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Moruroa dans une pub pour une marque de bière fait débat


Tahiti, le 17 décembre 2020 - Mettant en scène l'expédition kiwi dans le Pacifique contre les essais nucléaires à Moruroa en 1995, le nouveau spot publicitaire de la bière Steinlager fait des remous en Nouvelle-Zélande. Les détracteurs lui reprochent notamment de s'approprier l'histoire des peuples du Pacifique pour vendre de la bière.

"En 1995, 97 kiwis ont risqué leur vie pour aider à arrêter les essais nucléaires dans le Pacifique. Il n'y en a pas eu depuis." La déclaration qui apparaît dans le nouveau spot publicitaire de la bière Steinlager fait débat au pays du long nuage blanc. Notamment parce qu'elle est censée illustrer "l'essence de la marque" de bière et le "caractère de défiance des Néo-Zélandais" comme l'explique Geoff Kidd, responsable de la marque.

Tournée par Lee Tamahori réalisateur de "l’Âme des guerriers" sur le célèbre "Go Your Own Way" de Fleetwood Mac, la vidéo d'1,30 minute s'inspire effectivement de l'expédition emblématique de la flottille néo-zélandaise contre les essais nucléaires de Moruroa. Lancée début décembre en perspective de la Coupe de l'America, la campagne profite du 25e anniversaire de la flotte qui s'était courageusement opposée à la bombe dans le Pacifique.

"Steinlager n'a rien à voir avec ça, ce n'est pas son histoire"

Si la production a bénéficié du soutien de deux membres de la flottille, d'autres n'ont pas hésité à dénoncer la démarche du groupe Lion, propriétaire de la marque. Certains membres lui reprochant effectivement de s'approprier les efforts du mouvement pacifique pour vendre plus de bière. "Steinlager n'a rien à voir avec ça, ce n'est pas son histoire", a déclaré Thomas Everth, au média kiwi Newshub. Pour le skipper, ancien membre de la flottille, "l'histoire de ce mouvement appartient aux peuples du Pacifique, en particulier à ceux qui en ont le plus souffert : ceux dont les terres ont été dévastées".

Mais la pub se permet surtout quelques entorses à l'histoire. Déjà parce que la France a poursuivi ses essais jusqu'en 1996, comme le rappelle le magazine d'opinion néo-zélandais The Spinoff. "En ne mettant en avant que les actions des Néo-Zélandais, le film renforce les idéologies coloniales tout en ignorant l'expérience de l'activisme anti-nucléaire dans le Pacifique, épingle le magazine. Il ignore les autres îles du Pacifique qui ont rejoint la flottille comme la 'dream team' des îles Cook qui a navigué de Rarotonga à Moruroa dans le cadre de Vaka ki Moruroa." Le site se défend pour autant de discréditer la contribution de la Nouvelle-Zélande dans l'arrêt des essais nucléaires, mais déplore le fait que la publicité occulte tout le reste. "La flottille de 1995 a certes attiré l'attention des médias du monde entier, mais le mouvement antinucléaire avaient commencé bien avant."

 

"La bataille contre l'héritage de ces tests est permanente"

Le combat est d'ailleurs loin d'être fini, renchérit Thomas Everth. "La bataille contre l'héritage de ces tests est permanente", a-t-il expliqué. "Les gens là-bas luttent toujours pour la reconnaissance des dommages que leur peuple et leur terre ont subi." Le conseil Maori de Nouvelle-Zélande s'est également positionné contre. Matthew Tukaki, son directeur exécutif a déploré une "appropriation historique et culturelle" dans une interview accordée à Newshub en début de semaine. 

Directrice marketing de Lion NZ, Rachel Ellerm assure pour sa part que cette campagne vise simplement à "défendre le meilleur de la Nouvelle-Zélande", c'est-à-dire "ceux qui de l'autre bout du monde prennent position". Elle a d'ailleurs rappelé que la marque a longuement consulté Dan Salmon et Marty Taylor, deux Kiwis qui ont rejoint l'équipage anti-nucléaire à bord du Chimera en 1995. "Pour moi, ce mouvement reflète l'esprit de ce que nous sommes à Aotearoa, a commenté Dan Salmon dans Newshub. Nous sommes prêts à tout, y compris à passer des mois en mer dans de petits bateaux pour faire face à une puissance nucléaire mondiale. Cela fait partie de ce que nous sommes et je suis vraiment heureux de partager cette histoire 25 ans plus tard dans ce film."

Moetai Brotherson, député de la Polynésie française : "Ça montre que les Kiwis se souviennent"

"Je l'ai trouvée plutôt sympathique, décalée, elle m'a fait sourire. Et puis ça montre au moins qu'il y a des Néo-Zélandais qui se souviennent qu'ils ont soutenu la lutte anti-nucléaire auprès des Polynésiens pendant les essais. Après, c'est vrai qu'elle prend des raccourcis, puisque quand tu arrives à la conclusion du clip, on a l'impression que les essais nucléaires se sont arrêtés du simple fait de ces 97 Kiwis. Là, c'est un peu simpliste, et puis c'est oublier tous les autres. Il y a eu des hommes d'églises, des hommes politiques de métropole, les Australiens, les petits états du Pacifique et tous les Polynésiens de Henri Hiro à Oscar Temaru en passant par Roland Oldham. La liste est longue. C'est plutôt bien de rappeler au monde que cette période a existé et que nos voisins du Pacifique se sont levés. Il ne faut pas oublier qu'ils sont venus avec des navires un peu précaires, ça n'était pas les super yachts qu'on voit dans la rade de Papeete. Oscar Temaru les a d'ailleurs rejoints sur le navire de Dave Mc Taggart, l’un des capitaines emblématiques de Greenpeace et du Rainbow Warrior."



Rédigé par Esther Cunéo le Jeudi 17 Décembre 2020 à 18:00 | Lu 4066 fois