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L'homme qui voulait éteindre la nuit


L'homme qui voulait éteindre la nuit
TOURRETTES-SUR-LOUP (Alpes-Maritimes), 24 août 2012 (AFP) - Officiellement, Jocelyn Paris est informaticien du CNRS à l'Observatoire de la Côte d'Azur. Mais c'est une couverture: en réalité, c'est un chevalier de la nuit noire qui combat le fléau de la pollution lumineuse.

"Il y a cinq ans, raconte ce colosse barbu à l'interminable queue de cheval, j'ai pris conscience de cette préoccupation, initiée par les astronomes", mais peu à peu, "je me suis rendu compte que ça gênait de nombreuses autres personnes, des architectes aux géomètres, en passant par les entomologistes."

Envoûté par la nuit noire comme d'autres le seraient par le soleil, il prend alors son bâton de pèlerin et éduque les profanes.

La "pollution lumineuse", explique cet homme de 58 ans lors d'une conférence à Tourrettes-sur-Loup, c'est la lumière artificielle créée par les humains pour améliorer leur quotidien: éclairages de la voirie, des sites culturels ou naturels, enseignes lumineuses, phares des voitures, etc.

Le hic, c'est que cette lumière nocturne a des effets nuisibles non seulement sur l'observation du ciel étoilé mais, plus grave, sur la faune et la flore.

Les premiers concernés sont les insectes et les oiseaux. La lumière, souligne Jocelyn Paris, "fascine certaines espèces et transforme les sources lumineuses en véritables pièges".

Les exemples sont légion: ainsi à La Réunion, les Pétrels de Barau meurent par centaines quand ils tentent de rejoindre l'océan. Attirés par les lumières au sol, ces oiseaux-marins tout juste nés s'écrasent avant même d'avoir atteint la mer.

Même scénario pour les milliers d'oiseaux migrateurs qui s'abattent sur les gratte-ciel allumés en pleine nuit ou pour les bébés-tortues qui, naturellement attirés vers la mer grâce au reflet de la lune, sont désorientés par les rivages éclairés de Floride.

La peur du noir est tenace

Si depuis dix ans, le nombre des points lumineux a augmenté de 30%, pour Jocelyn Paris, l'escalade n'est pas irrémédiable car "l'une des premières causes de pollution lumineuse, c'est l'éclairage public", que "l'on peut faire régresser facilement".

A défaut de moins éclairer, il suffirait déjà de "mieux" éclairer, argue-t-il, en proposant d'éliminer les lampadaires boules et leur flux perdu de lumière vers le ciel ou d'installer des appliques qui s'allument grâce à un détecteur de présence.

L'Association française de l'éclairage (AFE), qui regroupe des spécialistes du secteur, ne dit pas autre chose: "nous devons apprendre à éclairer juste" et "réduire les consommations excessives", reconnaît le responsable de l'association en Nord-Picardie, Bernard Caby, qui suggère de "mieux contrôler les flux lumineux".

Jocelyn Paris, lui, veut aller plus loin: son rêve serait d'éteindre villes et villages afin de "sauver la nuit". "Mais, constate-t-il, il est difficile de faire comprendre aux politiques que la modernité, c'est arrêter d'éclairer".

Selon l'Association nationale pour la protection du ciel et de l'environnement nocturne (ANPCEN), fer de lance de cette bataille, quelque 2.800 communes pratiquent "l'extinction nocturne en milieu de nuit".

Si la hausse du prix de l'énergie milite pour une telle pratique, des données plus subjectives préoccupent les élus.

Ainsi, l'ANPCEN a beau affirmer, chiffres à l'appui, que les routes éclairées ne sont pas plus sécurisées et que les vols et agressions sont commises pour 80% en plein jour, la peur du noir est tenace. Et quel élu acceptera qu'un de ses administrés chute du trottoir le soir en rentrant du théâtre parce qu'il faisait trop sombre ?

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Rédigé par Par Dorothée MOISAN le Jeudi 23 Août 2012 à 22:52 | Lu 1329 fois