comptent bien contourner cette loi sans état d'âme. "Et qui viendra nous contrôler ?" nous glisse-t-on.


Des exceptions pour les particuliers et les administrations

La loi prévoit trois exceptions à cette limite :
1- Les paiements réalisés par des personnes qui sont incapables de s'obliger par chèque ou par un autre moyen de paiement, ainsi que par celles qui n'ont pas de compte de dépôt
2- Les paiements effectués entre personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels
3- Les paiements des dépenses de l'État et des autres personnes publiques

Ceux qui n'ont pas de compte en banque ne devraient donc pas être affectés (à condition peut-être de demander une attestation à l'IEOM, voir encadré). Il en va de même pour les transactions entre particuliers, par exemple une voiture achetée d'occasion par les petites annonces.

La dernière exception concerne toutes les personnes publiques et s'applique donc à toutes les administrations, sauf celles sous droit privé comme la CPS. Il faut donc en déduire qu'elles ne sont pas concernées par "l’objectif de cette mesure (qui) est de limiter la part des transactions anonymes dans l’économie qui peuvent correspondre à des actions de fraude, de blanchiment voire de financement du terrorisme", selon les mots utilisés par le ministre des Finances Michel Sapin pour justifier la nouvelle limite des paiements en espèces.


Ethode Rey
Ethode Rey
Aux Tuamotu ils ne sauront pas quoi faire des chèques

Ethode Rey, président de la Confédération des armateurs de Polynésie (qui représente 60% des bateaux assurant la liaison des îles avec Tahiti), nous explique le problème très pratique que va causer ce décret pour les coprahculteurs : "Le kilo de coprah leur est acheté à 140 francs. Là il ne faut pas dépasser 120 000 francs, donc ça équivaut à 850 kilos de coprah à peu près. Or, souvent ils ont des productions supérieures, qui peuvent valoir jusqu'à 300 000 francs… Comment les payer ? Alors ça ne pose pas de problème pour nous, on peut leur faire des chèques, mais eux ils n'ont pas de compte en banque, et il n'y a même pas d'agences bancaires dans la plupart de ces îles pour les encaisser. Nous avons alerté le ministère des Archipels il y a déjà un mois et demi. Bon ils ne veulent rien faire. Ça ne fait rien, on fera des chèques, c'est un moyen légal de paiement, ils ne peuvent pas les refuser. Et au ministère ils auront des retours des îles disant 'qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse avec ces chèques-là ?'."

La seule solution pratique serait de diviser les chargements de coprah en lots de moins de 850 kilos et de faire autant de factures… "Mais de notre côté il faut qu'on soit clair. Il faut voir la position des autorités, est-ce qu'ils vont laisser passer ça ?"

Comment prouver que l'on n'a pas de compte en banque ?

D'après l'IEOM, en l'absence d'un fichier central officiel comme en Métropole (le Ficoba), il sera possible pour les particuliers de demander une attestation "de non-inscription au Ficom", le fichier interbancaire utilisé entre autres pour recenser les interdits bancaires et qui contient la liste de tous les comptes ouverts en Polynésie. Il faudra écrire à l'IEOM (IEOM Papeete, BP 583, 98713 Papeete) ou se rendre à leurs bureaux (21 rue du Docteur Cassiau à Papeete), avec une lettre demandant d'exercer son droit d'accès au Ficom et une photocopie d'une pièce d'identité.

Qui va faire appliquer le texte ?

La question est de savoir si ce décret sera effectivement appliqué sur le terrain, et donc si des agents du Pays ou de l'État seront chargés de contrôler les entreprises. Puisque la monnaie de la compétence de l'Etat, la DGAE est persuadée que c'est l'IEOM qui est en charge de ce volet. L'Institut, lui, explique qu'il est en charge de la politique monétaire, pas des contrôles, et redirige vers la DGAE et l'administration fiscale. A la direction des Impôts, on explique que leur rôle n'est pas de vérifier les paiements mais d'encaisser les impôts, et que les contrôles relèvent plutôt de la DGAE… La boucle est bouclée.

Durant ce tour de table, nous apprenons tout de même qu'une expertise de la direction juridique des impôts est en cours pour savoir si oui ou non il est encore possible de payer ses impôts en espèces, au-delà des fameux 119 300 Fcfp…

Les monnaies électroniques également concernées

La limite de paiement s'applique aussi aux "monnaies électroniques", un concept juridique extrêmement vague qui peut concerner aussi bien les paiements sur Internet en général, les services d'entreprises comme PayPal, ou bien les crypto-monnaies anonymes à l'instar des Bitcoins. Une ambiguïté qui ne sera levée que par la jurisprudence. En attendant, prudence donc…


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Lundi 31 Août 2015 à 16:23 | Lu 7319 fois