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William Bligh, le capitaine aux trois mutineries…


Un portrait du capitaine Bligh. Sa mauvaise réputation n’était pas usurpée : en 1805, il passa en cour martiale et reçut un blâme pour avoir insulté ses officiers à bord de la “HMS Warrior”.
Un portrait du capitaine Bligh. Sa mauvaise réputation n’était pas usurpée : en 1805, il passa en cour martiale et reçut un blâme pour avoir insulté ses officiers à bord de la “HMS Warrior”.
William Bligh, en Polynésie, est toujours associé à l’image d’un capitaine anglais à cheval sur le règlement, venu à Tahiti chercher, à bord de la “HMS Bounty”, des pieds d’arbres à pain, pour les transplanter en Jamaïque, afin de nourrir à moindre frais les esclaves noirs des plantations britanniques. L’expédition, en 1789, se solda, aux Tonga, par une célèbre mutinerie. Mais Bligh eut à affronter d’autres rébellions : au moins deux, dont l’une en Angleterre, l’autre lorsqu’il était gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud. Un seul et même homme pour trois mutineries : l’autoritarisme de ce militaire zélé ne lui valut pas que des honneurs…


Le capitaine Bligh est devenu l’un des marins les plus célèbres de son époque lorsqu’il atteignit, le 15 juin 1789, Coupang, au Timor, sur un canot non ponté, après une extraordinaire et épuisante odyssée de 6 701 km ; le 28 avril, il avait été abandonné, avec une partie de son équipage, au large de Tofua (Tonga) par les mutinés de la “HMS Bounty”. Contre toute attente, Bligh parvint vivant à un comptoir hollandais ; il allait pouvoir rentrer en Angleterre, et la mutinerie la plus célèbre du Pacifique (voir encadré) deviendrait une des grandes affaires de la marine britannique.

7 La plus célèbre gravure de la mutinerie de la HMS Bounty, lorsque Bligh et ses fidèles sont abandonnés en pleine mer, au large des Tonga.
7 La plus célèbre gravure de la mutinerie de la HMS Bounty, lorsque Bligh et ses fidèles sont abandonnés en pleine mer, au large des Tonga.

Mutinerie dans la Tamise

Le procès de la “Bounty” soldé par quelques pendaisons (et quelques grâces), Bligh n’en avait pas fini avec sa carrière de serviteur de l’État ; en 1789, il n’avait que 35 ans et la cour martiale l’ayant blanchi après la perte de la Bounty, il reprit du service, d’abord pour revenir à Tahiti à bord de la “HMS Providence” (de 1791 à 1793) chercher ses fameux plants d’arbre à pain, qu’il ramena avec succès à la Jamaïque, ensuite pour servir sur d’autres vaisseaux. Avec la même rigueur, la même intransigeance et le même souci du règlement. Si bien que personne ne sera étonné d’apprendre qu’en avril et mai 1797, Bligh, alors commandant de la “HMS Director”, fit partie des capitaines concernés par la grève générale des marins de la Royal Navy, baptisée Spithead mutiny.

Le mouvement se solda par quelques avancées sociales, mais il fut quasi immédiatement suivi par une révolte bien plus sérieuse, au mouillage de Nore (estuaire de la Tamise), où étaient ancrés plusieurs navires de la même Royale. Le 12 mai, l’équipage de la “HMS Sandwich” prit le contrôle de son navire. La mutinerie fit tache d’huile et immédiatement, d’autres équipages l’imitèrent. Mais si, à Spithead, il s’agissait d’une même escadre et donc d’un même mouvement, à Nore, les révoltés partirent en ordre dispersé. L’amirauté, qui venait de lâcher du lest quant aux payes et aux conditions de vie à bord, entendait bien, cette fois-ci, ne rien céder, même si les capitaines des navires étaient retenus à bord..

9 Une savante mise en page mettant en scène Bligh, avec une maquette de la Bounty et un pied de ‘uru.
9 Une savante mise en page mettant en scène Bligh, avec une maquette de la Bounty et un pied de ‘uru.

