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Rue François Cardella : "cette rue sent la pisse, ça fait honte"


PAPEETE, 22 août 2016 - Les habitants et commerçants de Papeete se plaignent de plus en plus : les odeurs nauséabondes des rues du centre-ville sont difficiles à supporter, les commerces en pâtissent. Les croisiéristes passent forcément par "la rue de la honte" pour quitter ou regagner leur bateau, de quoi fortement écorner l'image de la ville.

Lundi matin, 8h30, le centre-ville de Papeete est déjà bien réveillé, les commerçants balaient le trottoir devant leur devanture. Rue François Cardella, qui part du front de mer pour rejoindre le marché, c'est un peu différent, les trottoirs sont humides, et derrière la forte odeur de chlore et d'Ajax, des odeurs d'urine et d'excrément viennent chatouiller les narines des passants.

L'odeur est même nauséabonde devant les échoppes fermées. Le début de la rue Cardella n'arrive pas, malgré les efforts des commerçants, à se débarrasser des relents fétides qui semblent avoir pénétrer jusqu'à l'intérieur des pavés.

"C'est insupportable!" Indique une commerçante du début de la rue, "tous les matins c'est pareil, je dois laver à grande eau parce que l'odeur est intenable, il y a de l'urine et fréquemment j'ai même droit à des petits cadeaux en prime. Pipi, caca, je ne compte plus, cela fait quand même plus de vingt ans que je tiens ma boutique et ça ne cesse de se dégrader".

Elle n'est pas la seule à se plaindre, les commerçants sont "fiu". "Cette rue, tous les touristes qui arrivent en bateau sont obligés de la prendre. C'est la rue de la honte, ça fait honte que ces gens qui viennent visiter voient et sentent ça", constate une autre commerçante de textile.

Lassés, certains commerçants et autres entrepreneurs ont envoyés individuellement des courriers à la commune afin de faire connaître leur colère. "Je n'en peux plus, c'est devenu invivable et la situation se dégrade. J'en suis à utiliser deux bidons de Clorox par semaine environ, sans compter les autres produits qu'on ajoute pour masquer l'odeur. Mais elle est impossible à faire partir, le pire c'est quand il fait chaud, on a beau avoir nettoyé à l'eau de javel, l'odeur remonte et ça pue. Les clients se plaignent et ils ont raison mais moi je ne peux rien faire de plus", déplore la commerçante.

Certains assurent même que l'odeur fait fuir leur clientèle: "Les clients me disent que maintenant ils ne viennent en centre-ville que s'ils ne peuvent vraiment pas faire autrement. Nous sommes d'accord pour balayer et entretenir notre bout de trottoir mais ce n'est pas à nous de nettoyer les besoins des autres et on voit bien que balayer ne suffit pas. Cette rue a besoin de plus que ça."

En face, un commerçant de textile refuse de nous répondre sur ces mots : "ça fait quarante ans que je suis ici et que le problème est le même. La commune ne fait rien et ce n'est pas près de changer, alors on ne va pas perdre notre temps avec ce sujet qui nous concerne mais qui n'intéresse pas les décideurs."

Au milieu de la rue, le gérant d'un snack relativise : "C'est vrai qu'il nous arrive très souvent de devoir nettoyer des excréments et que le matin ça sent l'urine, mais nous nettoyons et après ça ne sent pas." Il ajoute néanmoins, " Après, il est clair que s'il y avait plus de poubelle, il y aurait probablement moins de déchets et de saletés par terre. C'est un endroit touristique et une rue très passante, c'est dommage que ce soit ça que les touristes aient comme vitrine de la ville." Une autre commerçante qui a préféré garder l'anonymat déclare "il y a des années, les pompiers passaient, on râlait parce que l'eau passait sous les rideaux de fer, mais finalement, avec le recul, je préfère encore évacuer le peu d'eau qui est rentré dans la boutique plutôt que la situation actuelle."

