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Tuterai Tumahai : "Demander à l'État d'indemniser la CPS sur plusieurs années"


Tahiti, le 14 juin 2022 – L'élu de Punaauia et fils du défunt tāvana Rony Tumahai, Tuterai Tumahai, est le candidat du Tapura sur la troisième circonscription. Conscient de se retrouver sur une circonscription “où le combat allait être difficile”, il accuse près de 630 voix de retard sur le député sortant du Tavini, Moetai Brotherson. Dans son entretien d'entre-deux-tours à Tahiti Infos, le candidat dit miser sur la pédagogie auprès des abstentionnistes pour convaincre. Lui-même médecin conseil auprès de la CPS, il évoque le sujet du financement de la protection sociale à faire “compléter” par l'État et revient sur la problématique du remboursement des frais liés aux maladies radio-induites.
 
Vous avez un peu plus de 600 voix de retard sur le député sortant Moetai Brotherson. Quelle stratégie avez-vous adoptée pour rattraper votre score sur cette troisième circonscription ?
 
“Il faut aller le rattraper. Concrètement, nous faisons les quartiers. On ne va pas faire de meetings. On ne va pas faire autre chose qu'aller voir les personnes. On a regardé un peu les quartiers où on était déficitaires sur Punaauia et Faa'a. On va voir les gens. On leur demande pourquoi ils ne sont pas allés voter. Pourquoi ils ne sont pas allés voter pour moi. On leur explique. On discute. Et j'avoue que dans certains endroits, j'ai été très étonné. Hier, on était à Outumaoro et on a vu plusieurs familles. Et souvent, on a senti un désintérêt pour cette élection parce qu'ils ne voyaient pas l'intérêt d'un député dans leur vie quotidienne. C'est vrai lorsque c'est comme ça, c'est plus long et plus compliqué d'expliquer ce que fait un député et comment il peut les aider dans leur vie. C'est un lien un peu ténu, parce que leur dire que ça va leur apporter un travail, ce n'est pas vrai ; que ça va leur apporter une voiture, une maison, ce n'est pas vrai. Mais on essaie de leur dire que le député est là pour voter les budgets, aider les communes et le Pays à avoir des financements de l'État et que ça va finalement leur profiter indirectement.”
 
Vous essayez donc vous aussi de mobiliser les abstentionnistes pour ce second tour. À l'instar des autres candidats du Tapura, avez-vous eu des retours lors de cette campagne sur un 'vote sanction' contre la majorité actuelle ou du moins avez-vous été sollicité sur le bilan du gouvernement ?
 
“Oui, il y en a eu quelques-uns. On m'a parlé de ce bilan. Mais je leur dis qu'il ne faut pas se tromper d'élection. On est dans des élections législatives. On n'est pas dans des élections territoriales. Parce que si on veut sanctionner le gouvernement, ce sera aux territoriales l'année prochaine. Là on est sur une élection législative où on vote pour des députés qui vont aller à l'Assemblée nationale, en France, pour voter des budgets, des lois. Ils y vont pour les Polynésiens et le fenua.”
 
Vous vous attendiez à un challenge compliqué sur la troisième circonscription face à un député sortant issu d'un grand parti qui avait annoncé être candidat à sa succession ?
 
“Bien sûr. Quand on regarde les trois circonscriptions, la troisième était celle où le combat allait être le plus difficile. On avait un député sortant qui avait une certaine popularité, qui a fait des choses, certes, qui avait une grosse aura. En comparaison, sur la première on avait une députée qui partait et sur la deuxième, même si elle se représentait, le combat n'était pas tout à fait le même.”
 

“Les gens ne voient pas l'intérêt d'un député dans leur vie quotidienne”

Sur le fond du programme des candidats du Tapura huiraatira et sur les thématiques de santé et de protection sociale que vous maîtrisez particulièrement, il est question de demander à l'État de faire valoir la solidarité nationale pour aider à financer la protection sociale généralisée. Un peu pour compléter son financement à la façon de la participation de l'État au financement du régime de solidarité ces dernières années ?
 
“Je pense que c'est le mot. 'Compléter' le financement de la protection sociale généralisée. On va réformer cette protection sociale généralisée. On en a réformé la gouvernance. On est passé de trois à un seul régime. Ensuite on est en train, avec les Assises de la santé, de revoir le système. Quels sont les axes majeurs à financer. Et après, il y aura un troisième volet. Ce sera le financement. L'idée du financement, c'est qu'il faut faire participer tout le monde : l'État, les salariés, les patrons. Mais dans les mêmes proportions qu'avant, parce que ça coûte très cher. Donc c'est important que l'État puisse faire en sorte que ce coût soit moins financé par la population.”
 
Cette participation s'inscrirait sur du long terme ou est-ce qu'il ne s'agit que d'atténuer les effets de la crise Covid à court terme ?
 
“Toutes les conventions que nous avons eues avec l'État allaient entre trois et cinq ans. Je pense que cinq ans, cela permet d'avoir une visibilité. D'autant plus que la réforme ne va pas se faire en un an. Elle va se faire sur plusieurs années. Donc cet accompagnement doit se faire en plusieurs années.”
 

“Combien ont coûté réellement ces pathologies radio-induites ?”

L'une des questions autour du financement de la protection sociale généralisée, c'est le remboursement à la CPS des frais engagés au titre des soins pour les patients atteints de maladie radio-induites. De quelle façon vous y prendrez-vous ?
 
