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Village Tahitien et projet de Hao : Fritch "inquiet" mais "optimiste"


PAPEETE, 26 février 2019 – Le président Edouard Fritch a accepté de recevoir Tahiti Infos afin de dresser un point sur l’actualité, quelques jours après l’adoption par le Sénat du projet de toilettage statutaire et alors que se tiennent cette semaine à Papeete la 17e réunion de l’Octa et le forum des pays et territoires d’outre-mer de l’Union européenne. L’occasion également d’un point sur l’état d’avancement des projets aquacole de Hao et du projet de complexe touristique Village tahitien à Punaauia.  

Cela fait maintenant 4 ans que le projet de toilettage du statut du Pays est à l’étude. Etes-vous satisfait de la mouture qui sera présentée à l’examen de l’Assemblée nationale en avril prochain ?
Edouard Fritch : Dans ces réflexions de toilettage, de remise à niveau du statut, on n’est jamais complètement satisfait. (…) Mais nous nous sommes donné trois objectifs. Le premier est de traduire dans le statut la reconnaissance des conséquences des essais nucléaires en Polynésie française. C’est pratiquement fait. Le deuxième est de rendre ce statut un peu plus efficient, en réduisant des délais, en essayant d’alléger certaines procédures, etc. Je dirais que là aussi nous avons obtenu 80 % de ce que nous souhaitions. Le troisième objectif concernait nos relations avec les communes et en particulier tout ce qui est communauté de communes, compétences à déléguer aux communes. Là aussi le travail fait par le SPC (Syndicat pour la promotion des communes, NDLR), par le Haut-commissariat et nous-même a pratiquement abouti.
En résumé, je suis tout de même satisfait de ce que nous avons obtenu. Cela n’a pas été facile. Il a fallu négocier pied à pied depuis pratiquement 6 mois. Aujourd’hui on se retrouve avec un outil qui promet d’être plus performant que ce qu’il était.

Justement, un élargissement des compétences données aux collectivités territoriales, notamment en matière de recouvrement des impôts locaux, est prévu par ce texte. Il s’agit de favoriser le développement de l’intercommunalité. Mais cela ne rogne-t-il pas dans le même temps les compétences du Pays ?
Il faut se souvenir que la position du gouvernement, de la présidence, a beaucoup évolué depuis 4 ans sur cette question. Je l’ai dit, dès mon arrivée aux affaires du Pays : je ne conçois pas un redressement financier, économique, de ce pays sans le soutien, sans l’accompagnement des communes. On l’a vu, encore dernièrement suite à la dernière réunion du Comité des finances locales, les communes brassent beaucoup d’argent. Financièrement, on peut affirmer qu’elles contribuent au développement de ce pays. Et une des voies possibles, qui permette aux communes de participer de façon beaucoup plus franche et forte à ce développement, est celle des communautés de communes. (…) Les communes ont intérêt à se regrouper pour se prendre en charge et faire des économies structurelles. Et puis, lorsqu’on voit le cas des Marquises, ou celui des îles Sous-le-vent, le regroupement en communauté de communes permet d’envisager des projets d’une autre nature, beaucoup plus important pour chacune des communes concernées : traitement des ordures ; production et livraison d’électricité, etc. Il y a des exemples comme cela qui permettent d’illustrer l’intérêt qu’elles ont à se regrouper. Mais la procédure administrative ne nous permet pas aujourd’hui d’élargir plus les compétences dont peuvent avoir besoin les communes. Si elles veulent se mettre en communauté de communes, il faut que le Pays leur donner la compétence en matière d’aménagement du territoire, et partiellement en matière de développement économique. Cela n’est pas suffisant.
 
La compétence en matière de recouvrement de certains impôts aussi ?
Les communes expriment en effet depuis un certain temps le besoin d’une fiscalité locale afin de contribuer mieux à leur budget. Ce projet a du mal à voir le jour, parce que l’éclatement géographique du pays est tel qu’il n’est pas évident qu’il soit dans l’intérêt des communes de se constituer des bureaux de recouvrement, des contrôleurs, voire des inspecteurs pour vérifier la véracité des déclarations d’impôt. Donc le Pays porte encore cette fiscalité.
Mais il y a d’autres compétences pour lesquelles les communes savent faire. Je pense au logement, je pense aux affaires sociales et à l'assistance sociale aux populations : qui mieux qu’un maire connait les besoins de sa population ? Je pense à la jeunesse et aux sports, parce que là aussi les communes investissent souvent sans attendre l’aide le Pays.
Au travers du nouveau statut, nous ouvrons la possibilité, dans le cadre des communautés de communes, d’une délégation beaucoup plus large des compétences du Pays. C’est un partenariat que j’ai envie de construire avec les communes, sur des compétences partagées avec le Pays. (…)
Bien sûr que les communes sont très intéressées par le recouvrement de certains impôts dans les îles. Je pense notamment aux concessions maritimes aux Tuamotu. Mais aussi de pouvoir participer, au travers d’investissements financés par le Pays, à la mise en œuvre de certaines infrastructures.
Le toilettage du statut vise à faciliter une plus grande synergie entre le Pays et les communes.
 
