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Un petit moucheron qui pose de gros problèmes aux Marquises !


Ua Pou, le 10 juillet 2021 – La Polynésie française subit l’invasion d’une espèce de moucheron qui était absente il y a quelques années sur territoire. Cette espèce inadaptée à la biologie locale prolifère sans prédateurs. Les Marquises, jusque là épargnées, commencent à signaler la présence du moucheron dans certaines vallées. Un déséquilibre qui soulève la question de la responsabilité humaine dans les écosystèmes.
 
« C’est pareil tous les soirs depuis bientôt un mois ! ». Tuereni Mariette Tapati, habitante de la vallée d’Hakahetau n’en peut plus. Envahie par des nuées de moucherons chaque soir dès que le soleil disparaît, elle doit maintenant s’adapter comme elle le peut à cette nouvelle nuisance « Nous sommes obligés de vite diner avant qu’il fasse nuit, sinon impossible de manger ! Ils envahiraient nos plats. La situation n’est pas évidente, surtout quand on a un bébé et qu’on doit faire le biberon dans la nuit, hors de question d’allumer la lumière sous peine de les voir revenir par centaines ! ».

Ce moucheron semble être de la famille Sciaridae, une espèce très invasive qui n’était pas présente en Polynésie jusqu’à ce qu’elle fasse son apparition à Tahiti il y a quelques années. Le reste des îles de la société n’a pas tardé à faire aussi la connaissance de ce que l’on appelle aussi les mouches de terreau, puis le fléau s’est répandu dans les Tuamotu, puis aux Gambier avant d’apparaître aux Australes il y a tout juste quelques mois. Les Marquises qui semblaient jusque là échapper à la menace, probablement du fait de leur éloignement, commencent à recenser quelques cas d’invasion de ces moucherons nocturnes. Notamment dans quelques vallées de l’île de Ua Pou où Hakahau, le village principal, semble pour l’instant ne pas être concerné par le problème.

Le cycle de vie des sciaridés est de trois semaines, trois semaines au cours desquels les femelles pondront jusqu’à 160 œufs chacune. La prolifération de l’espèce est encouragée par une terre humide, elle se nourrit de matière organique comme de la mousse, des algues, de jeunes feuilles tendres voire de racines. Les dégâts sur l’agriculture ne semblent pas être inquiétants pour le moment mais d’autres se posent comme la nuisance insupportable provoquée par les hordes d’insectes qui entrent dans les maisons à la nuit tombée. Certains problèmes de santé liés à la présence du moucheron dans les foyers, comme de l’asthme ou des réactions allergiques, ont aussi été signalés par les médecins des archipels.

« Dans la nature, rien n’est blanc ou noir ! »

Pour Ludovic Verfaille, seul vétérinaire de l’archipel des Marquises, « l’écosystème est un phénomène complexe dont les rouages échappent souvent à notre compréhension. ». Le vétérinaire déplore les multiples introductions volontaires ou involontaires d’espèces par l’homme qui ont conduit à des désastres écologiques. Ludovic prend comme exemple le cas des Merles des Moluques, introduit par l’homme en Calédonie afin de manger les tiques de bétails. Les merles n’ont pas réglé le problème des tiques mais en ont posé d’autres, notamment en entrant en concurrence avec les autres espèces d’oiseaux locales. « L’évolution de l’écosystème dans les îles isolées s’est faite en vase clos durant des milliers d’année. Cela rend ces écosystèmes fragiles et très sensibles à l’arrivée d’une nouvelle espèce. Mais la nature est pleine de ressources et en lui laissant du temps elle finit toujours par retrouver un équilibre, même si parfois il est moins favorable qu’avant. Il arrive parfois que cela mène à la disparition d’une espèce comme le Pihiti qui ne subsiste encore à Ua Huka que parce que le rat noir n’y est pas encore présent. ».

Sur l’île de Fatu Hiva, l’association Manu SOP élimine les rats et les chats comme elle peut pour protéger le Monarque, endémique de l’île. « C’est une lutte acharnée qui a l’avantage de protéger une espèce en voie de disparition mais ça n’est pas un équilibre naturel, le Monarque est maintenu en vie par l’intervention de l’homme, le jour où on arrêtera de chasser les rats : le Monarque disparaitra. ». Ludovic Verfaille estime qu’il est difficile d’intervenir dans un écosystème sans faire de dégâts. « A Nuku Hiva on a essayé d’éliminer le nono. Pour l’éradiquer des tonnes d’insecticides ont été disséminées simultanément dans toutes les vallées de l’île. Cela n’a pas été très efficace car les pluies ont drainé le produit jusqu’aux rivières ce qui a tué les chevrettes et d’autres insectes qui étaient importants pour l’écosystème, le nono lui est toujours là … Dans la nature, rien n’est blanc ou noir ! Même les abeilles, que j’affectionne, peuvent poser des problèmes si on les introduit au mauvais endroit. ».

​Alors que faire ?

En attendant que la nature trouve une solution, les hommes peuvent s’adapter et ralentir la propagation du phénomène par des méthodes naturelles. Pour commencer, une couche de sable ou de gravier disposée en surface d’un sol terreux aux abords du foyer ralentira la reproduction des femelles en asséchant les lieux de ponte. Ensuite, il y a le traditionnel piège à glu qui est un excellent frein à la reproduction mais qui ne capte pas énormément d’individus. Thomas Moutame, récemment élu président de la CAPL, nous a fait part de la solution la plus efficace selon lui : « Il existe une méthode naturelle et efficace qu’un maximum de personne devrait appliquer si l’on veut se débarrasser de ce nuisible. Il faut allumer et suspendre un moripata (lampe à pétrole) quelque part puis, remplir une bassine d’eau savonneuse et la mettre sous la lampe, éteindre toutes les autres lumières et attendre. Tous les moucherons vont soit tomber dans l’eau directement, soit griller sur la lampe et tomber dans l’eau. »

Dans la plupart des îles où le phénomène a été constaté, l’équilibre est revenu dans les mois qui ont précédé l’arrivée du fameux moucheron. Pour Thomas Moutame le problème est préoccupant mais « la nature offre toujours des solutions ». Il est néanmoins possible de l’aider tant que les méthodes employées ne créent pas d’avantage de problèmes qu’elles n’en résolve.

Rédigé par Jean Ollivier le Samedi 10 Juillet 2021 à 16:19 | Lu 4147 fois