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Un compte en banque coûte toujours deux fois plus cher à Tahiti


PAPEETE, le 19 octobre 2018 - Les frais de tenue de compte sont toujours deux fois plus élevés en Polynésie qu'en métropole, malgré les accords de 2014 qui voulaient aligner les tarifs bancaires entre Tahiti et le reste de la France. Certaines banques se sont même rattrapées sur les professionnels en faisant exploser leurs frais.

Le dernier Observatoire des tarifs bancaires publié par l'IEOM décortique les tarifs pratiqués par les quatre banques locales pour leurs clients particuliers. Il a été créé en 2014, dans la continuité des efforts engagés par le ministère des Outre-mer depuis 2012 pour que les tarifs bancaires des territoires et collectivités d'outre-mer rejoignent ceux de la métropole.

A l'époque, les banques risquaient de voir tous leurs tarifs se faire réglementer s'ils ne procédaient pas à une forte baisse de leurs prix, ils ont donc joué le jeu de la modération tarifaire. Et effectivement, la première année ils ont fait d'importants efforts en supprimant tous les frais de mise en place d'une autorisation de prélèvement et en baissant le prix des cartes de paiement.

Depuis, les réductions de frais bancaires se sont taries. En 2015, les frais d'intervention ont un peu baissé. En 2017, les changements étaient cosmétiques avec des baisses et des hausses équivalentes, et depuis l'année dernière c'est le calme plat. Au moins les prix n'ont-ils pas augmenté… Parmi les tarifs contrôlés.

Pourtant, l'Observatoire montre bien que nous sommes très loin d'avoir rattrapé la métropole. Les frais de tenue de compte sont en moyenne de 4 097 francs par an en Polynésie, contre 2 236 francs en métropole. Et encore, heureusement que l'OPT a de très bons prix (à 2 400 francs par an de frais de tenue de compte) et tire la moyenne vers le bas. Les clients de la Socredo, eux, paient 5 136 francs par an pour le privilège :

Comparez les frais des différentes banques polynésienne grâce à ce tableau fourni par l'Observatoire des tarifs bancaires 2018.
Comparez les frais des différentes banques polynésienne grâce à ce tableau fourni par l'Observatoire des tarifs bancaires 2018.
Pour les autres types de frais, comme les carte de paiement même internationale, la Polynésie est à des prix similaires que la métropole. A noter également que les banques métropolitaines offrent souvent des forfaits bancaires où tout est compris, y compris l'assurance et les cartes de paiement, ce qui rend les comparaisons directes entre les offres métropolitaines et tahitiennes difficiles. Il y a également la concurrence des banques en ligne qui tire la moyenne des prix vers le bas en métropole.

Patrice Tepelian, directeur général de la Banque de Tahiti et président du Comité des banques de Polynésie Française, nous explique que "en 2014, nous avions signé un accord avec des objectifs de baisse en quelques années, mais nous avions décidé de les appliquer directement. Depuis, nous nous appliquons à ne pas augmenter nos frais, alors même que nos charges augmentent. Concernant les frais de tenue de compte spécifiquement, l’écart avec la métropole se contracte toujours, mais par un mouvement inverse : alors qu'ils ne bougent pas en Polynésie, ils augmentent en métropole !"

Les banques offrent de nouveaux services mais payent toujours autant de taxes

Selon Patrice Tepelian, les établissements bancaires de la place compensent ces baisses de prix pour leurs clients en développant de nouveaux services : "La Banque de Tahiti a développé ses activités d'assureur, a lancé un nouveau service de monétique, le paiement par TPE, qui marche très bien. Nous sommes bien conscient que nous ne pouvons pas développer notre clientèle en augmentant nos tarifs. Nous n'allons pas augmenter d'autres frais chez d'autres clients pour compenser, nous ne cherchons pas à nous venger sur nos clients !"