L’équipage de Bligh dernier à se rendre

Une tentative de blocus de Londres se termina mal. Richard Parker, le délégué des mutinés, fut pendu, tandis que le reste des équipages était pardonné. Parker avait eu la mauvaise idée, en prime, de menacer les autorités de lever l’ancre et de livrer les bateaux à la France si ses revendications n’étaient pas satisfaites. Une menace de trahison que désavouèrent les autres marins.

Bligh, bien sûr, n’était pas, cette fois-ci, le responsable direct de cette mutinerie à grande échelle, mais son navire, la “HMS Director”, fut le dernier à hisser le drapeau blanc à la fin de cette révolte. L’équipage était particulièrement remonté contre les conditions de vie à bord. C’est à cette occasion que Bligh apprit qu’il avait un surnom dans la Royal Navy : les marins l’avaient surnommé the Bounty bastard (le bâtard de la Bounty). Son orgueil personnel en fut très affecté…

Ce dessin, d’abord affiché à Sydney, puis amplement reproduit, ruina la réputation de Bligh en Angleterre ; on y montre la mutinerie de Sydney, avec un Bligh lâchement caché sous son lit quand il fut arrêté. À cause de cette caricature, il passa pour un pleutre et un couard, indigne d’occuper une fonction de gouverneur.
Ce dessin, d’abord affiché à Sydney, puis amplement reproduit, ruina la réputation de Bligh en Angleterre ; on y montre la mutinerie de Sydney, avec un Bligh lâchement caché sous son lit quand il fut arrêté. À cause de cette caricature, il passa pour un pleutre et un couard, indigne d’occuper une fonction de gouverneur.

Le drapeau de la Nouvelle-Galles du Sud, lorsque Bligh en fut le gouverneur.
Le drapeau de la Nouvelle-Galles du Sud, lorsque Bligh en fut le gouverneur.
Nommé gouverneur en Australie

De 1801 à 1804, il fut capitaine à bord de quatre autres navires de la Royale, avant de se voir nommé, le 14 mai 1805, quatrième gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud, c’est-à-dire de la colonie anglaise installée en Australie. Il dut cette nomination à deux facteurs : son sens de la discipline, reconnu par tous (y compris l’amiral Nelson, aux côtés duquel il avait servi), et l’intervention de sir Joseph Banks, président de la Royal Society et promoteur du transfert de l’arbre à pain dans la Caraïbe.

C’était un job en or, d’abord parce que la solde était de 2 000 livres / an (deux fois plus que celle de son prédécesseur, Philip Gidley King), ensuite parce que l’Australie naissante était autrement plus excitante à diriger qu’un vaisseau de la marine.
Bligh débarqua à Sydney le 6 août 1806 flanqué de sa fille, Mary Putland, et de son gendre, mais sans son épouse, Elizabeth Betham, qui n’avait pas voulu quitter Londres pour un voyage aussi long qu’incertain. Le couple était marié depuis 1781 et la suite de l’aventure australienne de Bligh eut, sans doute, été différente s’il avait été accompagné de sa femme. Seul aux commandes, le nouveau gouverneur, toujours aussi intransigeant, entreprit de se donner corps et âme à sa mission, dut-il affronter le monde des colons et sa propre administration. Ce qui ne tarda pas à arriver.

400 soldats capturent Bligh

Les libertés prises par certains hommes d’affaires, comme John Macarthur, et par les officiers de la garnison, dont le chirurgien Thomas Jamison (tous trafiquaient du rhum), irritèrent Bligh qui ne supportait pas de voir ce petit monde penser à faire du profit plutôt qu’à servir la Couronne. Tous, ou presque, fraudaient au marché noir, à leur échelle, pour arrondir leurs fins de mois dans une colonie où la vie n’était pas drôle tous les jours.