Le week-end dernier, la façade d’un immeuble de Papeete s’est effondrée. Par le biais de cette synergie renforcée le nouveau statut permettra-t-il à l’avenir de réglementer pour remédier à ce genre de phénomènes ?
Au niveau du statut je n’ai pas en tête d’article spécialement écrit pour cela. Mais je crois qu’au niveau des communes, le maire a la compétence pour réglementer en matière sanitaire ou lorsqu’il y a un danger pour la population. Mais pour revenir à votre exemple, il s‘est agi d’une petite corniche. Il me semble que la structure de l’immeuble est saine et qu’une rénovation est en cours.
 
Il s’agissait, à travers cet exemple, d’évoquer l’état de certains immeubles sur le front de mer de Papeete.
Oui, effectivement, quand on voit tous les travaux, tout ce que l’on investit comme argent sur le front de mer pour rendre Papeete plus attrayant, plus beau, il y a peut-être en effet une réglementation qui manque. Une réglementation qui prévoirait l’obligation, pour les propriétaires d’immeubles, de procéder à des ravalements, à des actions de sécurisation, etc. Je ne vois pas d’article qui puisse obliger quiconque à entretenir son immeuble (…). Peut-être faut-il trouver une mesure incitative pour faciliter. (…) Il faut y réfléchir, fort heureusement samedi la corniche est tombée sur une voiture et non sur une personne.

Nucléaire : "Je pense que ce dossier a beaucoup avancé, quand même"

Le nouveau statut d’autonomie porte également en lui une mesure symbolique forte avec la reconnaissance par l’Etat du Fait nucléaire. S’il était adopté, que peut-on concrètement attendre de cette déclaration de principe ?
Je crois qu’il faut d’abord rappeler que c’est une demande qui date depuis déjà plusieurs années. On s’est toujours plaint qu’il n’y ait pas de la part de l’Etat une reconnaissance gravée dans le marbre à la suite de ses essais nucléaires, mis à part la dette nucléaire mise en place par Jacques Chirac. Mon seul souci, lors de la visite de François Hollande en Polynésie (février 2016, NDLR), était d’avancer sur cette reconnaissance des conséquences du nucléaire. J’avais dit au président de la République que c’était un caillou que nous trainions tous deux dans la chaussure et qu’il fallait l’enlever. Aujourd’hui, nous concrétisons les annonces faites par le président de la République à Papeete et son engagement au travers de l’Accord de l’Elysée. La reconnaissance du Fait nucléaire est aujourd’hui sur le point d’être gravée dans le marbre. Cela est une source de satisfaction intellectuelle et morale.
Mais en effet cette satisfaction doit maintenant s’accompagner d’une autre satisfaction qui nous manque aujourd’hui : la pérennisation de cette dette nucléaire, qui a subi quelques coups de rabot, dans le passé. Nous avons obtenu que la DGA (les 10,8 milliards Fcfp par an de Dotation globale d’autonomie, NDLR) soit logée au titre des recettes. C’est-à-dire que nous devrions avoir des garanties pour que 60 % des 18 milliards de la dette nucléaire soient intouchables. Reste la problématique de l’enveloppe de 1 milliard aux communes et du Troisième instrument financier. Sur le principe, ils font aujourd’hui l’objet d’engagements de la part de la ministre des Outre-mer. Elle s’est engagée à travailler pour que cette dette de l’Etat ne soit plus rabotée.
Il n’est pas possible de mettre dans une loi organique un engagement financier de l’Etat. Je ne voulais pas que tout l’article saute à cause d’une disposition inconstitutionnelle. Nous avons donc inscrit dans la loi simple qui accompagne la loi organique, la volonté de l’Etat de préserver la DGA. Restera à travailler sur le reste. (…)

