Tahiti Infos

Ua Pou vidée de son eau


Marquises, le 29 décembre 2020 - À l’heure de la problématique du changement climatique et du phénomène la Niña, les habitants de l’île de Ua Pou s’accommodent comme ils peuvent de l’assèchement des cours d'eau de l'île et des conséquences qui en découlent.

On vous contera nombre de souvenirs d’enfance de personnes ayant aujourd’hui la fin de trentaine, début de quarantaine qui, jusque dans les années 1980, se souviennent se baigner dans les rivières ou nourrir les anguilles qui y évoluaient paisiblement alors que ces cours d’eau parvenaient sans encombre ni interruption jusqu’à la mer. Ils sont aujourd’hui tristement asséchés.
 
La plupart des habitants vivant sur le littoral d’une partie de l’île regroupant les vallées de Aneou au Nord, Hakahau –la plus habitée­–, de Hakamoui et de Hohoi à l’Est, ainsi que celle de Hakatao au Sud-Ouest souffrent aujourd’hui de coupures d’approvisionnement en eau, fournie par la commune, qui peuvent parfois durer quelques jours. Hakahetau, Haakuti et Hakamaii ne sont généralement pas inquiétées par ce rationnement en eau car elles sont beaucoup plus humides.
 
Le reste des vallées se voient couper sa distribution d’eau communale avec une ouverture entre 5 et 8 heures du matin puis, plus tard dans la journée, entre 16 et 20 heures. Ce qui est toutefois mieux par rapport à la terrible année 2007 où l’eau n’arrivait dans les foyers que deux heures par jour.

​Une consommation excessive d'eau

Selon certains critères définis par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les habitants de l’île de Ua Pou seraient de très gros consommateurs en eau. À titre de comparaison, la moyenne de la Métropole en termes de volume d’eau consommée quotidiennement par personne est de 130 à 160 litres. Lorsqu’en Nouvelle-Calédonie, ce chiffre passe à 650litrespar personne par jour ; aux Tuamotu, la moyenne est de 50 litres par personne par jour (ce que l’OMS qualifie de niveau minimum pour vivre décemment) et de 10 à 20 litres par personne par jour en Afrique sub-saharienne.
 
À Ua Pou, la consommation en eau avoisine les 1000 litres par personne par jour. Mais selon la Direction de l'environnement (Diren), ce chiffre atteindrait les 2000 litres par personne par jour dans les communes de Polynésie française n’ayant pas de compteurs. Ceci dit, concernant Ua Pou, la moyenne englobe la consommation d’eau quotidienne des particuliers tout comme la consommation d’eau des fa'a’apu plus ou moins étendus de l’île. Ua Pou étant le premier exportateur d’agrumes des Marquises, on peut présumer que certaines exploitations contribuent largement à la hausse de cette moyenne de quantité d’eau consommée par tête d’habitant.
 
D’ailleurs, les deux principales exploitations maraîchères de l’île installées à Hakahau et Hakamoui, qui conjointement fournissent en légumes plusieurs centaines d’habitants, se trouvent privées d’eau pendant une partie de l’année. Cela les contraint à arrêter partiellement leur activité et force les commerces à importer davantage de légumes de Nuku Hiva, de Tahiti ou de Nouvelle-Zélande.
 
Toujours selon l’OMS, "les pays les plus développés, disposant d’un accès à l’eau potable en continu et de bonne qualité, permettent de stabiliser les consommations voire à les baisser grâce à la modernisation des réseaux, aux appareils électroménagers et à la sensibilisation des utilisateurs".

​Un réseau vieillissant

Avec un réseau hydraulique vieillissant en cours de rénovation et contrairement à la plupart des îles montagneuses des Marquises qui n’ont que deux ou trois vallées habitées à approvisionner en eau, la commune de Ua Pou doit assurer l'approvisionnement de six vallées, auxquelles s’ajoutent trois autres vallées qui se peuplent doucement jusqu’à près d’une centaine d’habitants dans celle de Hakamoui. Aujourd’hui, c’est exclusivement de l’eau de surface récoltée dans des bassins de rétention qui alimente le réseau communal. Il y en a neuf en tout et ce réseau date des années 1960 avec des rénovations partielles dans les années 1980, surtout nécessaires pour l’extension de celui-ci.
 