Bligh, en représailles, multiplia les vexations, les sanctions, les réprimandes, les conflits, au point que le 26 janvier 1808, un an et demi après son arrivée à Sydney, il vit une troupe de 400 hommes en armes encercler sa demeure. Commandés par le major George Johnston, les soldats pénétrèrent dans la “Government House” pour y arrêter, manu militari, le colérique Bligh, qui revécut, à moins de vingt ans d’intervalle, la même humiliation que celle qu’il avait connu à bord de la “HMS Bounty”. Une pétition demandant sa destitution, réunissant plus de 150 signatures, fut adressée au major George Johnston pour exiler Bligh. Le gouvernement rebelle l’expédia à bord de la “HMS Porpoise” à Hobart, en Tasmanie. Sur place, Bligh espérait convaincre les autorités de se joindre à lui pour reprendre le contrôle de la Nouvelle-Galles du Sud, mais sa réputation l’avait suivi et le gouverneur, à Hobart, décida de maintenir Bligh consigné, emprisonné donc, à bord de la “HMS Porpoise”. Il y resta, à l’ancre, pendant deux ans, jusqu’en janvier 1810.

La “révolte du rhum”

La nouvelle de la rébellion mit du temps pour arriver à Londres et la décision du gouvernement anglais mit tout autant de temps à parvenir en Australie : la “révolte du rhum”, comme on l’appela, était déclarée illégale et qualifiée par le Foreign Office de mutinerie. Lachlan Macquarie était désigné nouveau gouverneur.

Bligh quitta aussi vite que possible Hobart pour se rendre à Sydney où il arriva le 17 janvier 1810. Sur place, à défaut de retrouver son poste, il accumula les preuves de la mutinerie et repartit pour Londres où il entendait bien faire valoir ses droits devant une cour martiale, appelée à juger ce qui était sa troisième mutinerie (sa fille, devenue veuve en 1808, s’était, entre-temps, remariée et resta à Sydney). En 1811, le procès tant espéré par Bligh eut lieu : il fut, pour la deuxième fois de sa carrière, acquitté. Mais la sentence pour celui qui l’avait renversé, George Johnston, ne fut pas à la hauteur des espérances de Bligh, qui comptait sur une condamnation à mort. Johnston fut dégradé, renvoyé de la “Royale” sans indemnité, mais put rentrer à Sydney en homme libre ; là-bas, il reprit ses petites affaires lucratives, qui lui permirent de vivre très confortablement…


Nommé amiral

Deux passages en cour martiale pour mutineries, en 1792 et en 1811 (un troisième pour insultes à ses officiers en 1805), cela faisait beaucoup pour un seul homme : l’Amirauté avait compris que si Bligh était un serviteur zélé de la Couronne, son caractère ne permettait pas de prendre le risque de lui confier d’autres commandements sur le terrain. Peu après son acquittement, il reçut une promotion, devenant “rear admiral” (contre-amiral), et, en 1814, il fut même fait vice-amiral (son titre exact était ”vice admiral of the blue”). Ils étaient alors 160 amiraux dans la marine britannique ; l’inflation de titres, façon armée mexicaine, avait considérablement dévalué la fonction.

Contraint de rester à terre, Bligh vit, sans doute avec une certaine amertume, la marine anglaise engagée dans les guerres napoléoniennes ; en ces temps perturbés, les places ne manquaient pas sur des navires, mais jamais plus Bligh ne fut rappelé à un poste de commandement en mer. Bien au contraire, il fut muté à Dublin pour y travailler à l’aménagement de la rivière Liffey et pour y établir une carte précise de la baie de Dublin. Autant écrire que Bligh avait été mis au placard…

Un ‘uru sur sa tombe

Déçu, quelque peu désabusé, Bligh rentra à Londres malade. Il rendit son dernier soupir dans son lit, à Bond Street, le 7 décembre 1817 (à 63 ans) et il repose désormais dans le carré familial du cimetière St.Mary’s, quartier de Lambeth. Sa tombe est facile à reconnaître, puisqu’elle est surmontée d’une vasque d’où émerge une curieuse sculpture symbolisant un ‘uru, fruit de l’arbre à pain qui valut à Bligh d’entrer dans l’histoire…

Ce portrait de Bligh date de l’époque de la “HMS Providence”, à son retour de Tahiti.
Ce portrait de Bligh date de l’époque de la “HMS Providence”, à son retour de Tahiti.