Les passants quant à eux ne sont pas en reste, entre les "ça pue", "c'est dégueu" ou encore "ça sent le pipi et le caca", la rue en prend pour son grade et la mairie de Papeete avec. "Ca ne leur coûterait rien de faire passer un petit camion tous les matins avec un jet d'eau comme dans les grandes villes pour nettoyer les trottoirs", râle Teva qui travaille dans le centre-ville. Vanessa de son côté déclare: "Le problème, c'est que les touristes imaginent Tahiti et Papeete comme un paradis et ils arrivent ici et voient des rues qui sentent l'urine, des façades complètement délabrée et des panneaux tout moches partout, ça ne correspond pas du tout à ce qu'ils attendaient. Cette illusion dure deux secondes le temps de quitter le front de mer et de rentrer la ville. C'est dommage."

Quant aux touristes, quand on leur demande ce qu'ils pensent de la ville, ils déclarent : "C'est très beau, le marché est magnifique, et sent bon. La rue c'est pas trop ça. Ça sent quand même un peu fort.", Nicole Mearere vient en vacances à Tahiti depuis les années 1970 et son constat est sans appel : "Le front de mer s'est nettement amélioré. La commune a fait des efforts sur les lampadaires, et les aménagements du parc, c'est joli! Mais l'intérieur de la ville s'est dégradé. C'est beaucoup plus sale qu'avant, les odeurs sont plus fortes, c'est triste de voir tout cela se dégrader."


Remi Brillant : "Nous avons des services qui sont mobilisés en permanence notamment sur la zone du centre-ville"

Rémi Brillant, directeur général des services de la mairie de Papeete, répond à la question de la propreté des rues de Papeete et au mécontentement des commerçants de la ville.


La commune de Papeete affiche clairement sa volonté de miser sur le tourisme, la question de la propreté est-elle une question importante pour la ville ?
Notre challenge est d'accueillir les visiteurs, qu'ils soient touristes ou locaux dans de bonnes conditions d'hygiène, de propreté et de sécurité et c'est le défi que l'on a tous les jours à peu près. On est 25.000 habitants la nuit et dans la journée on doit approcher les 100.000 personnes qui travaillent, qui viennent faire les courses en ville et donc c'est un défi journalier que de faire en sorte que Papeete soit la ville accueillante que nous sommes tous en droit d'espérer.

Les commerçants, les riverains et les touristes se plaignent des odeurs d'urine dans les rues, notamment dans la rue Cardella, que fait la mairie pour résoudre ces problèmes?
Pour ça, nous avons des services qui sont mobilisés en permanence notamment sur la zone du centre-ville. Nous sommes tous les jours mobilisés et plus encore quand des bateaux de croisière sont annoncés. Nous sommes, non seulement, à assurer une présence pour la sécurité, mais aussi pour nous assurer qu'ils arrivent dans la ville et qu'ils puissent la trouver propre.

Nous avons ce souci des gens qui n'ont pas d'autre résidence sinon les rues de la ville, les SDF. C'est un sujet qui préoccupe la municipalité, nous avons une brigade chargée particulièrement des sans domiciles fixes et leur mission est de faire en sorte qu'ils ne s'approprient pas l'espace, un bout de trottoir, car ils vont avoir besoin de commodités, dormir, faire leurs besoins sur place. Or, il y a certaines zones en ville où nous avons des SDF présents.

Les commerçants sont conscients que du personnel communal vient balayer les trottoirs tous les matins, mais selon eux cela ne suffit pas…
Nous passons et arrosons au moins une à deux fois par semaine. Nous avons un camion-citerne qui arrose les rues et les trottoirs. Les opérations avec les pompiers étaient des opérations coups de poing, quand on a des manifestations, des bateaux de croisières on met les gros moyens, mais ils interviennent essentiellement dans les rues pas sur les trottoirs parce que le jet qu'ils utilisent est très puissant, l'eau passe sous les rideaux de fer et nous avons des rouspétances des commerçants.
Nous avons un système plus léger d'intervention avec un camion-citerne avec un arrosoir. C'est manuel à ce moment-là, nous sommes obligés de bloquer la rue, nous sommes obligés d'intervenir la nuit. C'est ce que nous faisons, le camion-citerne passe entre 18 h 30 et 22 h, mais ce n'est pas suffisant encore. Nous n'avons qu'un camion-citerne, nous le faisons sur le centre-ville, mais nous essayons de passer dans toute la ville sur la semaine. Nous avons un passage possible par quartier, quand c'est sensible nous essayons de passer deux fois, mais ce n'est pas toujours évident.


