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Surf - Michel Bourez, sa nouvelle vie


Tahiti, le 16 janvier 2024 – Sorti du tour mondial de surf il y a maintenant deux ans, celui que l'on nomme le “Spartan”, Michel Bourez, se dit aujourd'hui prêt à tourner la page. Son avenir, sa vision du surf local, les Jeux olympiques ou encore une possible reconversion au MMA, le 'aito se livre pour Tahiti Infos dans une interview exclusive.
 
Vous avez passé 12 ans sur le circuit mondial et vous nous avez habitués à vivre cette aventure avec vous, au travers de vos exploits. Cela fait maintenant deux ans que vous n’êtes plus sur le tour, qu’est-ce que vous devenez ? 
 
“Ça a été dur déjà de sortir du tour et devoir passer à autre chose, se dire que c’est de l’histoire ancienne. Et en même temps, pour être très honnête, lorsque je suis sorti du tour, je ne voulais déjà plus y être. Je restais car mon objectif était de me qualifier pour les Jeux olympiques via le tour. Mais voilà, la réalité, c’est que cela a été très difficile à cause de mes blessures. Il m’a fallu deux ans pour retrouver ma forme physique, mais hélas, si le surf est là, la tête n’y est plus. Aujourd’hui, je surfe toujours, j’essaye de lancer des businesses à gauche et à droite, et je prends cette année à venir comme une année de transition surtout.”
 
Hira Teriinatoofa, autre figure emblématique du surf local, s’est orienté vers le coaching. Est-ce que c’est quelque chose qui vous intéresse aussi ?  
 
“Le coaching, non, pas du tout. Ce n’est vraiment pas mon truc. Par contre, cela fait un peu plus d’un an maintenant que je travaille avec Mihimana Braye, et je vois qu’il a fait énormément de progrès. Mais voilà, je le fais car c’est un ami, un frère, et parce que je crois sincèrement qu’il va réussir. Et puis, ce n’est pas vraiment du coaching, on se parle beaucoup, je lui dis des choses pour qu’il élève son niveau quand il le faut et je pense que ça marche au vu de sa dernière saison.”
 
Après Mihimana Braye et Kauli Vaast, on voit que chez les minimes, il y a un nouveau vivier de champions qui commence à émerger. À l’exemple des frères Pierson, Kavei et Naiki, ou encore Liam Sham Koua. Ne pensez-vous pas avoir un rôle à jouer auprès de cette jeunesse très prometteuse ? Et pourquoi pas, intégrer la fédération tahitienne de surf ?
 
“Il faut prendre du temps pour ces choses-là. C’est quelque chose que j’ai envie de faire, mais différemment peut-être. J’aime le fait de n’être qu’un consultant. Mon petit frère, Kevin, est dans la fédération et il m’appelle de temps en temps, on parle et je lui donne mon avis. C’est très bien comme ça. Maintenant, concernant cette jeunesse qui monte, si je suis également persuadé qu’ils vont tout fracasser plus tard, je pense qu’il faut les laisser grandir encore un peu, à leur rythme. C’est sûr qu’un jour, j’aurai l’occasion de partager mon expérience professionnelle avec eux et ce sera avec plaisir. Mais pour le moment, il faut les laisser grandir. D’autant qu’aujourd’hui, les parents sont déjà à fond derrière eux, je ne vois pas ce que je pourrais apporter de plus dans l’état actuel des choses. Mon seul conseil, si je devais en donner un : ‘Restez humble !’ Souvent, dès que l’on commence à réussir, on prend la grosse tête et c’est déjà le début de la fin.”
 
D’ailleurs, pouvez-vous nous parler de cette réalité qui se cache derrière ce grand rêve de devenir surfeur professionnel ?
 
“Ce n'est pas fun du tout. Tout le monde croit que c’est la belle vie, la plage, etc. Pas du tout. C’est un stress permanent. Il faut faire énormément de sacrifices, surtout d’un point de vue personnel et familial. La réalité, c’est qu’il faut être égoïste. Il faut te dire qu’il n’y a que toi, et que tu dois faire les bons choix. Il faut t’entourer des bonnes personnes, des gens qui ont le même rêve que toi : arriver en haut et y rester. Beaucoup de surfeurs font l’erreur de croire que l’objectif, c’est d’arriver sur le tour. Alors que non, l’objectif, c’est d’y arriver et d’y rester.”
 
