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Un colis sous les 40e rugissants, la magie d'une Poste au bout du monde


Un colis sous les 40e rugissants, la magie d'une Poste au bout du monde
BASE ALFRED-FAURE (France / district de Crozet), 02 nov 2012 (AFP) - Une silhouette quitte d'un pas vif la gérance postale de la base Alfred-Faure, poussant une brouette pleine de colis. Le courrier vient d'arriver à Crozet, archipel austral français au-delà des 40e rugissants, c'est donc jour de fête.

Tous les hivernants de la base ne sont pas aussi gâtés mais "on sent chez les gens l'excitation et le plaisir d'avoir quelque chose qui arrive, lettres ou colis", raconte Jean-Jacques Audin, gérant postal sortant de la 49e mission.

Des plaques de chocolat au jean neuf, tout ce que la coopérative de la base ne vend pas est attendu avec impatience, surtout avant Noël. Tout comme des disques ou des films pour se tenir au courant et ne pas être trop déphasés lors du retour en métropole après plusieurs mois d'isolement.

L'introduction d'internet à un coût raisonnable en 2004 "n'a pas tué l'ambiance", affirme Jean-Jacques, 45 ans, sous-officier de l'Armée de l'air, et philatéliste à ses heures.

La gérance postale (GP dite "gépé" en jargon local), véritable petit bureau de poste qui dispose de sa boite aux lettres jaune siglée, connaît un pic d'activité quand le bateau ravitailleur des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) vient mouiller près de l'île de la Possession et apporter les sacs de courrier, quatre fois par an.

Chaque hivernant, militaire, scientifique ou contractuel, accourt à la "gépé", où il laisse en retour une pile de cartes postales ou enveloppes spéciales "TAAF", vendues sur place derrière le guichet en bois et sous le portrait officiel du chef de l'Etat.

Commence alors un rituel qui a déjà eu lieu sur le bateau, la veille de l'arrivée et qui se répètera avant chaque escale dans les trois districts austraux: le tamponnage. Le renouvellement des gens des bases tous les 6 ou 12 mois assure la diversité des tampons personnalisés apposés sur des plis aux timbres choisis.

"Les philatélistes adorent les tampons", assure Marc Boukebza, directeur du service philatélique des TAAF. Alors les gérants postaux, même s'ils ont par ailleurs la responsabilité cruciale des vacations radio sur la base, doivent y consacrer un peu de temps.

Car ce temps-là est bien de l'argent: la philatélie produit un chiffre d'affaires de 850.000 euros par an, participant pour "7 à 8% du budget des TAAF", explique M. Boukebza. "Si les manchots écrivaient, je serais milliardaire, mais ils n'écrivent pas".

Les philatélistes n'ont jamais envahi la manchotière de la Baie du Marin mais assurent à eux-seuls 80% de l'activité postale, contre 10% pour les hivernants et 10% pour les quelques touristes embarqués à bord du Marion Dufresne qui ont à coeur d'envoyer des missives de ce bout du monde.

L'Union française de philatélie polaire (UFPP-SATA) est la plus grande association de ce genre et réunit 500 membres, surtout français mais aussi australiens, allemands, britanniques, animés de cette même passion pour les timbres et surtout leur dimension historique.

Les TAAF émettent en effet une quinzaine de nouveaux timbres chaque année, en vertu de leur statut de collectivité qui leur confère une autonomie postale, comme la Nouvelle Calédonie, la Polynésie, Wallis et Futuna ou Saint-Pierre et Miquelon.

"Chaque timbre est imprimé en 80.000 exemplaires, 40.000 diffusés par les TAAF et 40.000 par La Poste", explique M. Boukebza.

Les TAAF ont émis plus de 600 timbres depuis leur création en 1955. Ils racontent l'épopée des pionniers (Yves Joseph de Kerguelen-Trémarec, Jean Charcot, Sebastian de El Cano, Dumont d'Urville, Paul-Emile Victor, etc.), et mettent en valeur la biodiversité de ces terres reculées, comme le Phylica, seul arbre endémique des australes ou les orques de Crozet. "Le timbre le plus cher des TAAF est un albatros à sourcils noirs de Kerguelen de 1968, coté à 550 euros", précise M. Boukebza, ajoutant qu'une collection intégrale vaut environ 5.000 euros.

Roger Venturini, secrétaire de l'UFPP-SATA, a préféré casser sa tirelire d'instituteur à la retraite pour embarquer sur le Marion en 2004. Depuis, ses 210 classeurs plein d'enveloppes tamponnées grossissent encore et lui "continue d'en rêver".

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Rédigé par AFP le Vendredi 2 Novembre 2012 à 23:25 | Lu 1171 fois