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Retraites : La réforme ou la faillite


Tahiti, le 29 juillet 2021 - Le Conseil d’orientation et de suivi des retraites (COSR) a rendu son rapport annuel 2021. Le document dresse un tableau préoccupant du système des retraites actuel. Si la réforme de 2019 a produit des effets, elle ne sera pas suffisante pour maintenir l'équilibre des régimes à très court terme. Un nouvel allongement de la durée de cotisation et un recul de l’âge de départ à la retraite sont à prévoir dès 2022.

La réforme de 2019 avait fait des dégâts avant même son entrée en vigueur. En mars 2018, le projet était sur le point d’être adopté. Mais une grève générale et une manifestation réunissant 4 000 personnes, dans un contexte de campagne des territoriales, avaient eu raison du vote. Alors que le texte était débattu à Tarahoi, une centaine de manifestants avaient envahi l’hémicycle de l’assemblée. Ni les larmes, ni le sang n’avaient coulé, mais l’agressivité toute relative des contestataires avait conduit le gouvernement, reclus, à évoquer un acte de “terrorisme”, puis à reporter la réforme et à s'engager pour que ministres et élus de l’assemblée cotisent à la caisse de retraite locale. Une fois les territoriales largement remportées par le Tapura, la réforme était passée comme une lettre à la Poste. Sur la cotisation des élus en revanche, c'est encore le statu quo trois ans plus tard. Pour autant, l'adoption du texte n'avait pas altéré la détermination syndicale. Plusieurs centrales avaient décidé en effet d’attaquer le texte au Conseil d’État. Et si la démarche s’est soldée par un échec, elle a cependant eu pour effet de retarder l’entrée en vigueur de la réforme. Celle-ci ne s'appliquant que depuis le 1er juillet 2019.

“La réforme de 2019 a atteint son objectif”

Les mesures adoptées lors de cette réforme s’échelonnent jusqu’au 1er janvier 2023. L’âge légal de la retraite doit ainsi passer à 61 ans en 2021 pour finir à 62 ans. L’allongement de la durée de cotisation pour bénéficier de la retraite sans abattement passe progressivement de 35 à 38 ans, à raison de 9 mois par an. Enfin, la durée de cotisation minimale pour bénéficier d’une pension de retraite avec abattement à 57 ans est passée de 25 ans à 33 ans. Le rapport rendu par le COSR, que Tahiti Infos a pu se procurer, revient sur les effets de ces principales mesures et conclut, en examinant les différents indicateurs que “la réforme de 2019 a atteint son objectif”. Le nombre de départs en retraite a ainsi fortement diminué depuis la réforme, passant de 2 801 en 2019 à 812 en 2020. Un chiffre global divisé par 3,5 qui masque cependant un gros appel d’air en 2019 et des interrogations sur les chiffres de 2020.

Un départ sur quatre pour inaptitude

Anticipant les nouvelles contraintes, les départs en retraite anticipée pour travaux pénibles et pour inaptitude médicale se sont en effet multipliés avant l’entrée en vigueur de la réforme le 1er juillet 2019, pour représenter près d’un départ sur quatre. Un phénomène qui suscite des interrogations des membres du COSR. L’inaptitude médicale est en effet un des motifs permettant de partir dès 50 ans. Le COSR note ainsi que les départs pour ce motif “représentent 217 départs sur un total de 812 en 2020, soit 26,7% des départs, interrogeant sur les procédures de validation et de contrôle”.
Les perspectives faites avant la crise “ne permettaient déjà pas d’équilibrer les recettes et les dépenses et donc d’assurer la viabilité du régime à très court terme. La crise économique liée à la Covid-19 a encore dégradé significativement ces prévisions”.