Cinq versions de la mutinerie

On croit volontiers que Hollywood adapta trois fois la mutinerie de la Bounty à l’écran. C’est oublier qu’avant la version avec Charles Laughton en 1935, cette histoire avait déjà fait l’objet de deux autres adaptations.
Voici les cinq acteurs qui redonnèrent vie au colérique capitaine Bligh :
- George Cross dans The Mutiny of the Bounty (1916)
- Mayne Lynton dans In the Wake of the Bounty (1933)
- Charles Laughton dans Mutiny on the Bounty (1935)
- Trevor Howard dans Mutiny on the Bounty (1962)
- Anthony Hopkins dans The Bounty (1984)




En rouge, le trajet de la “HMS Bounty” sous le commandement de Bligh. En vert, l’odyssée de celui-ci après la mutinerie. En jaune, les errances de la Bounty avant sa destruction volontaire à Pitcairn.
En rouge, le trajet de la “HMS Bounty” sous le commandement de Bligh. En vert, l’odyssée de celui-ci après la mutinerie. En jaune, les errances de la Bounty avant sa destruction volontaire à Pitcairn.
La “HMS Bounty” en quelques dates

L’histoire de la mutinerie de la Bounty est bien connue. La voici résumée en quelques dates :
- 1787 : l’Amirauté confie à William Bligh le commandement de la “HMS Bounty”. Objectif : retourner à Tahiti (Bligh y est déjà venu lors du troisième voyage de James Cook) pour ramener en Jamaïque des plants d’arbres à pain, plante appelée à fournir une nourriture abondante aux esclaves des plantations du Nouveau Monde.
- Bligh tente de passer par le cap Horn pour gagner du temps. Après un mois de tempêtes, il fait demi-tour et gagne le cap de Bonne Espérance, puis Tahiti via le sud de l’Australie
- La Bounty stationne cinq mois à Tahiti ; en retard sur son programme, elle doit attendre la bonne saison pour transplanter les jeunes pieds de ‘uru et quitte finalement Tahiti en avril 1789.
- Le 28 avril 1789 : au large des Tonga, Fletcher Christian, le protégé de Bligh et second à bord du vaisseau, prend le commandement avec 18 hommes d’équipage. Bligh et la plupart de ses fidèles sont abandonnés sur une barque non pontée, avec très peu d’eau et de vivres.
- Le 15 juin 1789 : après 49 jours de navigation et de terribles privations, Bligh et ses hommes arrivent au Timor hollandais.
- Le 15 janvier 1790 : après bien des errances, Fletcher Christian et son équipage de mutinés et de Tahitiens et Tahitiennes découvrent Pitcairn, où ils s’établiront pour échapper à la Royal Navy.
- Le 23 juin 1790 : Christian fait brûler la Bounty pour éviter toute tentative de retour à Tahiti.
- Octobre 1790 : Bligh est relaxé par la cour martiale pour la perte de la Bounty.
- Le 7 novembre 1790 : la “HMS Pandora” quitte Londres pour Tahiti, avec mission de retrouver les mutinés de la Bounty et de les ramener pour qu’ils soient pendus.
- Mars 1791 : la Pandora arrive à Tahiti qu’elle quitte en mai, avec 14 prisonniers.
- Le 30 août 1791 : la Pandora coule sur un récif de la Grande Barrière de corail en Australie.
- A partir du 12 septembre 1792, dix survivants de la mutinerie seront jugés à Londres après que les rescapés de la Pandora eurent gagné Kupang, puis Batavia. Trois seulement furent exécutés.
- En février 1808, le capitaine Mayhew Folger, à bord du Topaz, découvre à Pitcairn le dernier survivant de la mutinerie de la Bounty, John Adams, entouré de quelques femmes et de leurs enfants.


Rédigé par Daniel Pardon le Vendredi 10 Juin 2016 à 10:40 | Lu 2186 fois