Les associations estiment pourtant que la mouture de la loi Morin votée fin décembre dernier, porte en elle une mesure propre à limiter le niveau d’indemnisation avec le seuil minimal d’exposition de 1 mSv/an. D’un côté le Fait nucléaire serait reconnu mais de l’autre on pose des barrières. N’y a-t-il pas là un double langage ?
Référez-vous à la circulaire de M. Christnacht du mois de mai dernier : ce seuil minimal de 1 millisievert par an était déjà utilisé par le Civen Civen (le Comité d’indemnisation des victimes du bucléaire, NDLR) comme référence en 2018. Ce seuil apparaît dans le Code de la santé national. La difficulté pour le Civen était que cette référence soit reconnue quelque part. Ce qui a changé depuis le mois de décembre, c’est l’inscription dans la loi Morin de ce seuil de 1 mSv d’exposition par an. Pourquoi voulez-vous, puisque aujourd’hui c’est inscrit dans la loi, que le nombre de dossiers chute subitement ? Non. Je comprends les associations. Bien sûr que certains ont l’impression que l’on nous donne de la main gauche pour récupérer de la droite. Que d’autres ont l’impression que rien n’est fait du tout. Je pense que ce dossier a beaucoup avancé, quand même. Et que l’Etat a beaucoup contribué à cela. (…) Dès lors que l’on reconnait que des retombées ont été constatées sur les populations, on reconnait que ces maladies existent. Aujourd’hui, le nombre de dossiers traités est en forte augmentation. Non seulement on reconnait mieux et plus facilement les maladies radio-induites, mais en plus le Civen nous envoie du monde, ici, pour estimer l’indemnisation. A mon avis, il est difficile de faire mieux.
 
Les craintes des associations ne sont pas fondées selon vous ?
Je ne sais pas sur quoi reposent ces craintes. Quand je vois que l’on me reproche d’aller à New York pour protéger l’Etat français et oublier le Polynésien, je ne comprends pas ce que ça veut dire. Nous nous battons depuis un moment pour le statut d’autonomie, sans en faire un cheval politique. Je n’en ai même pas parlé lors de la dernière campagne électorale. Pourquoi aujourd’hui dois-je entendre ce genre d’accusations : on me traite de menteur, de traître (…). Rien de tout cela n’est pas compréhensible pour moi. Mais je n’en suis pas plus fâché. L’essentiel pour moi – la mission que la population m’a donné – est d’essayer de faire aboutir de façon à ce que les anciens travailleurs de Moruroa ne soient pas laissés dans une peine et dans cette situation qui n’est pas tenable aujourd’hui.

Forum des PTOM : "l’enjeu de ce sommet est la redistribution des cartes" après le Brexit

La 17e conférence de l’Octa se tient cette semaine à Tahiti. La ministre Annick Girardin est attendue le 28. Qu’attendez-vous de ce sommet ?
Ce que j’attends de ce sommet, c’est la redistribution des cartes. La réunion des pays et territoires d’outre-mer de l’Union européenne qui se tient mercredi (27 février, NDLR), sera une réunion de mise au point. Les uns et les autres nous allons mettre sur table l’avancée de nos dossiers, de nos demandes. C’est un moment d’évaluation. C’est la raison pour laquelle tout le monde vient en un même lieu.
La deuxième préoccupation concernera le 12e FED (programmation de l’aide communautaire du Fonds européen de développement de 2020 à 2025, NDLR). Il faut que l’on s’y prépare. La Polynésie doit revoir ses objectifs afin d’intégrer nos ambitions en matière de tourisme, et prendre en compte les problématiques d’environnement et d’assainissement auxquelles sont confrontés les maires aujourd’hui.
Mais l’enjeu de ce sommet est la redistribution des cartes. Nous avons aujourd’hui quatre nations concernées par l’Octa : la France, la Grande Bretagne, le Danemark et la Hollande. Avec le Brexit, l’Angleterre va sortir de l’Europe. Et par conséquent, ses territoires d’outre-mer (neuf, NDLR) vont également sortir de l’UE. On ne sait pas trop pour l’heure dans quelles conditions va se faire la redistribution au niveau des financements. Nous attendons avec beaucoup d’intérêt ce que vont nous annoncer les responsables de Bruxelles qui font le déplacement. Un ministre est attendu mercredi soir pour présider le forum des pays d’outre-mer, en présence des responsables des tutelles. C’est la raison pour laquelle jeudi soir Mme Annick Girardin vient pour intervenir au forum des Pays et territoires d’outre-mer, vendredi, aux côtés des responsables du Danemark, de la Hollande et de la Grande Bretagne.
Cette réunion de l’Octa en Polynésie française sera probablement la dernière dans sa forme actuelle. (…) Le sujet intéressant, pour nous, est qu’avec le Brexit nous serons, avec la Calédonie et Wallis-et-Futuna, les seuls représentants de l’Europe dans le Pacifique. Les seuls PTOM dans le Pacifique seront français. Nous devons nous entendre avec nos amis calédoniens et wallisiens pour tirer profit de cette situation, avec le soutien de l’Etat qui devra nous défendre sur la plateforme bruxelloise.
 