Durant toute l’année 2015, Jonas Taata, directeur général du service technique de la commune de Ua Pou depuis 2001,qui s’occupe entre autres des domaines de l’eau et des déchets, avec sous sa supervision une équipe d’une vingtaine de personnes, a préparé son équipe du service hydraulique à installer des compteurs d’eau afin d’avoir une idée de la consommation sur l’île et éviter le gaspillage. Ces compteurs ont commencé à fonctionner en 2016.Selon Jonas Taata "le problème n’est pas la distribution d’eau mais sa consommation. Certains quartiers de Hakahau installés plus en hauteur, n’avaient pas d’eau, mais depuis l’installation des compteurs, ça va mieux".
 

​Une modification des saisons

"Jusqu’à la fin des années 1990, on fermait complètement l’eau dans certains quartiers pour pouvoir en approvisionner d’autres et cela fonctionnait par roulement". Le service hydraulique de la commune de Ua Pou est en mouvement constant car en plus des travaux à effectuer sur le réseau, il gère aussi manuellement les horaires de distribution de l’eau et ce, principalement pour la partie la plus aride de l’île où il n’y a plus eu de réelles précipitations depuis juillet-août.
 
Loin de nous l’époque où les anciens traversaient une année au rythme de la nature. Il y avait deux périodes bien distinctes : la sécheresse et la disette. La saison des pluies s’appelait "èhua" et l’abondance des fruits et d’eau se nommait "èhua tapavau" et la période de sécheresse –donc de disette– "èhua mo’ō". La période s’étalant d’octobre à décembre était la plus sèche. Maintenant, les saisons et les caractéristiques qui leur étaient propres changent d'une année sur l'autre. Heureusement, le fond de vallée de Ua Pou et son Mont Oave, point culminant des Marquises à 1232mètres, bénéficient tout au long de l’année de précipitations permettant aux bassins de rétention de se remplir.
 
Jonas Taata explique également avoir vu une différence dans la consommation d’eau au moment du confinement, quand tout le monde a eu l’occasion de se consacrer de nouveau à son jardin.
Il en appelle en conséquence au civisme des gens quant à leur consommation en eau et pour lui, l’idéal serait peut-être d’augmenter son prix afin d’éviter tout gaspillage.

​Stockage et eau potable

Pour le directeur général du service technique de la commune, les principaux défis qui s’offrent à lui dans un avenir proche sont la pose des compteurs pour garder un contrôle de la consommation d’eau, l’eau potable mais aussi la problématique du foncier à Ua Pou pour l’implantation de structures de traitement et de stockage car il y a très peu de terres domaniales sur l’île, il faut donc sans cesse s’accommoder avec les propriétaires souvent récalcitrants pour l’installation d’une structure publique sur leurs terres.
 
Autre problématique, celle de la potabilité de l’eau, qui est étroitement liée au protocole d’analyse qui s’avère fastidieux. Un échantillon d'eau doit être analysé dans les 24heures et avec les problèmes de desserte aérienne que l’île connait souvent et encore davantage actuellement à l’heure du changement d’opérateur, il est difficile de répondre aux critères du Service de l’hygiène du Pays. L’idéal serait de trouver des solutions localisées, comme l’installation d’un laboratoire à Nuku Hiva, par exemple. Pour le moment, même si des points de filtration sont mis à disposition de la population dans les six vallées officiellement habitées de l’île, le taux de turbidité de l'eau y est souvent trop élevé. Hakahau bénéficie de filtres UV et pour les vallées de Hakahetau, Haakuti, Hakamaii, Hakatao et de Hohoi, l’eau est filtrée au chlore.
 
Jonas Taata évoque aussi la pratique grandissante de recycler les eaux usées du lave-linge ou de l’évier de la cuisine et rappelle les répercussions que cela a sur l’environnement si l’on n’utilise pas des produits 100% naturels ou non corrosifs pour les plantes et la santé du sol en général.
Pratique à laquelle s’ajoute celle, très répandue, des captages de rivière dits "sauvages" que certains habitants se voient contraints de pratiquer lorsque l’eau de la commune ne leur parvient pas pendant des jours –ou du moins pas assez pour répondre à des besoins minimum–, captages qui contribuent largement à l’assèchement des cours d’eau de l’île.
 
La question de la désalinisation de l’eau est également sur la table, comme cela existe pour certaines îles des Tuamotu. En attendant, la commune a commencé à organiser des séances d’information à l’adresse de la jeunesse de Ua Pou afin de l’instruire sur l’île, l’économie de l’eau, le respect de son environnement et pourquoi pas, créer des vocations.

Rédigé par Eve Delahaut le Mardi 29 Décembre 2020 à 16:38 | Lu 3976 fois