Parallèlement, le COSR note également que l’âge de départ a reculé, que ce soit pour les cotisants en tranche A (+1,3 an pour atteindre 59,3 ans), ou pour les cotisants A et B (+2,1 ans à 61,1 ans) en dehors des cas d’inaptitudes médicales. De même, le niveau moyen des pensions a baissé sous l’effet des abattements d’âge et des durées de cotisation insuffisantes. La durée moyenne de cotisation a notamment fortement baissé. Probablement peu confiants dans l’évolution et l’adoption de nouvelles mesures pour équilibrer le système, les cotisants préfèrent partir nettement plus tôt, quitte à bénéficier d’une pension bien moindre. Ainsi, pour la tranche A, la durée moyenne de cotisation au départ en retraite des cotisants a baissé de 286 à 169 mois depuis la réforme alors que la durée d’assurance suffisante est à… 429 mois ! Le rapport note l’effet pervers du minimum vieillesse qui “n’incite pas les salariés ayant de bas salaires ou des durées de cotisations faibles à poursuivre leur activité professionnelle pour acquérir des droits”. L’abattement moyen de retraite supporté par les retraités du fait d’une durée insuffisante de cotisation atteint ainsi 44,5% de la pension. Selon le COSR, “la réforme a donc ralenti significativement le rythme de dégradation des comptes de la retraite en ralentissant l’augmentation des charges”.

La CPS en situation critique

Il reste que les mesures prises il y a deux ans sont insuffisantes. D’une part, “la population des retraités est relativement jeune” avec un âge moyen en 2020 qui se situe à 68 ans, d'autre part l’espérance de vie progresse à 75 ans. Deux phénomènes qui ne sont pas de nature à alléger les charges des pensions versées par la CPS. Ces charges qui intègrent notamment les pensions directes et les allocations complémentaires, se sont élevées à 41,8 milliards de Fcfp en 2020, contre 25,6 en 2010 rien que pour la tranche A. D’autre part, la crise de la Covid-19 a notamment réduit le nombre de cotisants. Au niveau du régime des salariés (RGS), il a baissé de 3 182 unités, soit une réduction de 4%. Mais, selon le COSR, “cette baisse ne reflète pas tout à fait la réalité économique car de nombreux salariés ont conservé leur emploi au prix d’une réduction du nombre d’heures de travail” et la reprise est encore incertaine.

Alors qu’en 2010, il était dénombré 2,5 cotisants pour un retraité, le ratio est tombé à 1,8 à la fin de l’année dernière avec une tendance peu favorable depuis vingt ans. Une tendance qui devrait se renforcer. Selon les hypothèses étudiées en s’appuyant sur les cotisants actuellement dans la tranche d’âge des 50-59, le COSR estimé qu’environ 10 000 cotisants au RGS atteindront l’âge légal de la retraite à 62 ans d’ici 2030 et 20 000 entre 2030 et 2040.

Hausse de l’âge minimal et de la durée de cotisation encore à prévoir

Le COSR rappelle que les perspectives faites avant la crise, dans un contexte économique nettement plus favorable, “ne permettaient déjà pas d’équilibrer les recettes et les dépenses et donc d’assurer la viabilité du régime à très court terme. La crise économique liée à la Covid-19 a encore dégradé significativement ces prévisions”. Forcément, l’année 2020 “n’a pas modifié la trajectoire déficitaire des régimes de retraite du RGS confirmant la nécessité de poursuivre la réforme entamée en 2019”. Pour le COSR, compte tenu de l’épuisement des réserves de la CPS, “les pensions ne pourront donc être servies que si des actions immédiates sont engagées, à très court terme sur les recettes et à moyen et long terme sur les dépenses du régime”.

Se fondant sur des hypothèses d’évolution démographique et économique et sur les comptes de la CPS, le COSR s’appuie sur les travaux d’une étude Fraeris réalisée en 2021 et qui propose trois scénarios de réforme. Le scénario de base, minimal, comprend déjà des mesures fortes avec notamment une augmentation de l’ancienneté nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cette hausse se fera sur un rythme de six mois par année, à compter de 2024 pour atteindre 40 années de cotisation en 2027. De la même manière, l’âge minimal de départ à la retraite va également augmenter de six mois par an à compter de 2022 pour atteindre 60 ans en 2027. Les abattements en cas de départ anticipé passeraient de 0,50% à 1,50% par trimestre manquant dès 2022. Enfin, il est proposé également un gel de la revalorisation des pensions du régime Tranche A pendant 5 ans entre 2022 et 2026. Deux scénarios plus drastiques intègrent notamment, en plus, une réduction du taux plein de la pension de -10% et une augmentation des cotisations de la tranche A dès 2022. Des “mesures draconiennes” selon le COSR mais qui, pour autant, “ne permettent pas une viabilité du régime au-delà de 2032”.

le Vendredi 30 Juillet 2021 à 06:29 | Lu 7782 fois