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Trafic de drogue en Guyane: un questionnaire "antimules" contesté en justice


Cayenne, France | AFP | jeudi 29/05/2019 - Depuis mi-février, pour faire la chasse aux "mules" passant de la drogue, certains passagers sont soumis à des questions à l'aéroport de Cayenne et peuvent, selon leurs réponses, être interdits de vol "pendant trois jours" en vertu d'arrêtés préfectoraux dont deux viennent d'être annulés en justice.


La Guyane, proche des pays producteurs de cocaïne, est en proie à un fort trafic de drogue vers la métropole, en pleine expansion. Et le nombre de "mules", personnes qui transportent la drogue dans leur valise, ou le plus souvent en ingérant des "ovules" de cocaïne, explose.

Entre 20 et 30 passagers tentent, chaque jour, d'embarquer depuis l'aéroport Félix Eboué de Cayenne pour l'aéroport d'Orly, avec de la cocaïne, selon les autorités. Et les douaniers et forces de l'ordre, vite saturés, n'arrivent pas à juguler le flot. Au total, 577 mules ont été interpellées en Guyane en 2018 contre 183 en 2014.

Le préfet de Guyane a donc mis en place un nouveau dispositif: il délivre des arrêtés d'interdiction de vol à l'encontre de certains passagers qui, à l'aéroport, n'ont pas réussi à déjouer un bref questionnaire censé conforter un "profilage" de "mules". De sources concordantes, les passagers concernés seraient "pré-ciblés" avec l'aide de la douane.

Mais le tribunal administratif a annulé mardi deux de ces arrêtés, donnant raison à deux femmes de nationalité française qui contestaient l'interdiction qui leur avait été faite le 25 février de prendre un vol pour Orly.

Selon les arrêtés du préfet, "il existe un risque réel et sérieux" qu'un passager "participe au trafic de stupéfiants" s'il ne peut justifier "du but précis de son voyage, des conditions de réservation et de paiement de son billet d’avion", "du point d'aboutissement précis de son voyage, de l’identité et des coordonnées d’une personne susceptible de lui venir en aide à destination". Ou encore de l'absence de carte de paiement et d'une somme d'argent suffisante pour son séjour.

- "Erreur d'appréciation" -
Mais "nous ne considérons pas qu'au motif qu’un voyageur, prêt à embarquer, ne réponde pas de manière jugée satisfaisante à ces six questions, l’autorité administrative puisse en déduire, de manière péremptoire, que cette personne présente un risque important de transporter des stupéfiants", a estimé le rapporteur public lors de l'audience.

Selon lui, cela ne justifie pas de "privilégier" la "prévention d'atteintes à l’ordre public" par rapport à "la liberté d'aller et venir".

Le tribunal a regretté que "l’administration se borne à se prévaloir du contexte général du trafic de cocaïne" et d'une méthode de contrôle "mise en œuvre par faisceau d’indices", sans donner d’éléments sur le choix des personnes contrôlées ou encore le mode opératoire utilisé. Dans leur requête, les deux voyageuses ont argué d'un "contrôle au faciès".

"En l'absence de précisions quant à la méthode appliquée par les services de police pour déterminer le risque que tel passager transporte des produits stupéfiants", la mesure prise à l’encontre des deux femmes "ne peut être regardée comme adaptée, nécessaire et proportionnée", tranche-t-il.

Les deux femmes refoulées ont aussi indiqué n'avoir au final pas été fouillées. Il n'y a pas de vérification que les passagers refoulés transportent de la drogue: "on n'a pas les moyens de traiter une telle masse", a confié un fonctionnaire de la police aux frontières à l'AFP mi-avril.

"Les commanditaires du trafic jouent sur la saturation des moyens de l'Etat", explique le parquet.

Début avril, 225 passagers avaient été refoulés via ce type d'arrêté à l'aéroport, selon le site d'informations Guyaweb. Préfet et procureur n'ont pas souhaité donner leur nombre depuis.

le Vendredi 31 Mai 2019 à 05:50 | Lu 294 fois