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Un marché sous le SMIG à Papeete


Tahiti, le 14 novembre 2019 - En octobre dernier, la mairie de Papeete a lancé un appel d’offres public destiné aux sociétés de gardiennage pour renouveler l’ensemble des contrats de surveillance de ses bâtiments municipaux. Problème soulevé par la CSTP-FO et A Tia I Mua : en appliquant le montant maximum alloué au marché, les agents seraient payés sous le SMIG...

Surveiller tous les bâtiments gérés par la mairie de Papeete n’est pas une mince affaire. Des dizaines de sites répartis dans toute l’agglomération doivent être gardés en journée, certains sont surveillés la nuit, d’autres ne nécessitent qu’une ronde régulière… En tout, plus de 40 000 heures de travail annuel, pour un marché de plus de 60 millions de Fcfp attribué à des entreprises privées.

La mairie de Papeete tente donc de maîtriser ces coûts en procédant à un appel d’offre public tous les quatre ans maximum. En tout, la mairie se dit prête à dépenser entre 17,5 et 62 millions Fcfp pour ses gardiens. Une belle somme… Mais peut-être insuffisante, puisque la procédure a vite dégénéré. Plusieurs entreprises de gardiennage ont identifié un gros problème sur l'un des quatre lots concernés (le lot numéro 1, qui concerne principalement l'hôtel de ville et le marché de Papeete).

Elles ont donc envoyé un courrier commun à la direction des Finances de la commune : "Nous, les dirigeants signataires de la présente, sommes au regret de vous informer que les conditions d’encadrement tarifaire stipulées à l’article 1-3 Décomposition de l’appel d’offre précité ne nous permettent pas de vous proposer une réponse viable pour nos sociétés." Selon leurs calculs, une fois la TVA, les charges sociales, les congés payés et les 20 % de majoration pour le travail les week-ends et jours fériés déduits, ils devraient payer leurs salariés sous le SMIG horaire !

La mairie a répondu à ce courrier en niant les calculs des entreprises, assurant que "Le montant moyen des lots a été calculé au plus juste sur la base d’un montant de dépenses moyennes sur les quatre dernières années". Ce n’est pas écrit explicitement, mais on comprend que le coût moyen horaire que la mairie est prête à investir dans ce gardiennage est de 1 509 Fcfp TTC maximum (soit 1 372 Fcfp de l’heure hors taxes), ce qu’elle considère comme très largement au-dessus du SMIG.

Notons que la direction des Finances de Papeete a globalement peu apprécié le courrier signé par les plus grosses entreprises du marché du gardiennage, les soupçonnant par écrit de s’arranger entre eux pour la "répartition des marchés". La directrice des finance les met en garde dans sa réponse : "Lors des analyses des offres, si je suspecte la moindre 'entente', je n’hésiterai pas à alerte l’Autorité polynésienne de la concurrence afin qu’elle instruise et diligente une enquête administrative sur ce dossier."

Les syndicats contre l'exploitation des salariés et le travail au noir

Pourtant dans cette affaire les patrons ont reçu un coup de main inattendu… Entrée en possession de la réponse de la direction des Finances de la mairie de Papeete, les confédérations syndicales CSTP-FO et A Tia I Mua se sont offusquées des tarifs proposés par la municipalité. Dans une lettre ouverte envoyée à la ministre du Travail, à la mairie de Papeete, à la Présidence et à la direction du Travail (aucun n’a répondu), les syndicats calculent que les prix proposés par la mairie conduisent à des salariés payés sous le salaire minimum (voir encadré pour le calcul) :

"Le salaire minimum à payer par les entreprises en respectant la loi pour l’appel d’offre serait donc de 1 376,86 Fcfp, soit 5 Fcfp de plus que ce que la mairie exige dans l’appel d’offre précité. De surcroît, ce prix ne comprend que l’agent nu sans son équipement, la logistique qui l’accompagne, une petite ancienneté, les éventuels arrêts maladie, etc…"

Les syndicats assurent ne pas s’émouvoir des problèmes financiers des entreprises… Par contre, les salaires plus bas que le SMIG s’apparentent pour eux à une exploitation des salariés. Alternativement, ces contrats pourraient pousser les entreprises vers des fraudes à la CPS et le travail au noir. Dans la lettre ouverte, les représentants des salariés assurent que "nos organisations syndicales, attachées au respect des droits des salariés et au progrès social, ne peuvent agir efficacement si les autorités ne luttent pas avec vigueur contre le travail clandestin qui nuit gravement au développement de l’économie locale et aux salariés."

"Il peut y avoir des erreurs dans nos calculs"

La mairie de Papeete a accepté de nous répondre sur ce sujet, via Rémy Brillant, directeur général des services. Il explique que les entreprises gagnantes ayant été choisies, il y a un délai de 16 jours pendant lequel la mairie ne peut s’exprimer sur l’appel d’offre, le temps que les perdants fassent leurs remarques. Mais sur le principe général, "les marchés à commande sont fait quand le besoin est susceptible de varier au courant de l’année. Donc sur le lot 1 (celui qui concentre les critiques, ndlr), le minimum qu’on a estimé c’est 2 millions s’il y a peu de besoins dans l’année, et le maximum c’est 5 millions... S’il y a un soucis avec le maximum et qu’il y a des besoins supplémentaires, on peut abonder les crédits. Mais là, le marché entier avec les quatre lots dépasse les 60 millions de francs, donc pour une entreprise, ça peut s’équilibrer. Il peut aussi y avoir des erreurs dans nos calculs, c’est facilement rattrapable. Là, l’idée c’est de mettre les entreprises en concurrence, de voir les offres qu’elles peuvent faire. Plusieurs entreprises ont répondu à l’appel d’offre, elles ont fait leurs calculs et devaient s’y retrouver."

Reprenant l’argumentaire de la directrice des finances de la commune, il assure également que "ce qu’on ne souhaite pas c’est qu’il y ait une entente, là ça devient anticoncurrentiel. S’il y a quatre entreprises qui discutent entre elles, ça ne fait pas le jeu de la concurrence, mais après ça les regarde."

Les entreprises concernées répondent qu'il est tout à fait légitime que des entreprises d'un même secteur s'adressent collectivement aux pouvoirs publics quand elles identifient un problème. C'est d'ailleurs le cœur de l'action d'institutions comme le MEDEF, la CPME ou les branches. Les entreprises de gardiennage assurent de plus qu'elles sont en totale concurrence pour répondre aux marchés publics... En tous cas à ceux qui les autorisent à payer leurs salariés aux tarifs réglementaires.

Le calcul des patrons et des syndicats

Le SMIG Horaire est à 904,82 francs
+ 31 % de charges CPS = 1185.31 francs
+ cinq semaines de congés payés = 1303.85 francs brut de l’heure

Le lot 1 de l’appel d’offre de la mairie prévoit 3 312 heures travaillées, dont 728 heures le dimanche et au moins 196 heures les jours fériés. Ces heures sont majorées conventionnellement à 20 %.

-> Salaire minimum à payer pour le lot 1 : 1 376,86 Fcfp
-> Tarif horaire net proposé par la mairie aux entreprises : 1 372 Fcfp


Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Jeudi 14 Novembre 2019 à 17:49 | Lu 3910 fois