Une autre réalité dont on ne parle pas beaucoup, ou pas assez, c’est la crise qui touche l’industrie du surf depuis quelques années. Vous qui avez côtoyé ce monde-là, pouvez-vous nous en dire plus ?
 
“Aujourd’hui, il est très difficile d’obtenir de bons sponsors. Il n’y a pas énormément d’argent dans le milieu du surf. Beaucoup de grosses compagnies peinent à garder la tête hors de l’eau. D’ailleurs, la plupart d’entre elles se font racheter, ça veut tout dire. Par contre, avec des événements tels que les Jeux olympiques, il y a de plus en plus de marques hors milieu du surf qui se manifestent. À l’exemple de Kauli Vaast qui vient de signer avec Dior, c’est exceptionnel. Et puis avec les réseaux sociaux, il est très facile de se faire remarquer de nos jours. Donc voilà, c’est difficile mais cela reste à la portée de tous. Il faut faire partie des meilleurs, c’est tout.”
 
Localement, est-ce que les surfeurs se sentent aidés par le Pays ?
 
“Je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire de ce côté-là. Déjà au niveau des subventions, je trouve que c’est très limité et ce n’est pas normal. Il y a une compétition à Tahiti qui apporte beaucoup de visibilité à la Polynésie, c’est à Teahupo’o et c’est du surf. La discipline où nous avons fait le plus de résultats à travers le monde, c’est encore le surf. Si au niveau des licenciés, nous ne sommes pas les plus nombreux, nous apportons en revanche plus de visibilité que n’importe quel autre sport. C’est une réalité qui n’est pas assez prise en compte à mon sens. Et puis il y a plein d’autres choses qui pourraient faciliter la vie des surfeurs et leur carrière mais qui ne sont pas faites. Par exemple, aujourd’hui, les meilleures planches se font à l’étranger. Malheureusement, nous, lorsque l’on revient avec ces planches, nous sommes taxés. Et tout ça représente un coût énorme, surtout pour ces jeunes qui veulent se lancer. Heureusement que certains acteurs locaux, comme Air Tahiti Nui, soutiennent les athlètes. Mais du côté des politiques, il faut se réveiller.”
 
Après Vetea David, vous avez été le seul Tahitien capable de vous qualifier pour le circuit professionnel. Comment expliquez-vous le fait qu’il n’y ait pas eu plus de locaux sur le World Championship Tour ?
 
“Il n’y a pas de secret, ce sont les choix personnels et la mentalité de l’athlète. Si tu es bon dans ce que tu fais, c’est bien. Tu réussis à être 15 fois champion de Tahiti, c’est bien. Maintenant, essaie de gagner une étape en France pour commencer, et déjà là tu verras que c’est une tout autre histoire. Nous vivons dans un pays où tout est facile et cela installe un certain confort. Malheureusement, c’est un confort dont les athlètes locaux ont du mal à sortir. Et puis, disons-le franchement, on manque d’humilité. Ici, dès que l’on réussit à l’échelle locale, on croit avoir tout gagné. Or, le vrai niveau, c’est à l’étranger que ça se passe. Il faut rester humble, sortir de cette zone de confort, travailler dur, encore et encore, et croire en son rêve coûte que coûte.”
 
Selon vous, qui sera le prochain “Michel Bourez” sur le tour ? 
 
“Sans hésitation, Mihimana Braye. Le fait d’être proche de lui, de comprendre comment il pense, de travailler avec lui, je trouve que c’est un jeune qui peut aller très, très loin. On ne se rend pas compte de son niveau. Lorsque je l’entends parler, de sa vision et de ses choix, j’ai l’impression de me voir. Il a tout ce qu’il faut pour réussir. Pour moi, il va se qualifier cette année. Il doit se qualifier cette année, il n’a pas le choix. Après, il y a toute cette nouvelle génération chez les minimes qui arrive, notamment chez les filles. On parlait tout à l’heure des garçons, mais en réalité, je pense que ce sont les filles qui feront le plus parler d’elles. Je pense notamment aux jeunes Kiara Goold et Kelia Gallina. Je les croise souvent à l’eau et j’aime beaucoup leur attitude. Ça promet !”
 