Quand on lui demande pourquoi les frais de tenue de compte restent aussi élevés, Patrice Tepelian nous assure que "les banques polynésiennes paient beaucoup plus de taxes que les banques métropolitaines. Ainsi nous devons payer une Taxe sur le Produit Net Bancaire de 4 % de notre chiffre d'affaires. Nous avons également un impôt sur les bénéfices bien plus élevé que les autres entreprises polynésiennes, il dépasse les 50 % avec la Contribution supplémentaire de l'impôt sur les bénéfices ! Si ces impôts étaient supprimés, nous pourrions nous aligner directement sur la métropole pour les frais de tenue de compte."

Enfin, nous avons interrogé le représentant du secteur bancaire sur les frais de 350 francs par mois facturés par les trois banques privées pour la gestion en ligne des comptes bancaires. En effet, l'OPT offre ce service à ses clients, comme pratiquement toutes les banques métropolitaines. Il nous a expliqué que "nous avons dû beaucoup investir dans ces technologies, et il y a des coûts d'exploitation importants. Mais on y trouve un intérêt, en économisant des m² en centre-ville, et pour le service client... Quand ces gros investissements seront remboursés, je pense qu'à terme ces services en ligne deviendront gratuits."

Les frais explosent pour les professionnels

Patrice Tepelian nous explique donc que les charges des banques ont augmenté, alors même qu'on les a forcées à baisser leurs prix pour les particuliers. Il affirme également que les banques ne cherchent pas à rattraper ces baisses de revenus en augmentant les prix pour leurs autres clients. Pourtant, en regardant en détails les conditions tarifaires complètes publiées par les établissements bancaires ces dernières années, nous avons trouvé de forte hausses… pour les professionnels. Ils ont même parfois vu leurs factures augmenter considérablement.

Par exemple la Socredo (ses tarifs complets) a tout simplement doublé ses frais de tenue de compte pour les professionnels, à 12 000 francs par an, en novembre 2016. L'année suivante, elle a instauré une "commission de revue réglementaire" de 18 000 francs par an pour ces mêmes professionnels. Ce serait le coût de la lutte contre le blanchiment d'argent. En deux ans, une entreprise ou un patenté client de la Socredo a donc vu ses frais de base passer de 5 400 francs par an à… 30 000 francs. Ça fait +555 % d'augmentation. Une sacrée inflation, qui n’apparaît pas dans l'Observatoire des tarifs bancaires puisqu'il ne s'intéresse qu'aux particuliers.

Mais la Banque de Tahiti (ses tarifs) n'est pas en reste. Elle facture elle aussi 12 900 francs par an de frais de tenue de compte aux professionnels. Elle a aussi divers frais comme la "Commission de mise à jour annuelle des dossiers juridiques" de 20 818 francs par an (en hausse de plus de 5000 francs depuis 2013) et une mystérieuse "Commission de Revue Annuelle" de 1 %… avec une facturation minimum de 66 889 francs par an. Cette commission, qui n'existe nul part ailleurs au monde, a d'ailleurs augmenté de 12 000 francs en 5 ans. Bref, aujourd'hui une entreprise cliente de la Banque de Tahiti peut s'attendre à payer presque 80 000 francs par an de frais de base, et même plus de 100 000 francs si la banque doit "mettre à jour" son dossier juridique (comme un simple changement de l'extrait K-bis de l'entreprise).

Seule la Banque de Polynésie (ses tarifs) se démarque. Alors qu'elle a des prix assez élevés pour les particuliers (voir tableau comparatif ci-dessus), ses tarifs professionnels sont concurrentiels. Ainsi, une entreprise cliente de la Banque de Polynésie devra payer des frais de tenue de compte de 6 000 ou 7 200 francs par an, selon son secteur d'activité. Le reste dépendra des services qu'elle achète à sa banque.

Enfin, pour compléter le tableau, notons que l'OPT (Ses tarifs, valables à partir du 1er novembre 2018) offre également des comptes aux professionnels, même s'il ne peut pas leur consentir de prêt ou de ligne de trésorerie. Les frais de tenue de compte de l'Office des Postes et Télécommunications s'élèvent à 9600 francs par an. Ils ont doublé en 2017.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Vendredi 19 Octobre 2018 à 17:25 | Lu 24232 fois