“Sur ces frais liés aux maladies radio-induites, il y a eu plusieurs montants qui circulent depuis ces dernières années. Je pense qu'il faut revenir à la genèse de tous ces budgets. En fait, ce qui se passe à la CPS c'est qu'on a une liste des longues maladies avec toutes ces pathologies. On a cherché à savoir quelles étaient les personnes qui étaient touchées par des maladies radio-induites. On a un chiffre. Sur ce chiffre, on a regardé combien la CPS a payé pour eux. Donc on a un chiffre global sur les 30 dernières années. Sauf que ce chiffre comporte tout. Il n'est pas seulement lié à la maladie. Vous avez un accident et vous avez une maladie radio-induite, ce chiffre comportera le coût lié à l'accident que vous aurez eu. Vous avez eu le Zika et une maladie radio-induite, ce coût du traitement du Zika se retrouve à l'intérieur de ce chiffre. Donc il faut savoir d'abord quel est le chiffre exact. Et je pense que  c'est ce que souhaitent Emmanuel Macron et l'État : Combien ont coûté réellement ces pathologies radio-induites ?”
 
Est-ce qu'il est vraiment compliqué d'aller chercher ce chiffrement et qu'est-ce qu'on attend pour sortir ce chiffre-là ?
 
“Compliqué ? Pas vraiment. On sait le faire. La CPS le fait déjà dans d'autres cadres, notamment dans ce qu'on appelle les recours contre tiers. La CPS récupère auprès des assurances le coût qu'a engendré l'accident sur les soins. On sait donc le faire. Il faut mettre une équipe sur le sujet. Il faut regarder les dossiers et voir les personnes. Ça ne demande pas des dizaines d'années. Ça demande une petite équipe d'une dizaine de personnes. Et quand on aura ce chiffre –sachant que le nombre de personnes ayant une maladie radio-induite est assez limité mais qu'on ne sait pas si dans une dizaine d'année ce chiffre ne sera pas multiplié par trois, quatre ou cinq–, il faudra l'anticiper sur l'avenir. Donc on aura un chiffre sur un temps donné, anticipé à l'instant 'T', et approuvé par le Civen. Mais ensuite, il y a tous les autres. Ceux notamment qui ont un dossier en attente… À mon sens, il ne faut pas aller sur un chiffre précis. Aujourd'hui, ça concerne 100 personnes, demain peut-être 1 000 ou 2 000 personnes. Je pense qu'il faut partir sur un montant forfaitaire et demander à l'État d'indemniser la CPS sur plusieurs années. Pourquoi ? Parce qu'on est parti sur une réforme de la PSG sur plusieurs années, sur la branche santé, le handicap, la famille, etc. On sait qu'on a des besoins de financement qui vont arriver. La CPS a déjà sorti de l'argent pour des soins. Demain, elle aura encore de l'argent à sortir. Et on sait que pour financer, soit on demande aux salariés de payer, soit on demande aux patrons de payer, soit on demande, par des taxes, à la population de payer. Au lieu de faire ça, on se dit qu'on a un certain montant. On se demande si on ne peut pas l'étaler sur cinq, dix ou quinze ans… Et voir venir. Parce que la population a vieilli malheureusement. Et en 2030, on aura une population qui aura plus de 65 ans qui sera tellement importante en Polynésie qu'on va rattraper un peu les standards de métropole. Donc, on sait qu'on va avoir des besoins. C'est donc important d'avoir une visibilité sans forcément aggraver le coût du travail, les taxes et le coût de la vie.”
 
Vous pensez qu'il est possible de le faire dans la prochaine mandature ou en tous cas de l'inscrire dans un calendrier politique sur les cinq prochaines années ?
 
“Oui, totalement. Je pense qu'il faut même viser avant les cinq ans. Que l'on puisse avoir quelque chose de concret, une convention avec l'État, ça demande que l'on puisse travailler avec le gouvernement de la République, avec le gouvernement local et avec les institutions comme l'assemblée et la CPS. Cette discussion a commencé avec un peu de retard, mais ce n'est pas pour ça qu'on ne pourra pas le faire. Il faut y aller.”
 
Est-ce que ça ne demande pas aussi de travailler davantage avec les associations et la société civile, puisqu'on voit que ce sont ces interlocuteurs qui ont le plus de mal à accompagner ces évolutions s'ils ne sont pas intégrés aux travaux et s'ils se sentent oubliés ?
 
“Complètement. Je pense que les associations –et je voudrais vraiment les remercier– quand on regarde les 15 à 20 dernières années heureusement qu'elles ont été là pour les malades notamment. C'est vrai que les associations ont été un peu oubliées. Il faut être clair. On les a un peu mises de côté. J'ai eu quelques cas de personnes qui ont fait des dossiers d'indemnisation. Avant d'être médecin à la CPS, j'étais médecin dans les îles et j'ai eu des dossiers. Et souvent, quand on est médecin, on se sent un peu seul. Alors comment imaginer le patient qui doit faire face à l'administration avec un grand A, pas uniquement les agents en face de lui. Mais il faut dire que depuis quelques années, on a quand même du positif. On sent qu'il y a un grand mouvement de fond, quels que soient les partis politiques, c'est clair, qui va, je pense, dans le bon sens. Et là, il faut rendre hommage aux associations qui ont toujours été là, qui ont poussé et parfois même titillé. Et tant mieux. C'est aussi ce qui doit se passer avec ces grands sujets de société d'avoir ces associations qui essaient de faire en sorte que les sujets avancent”.
 

Les résultats du premier tour dans la troisième circonscription


Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Mercredi 15 Juin 2022 à 17:44 | Lu 1739 fois