Tahiti, le 1er décembre 2020 - Les parents de 17 enfants de Maiao refusent depuis quatre semaines de les envoyer au collège à Afareaitu de peur qu'ils ne ramènent la pandémie en plus de leur diplôme. Ils n'envisagent pas de les re-scolariser avant la rentrée de janvier. Le collège étant ouvert, la continuité pédagogique n'est pas prévue. Le ministère de l'Éducation et la direction du collège demandent le retour des élèves. Les parents, soutenus par le maire s'y refusent. En attendant, les élèves vont à la pêche…
Principe de précaution contre scolarité obligatoire. C'est dans cette opposition singulière que se sont lancés les parents d'élèves de l'île de Maiao. Plus de quatre semaines après être rentrés dans leur famille lors des dernières vacances, et à une semaine des vacances de Noël, les 17 élèves de Maiao ne sont toujours pas de retour au collège. Et si les jeunes îliens manquent à l'appel, c'est le fait de leurs parents. Ils ont décidé de garder leurs enfants auprès d’eux en raison de la crise sanitaire. "Les parents sont inquiets à cause du Covid. Cela s'aggrave de plus en plus à Moorea" justifie leur représentante, la présidente de l’association des parents d’élèves de Maiao, Flora Teihotu Marotau.
La santé d'abord, tant pis pour les diplômes
Si l'argument sanitaire peut être entendu compte tenu de l'isolement de “l'île interdite”, l'absence des élèves pose quelques problèmes, scolaires bien sûr, mais aussi de légalité. Le tāvana délégué de Maiao, Ina Tama, a réuni les parents, mais il partage leur position : "ils m’ont dit que si leurs enfants venaient à être malades, ils ne pourront pas aller à Moorea, et ne pourront pas non plus leur rendre visite à l’hôpital s’ils sont hospitalisés". Le maire délégué ajoute que des médecins se sont rendus la semaine dernière sur l’île pour expliquer la situation aux parents récalcitrants, sans réussir à les convaincre. Ina Tama se impuissant, "je ne peux pas aller contre leur gré", à plus forte raison puisqu'il partage leur inquiétude "nous avons encore une dizaine de matahiapo de 70 ans et plus. Et c’est eux qu’il faut protéger. Et si nos enfants ramènent ce virus à Maiao, on fait comment ?", rappelant au passage que l'île est pour l'instant covid free.
Le trou dans la scolarité des enfants, comme les examens à passer à la fin de l’année, ne semblent pas déranger les parents outre mesure. Le tāvana complice précisant d'ailleurs qu'"ils ne courent pas après les diplômes, leurs enfants ont plus d’importance à leurs yeux que ces diplômes. On préfère la santé de nos enfants". Il précise pour finir que les enfants seront privés d'enseignement "au moins jusqu’à ce que cela se calme, puis ils ramèneront leurs enfants à l’école". Peut-être en janvier donc.
Des arguments qui ne sont pas du goût de la principale du collège de Afareaitu Annick Mescoff. Elle soutient que lorsque les élèves sont rentrés à Maiao, ils étaient "en parfaite santé. (…) On prend toutes les précautions nécessaires à la santé des enfants". En plus des CAE, ils ont à disposition un guide sanitaire : "Tout est fait pour vraiment prendre soin de la santé des enfants". Des précautions que la présidente de l’APE de Maiao conteste puisque "quand nos enfants reviennent, ils nous demandent de les confiner".
Le tāvana de Moorea-Maiao, Evans Haumani, va dans le sens des habitants de l'île isolée : "j’ai accepté que leurs enfants n’aillent pas en cours car si le virus arrive là-bas, la commune sera en grande difficulté. Il faudra envoyer les médecins, le bateau. Il y a des matahiapo et s’ils attrapent le virus, ils pourront décéder".
Pas de continuité pédagogique
Pour éviter que les 17 élèves déscolarisés ne perdent pas trop de temps, Flora Teihotu Marotau a demandé une continuité pédagogique. Impossible puisque le collège est ouvert. La principale explique : "il n’est pas question de reprendre ce qui avait été en vigueur en mars. Si on commence à donner des cours à la maison, les enfants ne vont plus venir. On sait très bien que la qualité de l’enseignement n’est pas identique à distance et sur place". Elle reconnaît pourtant s'inquiéter pour "leur avenir professionnel". "Je précise que les enfants de Maiao, quand ils arrivent au collège, ont un retard par rapport aux autres enfants, ils maitrisent moins le français par exemple. Et en fin de collège, ils ont d’excellents résultats pour la plupart d’entre eux".
Contacté, Thierry Delmas, directeur de cabinet de la ministre de l’Éducation va dans le sens de la directrice. "Il n’y a pas de raison de faire de continuité pédagogique dans la mesure où ce sont les parents qui prennent la décision de ne pas les envoyer à l’école". Il ajoute que si les parents refusent d'envoyer les élèves en classe, "ils sont dans une posture de déclaration d’instruction à la maison et là il y aura un contrôle des inspecteurs pour voir si les élèves ont le niveau requis".
Des sanctions ?
Evans Haumani, dans le camp des récalcitrants, ne comprend pas le refus de la continuité pédagogique : "Ils peuvent envoyer les cours lorsqu’il y a un bateau qui vient sur l’île." Thierry Delmas rappelle pourtant au tāvana les règles du jeu : "il devra avoir un positionnement plus coercitif et dire qu’il y a une obligation scolaire, il faut la respecter". Il rappelle aussi que des sanctions sont possibles : "C’est vrai que sur un temps de scolarité manquant, il va y avoir des signalements puisque l’obligation scolaire vaut alors même que le collège est ouvert. Des signalements vont être faits auprès des services idoines, les services sociaux, car les élèves ne sont pas scolarisés".
Pas sûr que ça suffise à convaincre les habitants de l'île rebelle. Le tāvana de Maiao explique d'ailleurs que leurs enfants apprennent tout aussi bien avec eux. "Ils sont dans la nature, nos enfants sont experts dans la pêche, surtout la pêche sous-marine. Cela fait aussi partie de l’éducation". Passer son bac ou remplir son bac (de ume), telle est la question. Vous avez deux heures.