Certes, mais même quand le camion-citerne passe, le lendemain matin la rue est de nouveau sale…
Le problème que nous rencontrons est qu'aussitôt que nous avons nettoyé la rue, les SDF se réinstallent, se réapproprient le trottoir et reviennent avec leurs cartons. Le matin, ils font leurs besoins comme ils peuvent, à côté, dans du papier journal et donc ce n'est pas évident. Il faudrait presque être là en permanence. Pourtant, dans les quartiers centraux, il y a des toilettes publiques à proximité auxquelles ils peuvent avoir accès.
La DSP a, elle aussi, un camion arrosoir, c'est un équipement plus petit et là ils peuvent avoir des interventions ponctuelles plus facilement. Il faut intervenir au bon moment, ce que nous essayons de faire c'est que le matin la rue soit propre. Nous arrosons, là où nous devons arroser.
Nous avons fait plusieurs tentatives, le matin, très tôt, avant le réveil. Mais nous circulons tous les soirs avec notre camion-citerne.
Pour régler ce problème, il faudrait arriver à trouver une solution pour ces personnes sans-abris, les aider à se sortir de la rue et à s'insérer socialement. Nous mettons à disposition des locaux et avons des services consacrés à cela, mais là, ça dépasse les prérogatives et le cadre de la commune.

Jean-Christophe Buissou : "Toute la responsabilité ne peut être supportée que par un acteur"

Le contraste entre le nouveau front de mer et l'intérieur de la ville est fort et vient dégrader l'image que les touristes ont de Papeete et de la Polynésie, en tant que ministre du Tourisme, y a-t-il quelque chose à faire ?

La Polynésie française et Papeete se veulent être une destination touristique et sur la question de l'hygiène, il est évident que nous devons tous faire des efforts pour garder nos villes propres. Il est important que la population prenne conscience que chaque personne est actrice à l'intérieur de la stratégie de développement touristique, c'est pour cela d'ailleurs que le gouvernement a décidé de sensibiliser les jeunes de la maternelle en passant par les écoles primaires, mais aussi les jeunes de collège, lycée, sur la nécessité de tous de faire partie de cette stratégie de développement touristique en prenant conscience que l'environnement est un de nos atouts capitaux. Tout cela contribue à permettre d'avoir une destination au niveau de ce que l'on espère lorsque l'on vient visiter un pays comme le nôtre.

Papeete est la vitrine de la Polynésie, le fait que les touristes soient obligés de passer par des rues sentant les excréments et l'urine est mauvais pour l'image paradisiaque que l'on s'évertue de renvoyer au monde ?
Concernant la propreté dans les villes, il y a encore des efforts à réaliser. Il est sûr que les élus locaux et les mairies ont leur part de responsabilité au travers de la sensibilisation, mais on ne pourra gagner que si tout le monde y met du sien. Il ne faut pas croire que toute la responsabilité ne peut être supportée que par un acteur. Le maire, Michel Buillard, intervient, d'ailleurs, au travers de différentes actions dans ce sens-là.

Les autres éléments qui interpellent les touristes sont les façades qui gagneraient à être ravalées et les panneaux parfois très agressifs visuellement…
Il est clair qu'il y a beaucoup à faire notamment sur les façades et sur l'aspect accueillant. Sur le front de mer, par exemple, le ministre de l'Économie va soumettre, bientôt, un dispositif de soutien aux petits commerçants pour qu'ils opèrent un travail afin de rendre leurs devantures avenantes. Il y a un effort, c'est dans ce cadre-là qu'il faut qu'on réfléchisse et nous sommes ouverts sur les idées et propositions de la municipalité de Papeete comme celle des autres municipalités. Le travail que nous réalisons de mobilisation des consciences notamment sur l'embellissement des communes, où on a quand même de nombreuses communes participantes; montre bien que ça marche et qu'il y a une prise de conscience de la population. Il faut continuer de travailler sur les comportements individuels et puis aussi sur l'aspect urbanistique. On le voit bien dans les Caraïbes, même si ce ne sont pas des immeubles modernes et que parfois les bâtiments sont un peu vétustes, ils recherchent à être accueillant, même des monuments historiques sont retapés et les villes sont pleines de couleurs.

Rédigé par Marie Caroline Carrère le Lundi 22 Août 2016 à 19:00 | Lu 10208 fois