Cela pourrait se traduite par des moyens financiers européens renforcés ?
J’espère. Je me fais de très gros soucis pour les problèmes d’assainissement. Nous avons jusqu’à présent demandé à l’Europe de nous accompagner sur les infrastructures liées au développement touristique. Pour le 12e FED, nous allons revenir sur le cœur, c’est-à-dire sur l’assainissement dans nos communes. Il faut que les fonds européens nous aident à assainir Papeete, Faa’a, Punaauia, Pirae et Arue. Nous avons là des communes de l’agglomération urbaine qui regroupent pratiquement 60 % de la population polynésienne et qui ont de gros besoins d’assainissement.

Ferme aquacole de Hao et Village tahitien : "Ces grands projets deviennent une nécessité pour nous."

Pour ce qui concerne les projets de développement. Où en sont les grands projets de Hao et du Village tahitien ?
Pour ce qui concerne le Village tahitien, le vice-président a reçu dernièrement le promoteur (Tukuroirangi Morgan du groupement Kaitiaki Tagaloa, NDLR). Il a déposé ce qui constitue la caution financière. Je crois qu’il s’agit d’un million de dollars, je n’ai pas le chiffre exact en tête. On prend acte de ce dépôt. La signature du contrat qui finalisera le programme d’investissement devrait se faire d’ici la fin mars. Le vice-président a prévu un déplacement sur la Nouvelle-Zélande pour des rencontres préalables à la signature. Je touche du bois. J’espère que nous pourrons continuer à travailler avec ce groupement d’investisseurs.
En ce qui concerne Hao, je crois que M. Wang Chen – avec qui je dois avoir un échange le 5 mars prochain – a lancé sur place la préfabrication de certains éléments pour les hangars sur place. Parallèlement, M. Wang Chen nous a demandé quelques modifications sur le permis de construire. Il s’agit de modifications à la marge, pour des questions techniques. J’espère qu’enfin ce chantier va voir le jour dans les semaines à venir. J’attends le départ d’un bateau depuis Shanghai, d’ici la fin mars et ce serait le top départ de ce projet. Cela confirmerait en tout cas qu’il n’y a pas abandon du projet. Je reste optimiste.
 
Les gens sont très pessimistes, rien ne semble avancer ni d’un côté, ni de l’autre. Vous comprenez cela ?
Bien sûr que je les comprends. Moi aussi je suis parfois pessimiste. J’ai investi beaucoup d’énergie avec les membres du gouvernement pour mettre en place des infrastructures à Hao. Nous avons voulu aller très vite. Aujourd’hui, cela fait 10 mois que tout est en panne. Je suis inquiet. (…) Mais je reste optimiste : je pense que Hao verra le jour.

Et le Village tahitien ?
Aussi.

On a besoin de ces deux projets ?
Oui. Il nous faut booster l’emploi. On crée de l’emploi mais cela ne va pas suffisamment vite. Il nous faut ces deux projets. Et surtout celui de Punaauia. Car derrière, il y aura des effets induits en matière d’embauche pour le fonctionnement des établissements hôteliers. (…) Ces grands projets deviennent une nécessité pour nous.

On sait que la reprise par le groupe de Dominique Auroy de la radio Taui FM est justifiée par un projet de web TV. Un tel projet est-il selon vous éligible à l’aide publique locale, comme semble le laisser entendre avec « confiance » Jean-Christophe Bouissou dans un entretien publié le 19 février ?
Pourquoi a-t-il dit ça ? A priori non, s’il vous faut une réponse courte. Si on commence à financer les web TV, des candidats il y en aura beaucoup. Cela n’a rien de comparable avec ce que nous apportons comme financements pour Tahiti nui télévision (…). La réponse est donc non, sauf si d’ici là on arrive à me convaincre qu’il s’agit d’une priorité.
 
Et par le biais du dispositif de soutien à la création audiovisuelle ?
Avec le SCAN, nous subventionnons des productions de films, ce n’est pas pareil. Cela n’a rien à voir. En tous les cas, je n’en ai jamais parlé autour de moi. Ce n’est pas un projet que j’ai en tête. Nous avons tellement besoin d’argent pour d’autres secteurs. 

Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Mardi 26 Février 2019 à 19:00 | Lu 3497 fois