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Sa patiente de 23 ans meurt après une opération bénigne


PAPEETE, le 12 mai 2015 - Un ancien chirurgien de la clinique Cardella était poursuivi ce mardi matin pour homicide involontaire. Une patiente de 23 ans passée sous son scalpel en 2008 était morte de complications suite à l'opération. C'est la mère de la victime qui dénonce en justice une erreur médicale, une procédure très rare en Polynésie.La décision des juges sera connue le 7 juillet.

"Il y a beaucoup d'erreurs médicales, mais en Polynésie on a un rapport presque divin entre les patients et leurs médecins, et il n'y a jamais de plainte" a entamé l'avocat de la famille d'une patiente du docteur S.. Elle est morte en 2008 des suites d'une opération normalement bénigne. Et c'est effectivement une affaire très rare qui s'est présentée devant les juges du tribunal correctionnel ce mardi.

En 2008, Maiana est allée consulter le docteur S., fortement poussée par sa mère. A 23 ans et 125 kilos, elle souffre d'obésité morbide, et le médecin lui apprend qu'elle est une parfaite candidate pour la pose d'un anneau gastrique. Elle n'a pas vraiment envie de se faire opérer, mais sa mère a déjà subi la même procédure, qui est considérée comme bénigne, et la pousse à suivre son exemple. Le docteur S. en a déjà pratiqué "des milliers, voire des dizaines de milliers" sans problèmes. Mais aucune opération chirurgicale n'est sans risque…

Tuée par une aiguille de Palmer dans l'intestin

Elle en fera l'expérience tragique. Le procès a longuement détaillé le déroulé des quatre jours qui ont conduit à sa mort grâce aux trois rapports d'experts qui ont étudié l'opération et ses suites. Admise à la clinique Cardella le 4 décembre 2008, elle y subit une cœlioscopie. Il s'agit de faire une petite incision dans l'abdomen qui sera utilisée pour y glisser les instruments nécessaires à la pose de l'anneau gastrique, en particulier une caméra HD, des pinces, des ciseaux, etc. Pour avoir la place d'opérer sans ouvrir le patient, une poche de gaz est créée à l'aide d'une longue seringue nommée aiguille de Palmer.

C'est avec cette aiguille que le docteur S. transpercera par erreur le duodénum, au tout début de l'intestin grêle. Il n'arrivait pas à injecter le gaz requis pour l'opération, a dû s'y reprendre plusieurs fois, et a changé d'aiguille. Il déclarera lors de l'enquête : "j'ai piqué à plusieurs reprises, dans plusieurs directions, mais je n'arrivais pas à insuffler (le CO2)". Il enfonce l'aiguille de quelques millimètres de trop… Maiana, endormie sur la table d'opération, entre directement en état de choc. Les médecins la stabilisent et annulent la pose de l'anneau gastrique. Ils procèdent tout de même à la cœlioscopie, cherchant s'ils avaient causé des dégâts expliquant le problème, mais ne trouvent rien.

Sauf qu'au moment où ils réveillent la jeune femme, elle n'a déjà plus que 50% de chances de survivre… Et aucun traitement ne pourrait l'aider. Après de multiples aggravations de son état, une évacuation vers le CHPF, trois scanners et deux autres opérations, elle mourra le 7 décembre 2008 d'une pancréatite aigue nécrotico-hémorragique.

Responsable, oui… mais coupable ?

Les rapports d'experts affirment sans laisser place au doute que c'est l'opération du 4 décembre, au moment où le docteur S. transperce le duodénum avec son aiguille de Palmer, qui a finalement abouti à la mort de la patiente. Tout le reste de la procédure, les entretiens préparatoires et les tentatives pour la sauver, sont considérés comme exemplaires.

Le débat lors du procès a donc porté sur la responsabilité pénale, ou non, du chirurgien. Pour caractériser l'homicide involontaire, il faut prouver une causalité entre les faits reprochés et les conséquences néfastes, et la faute de l'accusé. "Les experts rapportent que la causalité est directe. Selon moi, c'est une faute caractérisée" assène le procureur, qui demandera "une courte peine de sursis et une amende".

Pour le bâtonnier Antz, représentant les parties civiles, la faute du médecin est très grave. Il va en particulier s'appuyer sur une publication scientifique qui avait été versée au dossier par… le docteur S. lui-même. "Les taux de complication se répartissent comme suit : une tentative (de placement de l'aiguille de Palmer dans la cavité péritonéale), de 0,8% à 16,3% ; 2 tentatives, de 16,31% à 37,5% ; 3 tentatives de 44,4% à 64% ; et plus de trois tentatives, de 84,6% à 100%". La déclaration du chirurgien, "j'ai piqué à plusieurs reprises dans différentes directions", serait pour l'avocat l'aveu de la faute professionnelle du médecin.

Mais ce dernier se défend d'avoir commis une telle faute, et assure n'avoir traversé qu'une seule fois entièrement la couche de graisse de plus de 10 cm qui séparait la peau des intestins : "si j'avais du mal à gonfler l'abdomen, c'est que je n'étais pas dedans. J'ai ponctionné la graisse plusieurs fois, mais le péritoine une seule fois. La preuve c'est qu'on a trouvé qu'un seul trou." Son avocat s'est ensuite attaché à démontrer le manque de causalité directe entre l'opération et la mort de Maiana, et l'absence de faute du chirurgien. "C'est un aléa thérapeutique, rien de plus" conclut-il. Le médecin n'exerce plus en Polynésie. Pour son procès, il rentrait d'Afrique où il participe à la lutte contre le virus ébola.


Il sera fixé sur son sort le 7 juillet, quand le tribunal dévoilera son verdict.

Rédigé par Jacques Franc de Ferrière le Mardi 12 Mai 2015 à 18:36 | Lu 9404 fois