En attendant, la prochaine échéance pour le surf polynésien, ce sont les Jeux olympiques. Quel regard portez-vous sur cet événement, l’organisation et nos chances de médailles ? Vous avez été plutôt discret sur le sujet…
 
“Pour être honnête, j’étais préparé à toutes ces polémiques. J’ai des amis dans les hautes instances sportives nationales qui m’ont prévenu. Ils me disaient : ‘Michel, tu sais, les JO, ça change tout. Les infrastructures, le paysage, la communication qu’il y a autour… tout !’ Et effectivement, au Japon, lors des derniers Jeux, j’ai été témoin de ça et je peux l’affirmer : à Tahiti, on ne se rend pas compte de la portée des Jeux olympiques. Aujourd’hui, je pense que c’est une chance de pouvoir accueillir les Jeux. Des milliards de personnes auront les yeux rivés sur nous et il y a de véritables retombées économiques qui sont en jeu. Il faut également penser aux autres, à ces gens qui vivent exclusivement du tourisme, à Tahiti et dans les îles. On n’est pas tout seul, nous les surfeurs, il faut aussi penser aux autres. Concernant la tour des juges, j’ai mon opinion. Il y a des choses qui se défendent et d’autres non. Dans l’ensemble, je suis satisfait des mesures prises par le gouvernement, même si, encore une fois, je ne suis pas d’accord sur tout. Pour ce qui est des médailles, je pense sincèrement que Vahine Fierro a toutes ses chances de monter sur la plus haute marche du podium. Chez les hommes, ça sera plus compliqué.”
 
Sur les réseaux, vous avez laissé entendre que de nouveaux challenges vous attendent, notamment dans le MMA ? Y a-t-il des chances que l’on vous retrouve dans une cage très bientôt ?
 
“Ça fait un peu plus de trois mois que je m’entraîne chez Raihere Dudes, avec mon grand frère Naea. C’est une façon pour moi de rester dans le sport, tout en sortant du milieu du surf. Maintenant, c’est un choix difficile à faire. Je n’aime pas jouer sur deux tableaux à la fois. En MMA, il y a énormément de choses à apprendre. Raihere va bientôt commencer sa préparation pour son prochain combat professionnel et ça sera l’occasion pour nous de le suivre dans cet objectif, et on verra comment cela se passe. Je suis un compétiteur, et je ne me vois pas entrer dans une cage pour paraître ridicule, être fatigué au bout de deux rounds ou des choses comme ça. Donc on verra comment les choses évoluent. Et puis j’ai quelques blessures qui traînent. Je pense qu’une fois que ces blessures seront guéries, j’y verrai plus clair sur mon avenir sportif. En tout cas, je suis un grand fan de ce sport, depuis toujours.” 
 
En tout cas, c’est une discipline qui s’est largement démocratisée ces deux dernières années sur le Fenua. C’est une bonne chose selon vous ? 
 
“Absolument. Et j’encourage les jeunes à aller dans les salles dédiées aux sports de combat. Là-bas, il y a un cadre, une discipline instaurée par un coach qui sait de quoi il parle. Dans la rue, ceux qui cherchent les ennuis, ce sont des coqs, rien de plus. Si vous voulez être un vrai combattant, il faut aller dans les salles, là où s’entraînent les meilleurs.” 

12 années sur le tour mondial, le Spartan, Michel Bourez a définitivement marqué les esprits d'une nouvelle génération de surfeurs prête à prendre la relève.
12 années sur le tour mondial, le Spartan, Michel Bourez a définitivement marqué les esprits d'une nouvelle génération de surfeurs prête à prendre la relève.

Rédigé par Wendy Cowan le Mardi 16 Janvier 2024 à 16:03 | Lu 9075 fois