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Regnault sur Temaru : "Ca ressemble quand même à de l'acharnement"


Tahiti, le 14 juin 2020 - Interrogé sur l'actualité judiciaire et politique du leader indépendantiste, Oscar Temaru, l'historien Jean-Marc Régnault considère que la situation renvoie aux "rapports entre la justice et le pouvoir" particulièrement en outre-mer où "la justice a toujours donné cette image de vouloir régler les problèmes autrement qu'elle ne les règlerait en métropole".
 
En tant qu'historien, que pensez-vous de la situation judiciaire dans laquelle se trouve aujourd'hui Oscar Temaru ?
 
"Il faudrait bien sûr replacer tout cela dans un contexte historique et dans un contexte de la crise du coronavirus où les passions s'exacerbent un peu. Mais le vrai le vrai problème qui se pose actuellement dans le cas Temaru, c'est celui des rapports entre la justice et le pouvoir. On avait espéré au début des années 2000 que la magistrature serait complètement séparée du pouvoir. La droite française de l'époque ne l'a pas voulue, donc la magistrature reste toujours dépendante du pouvoir. Mais à côté de ça, le ministre de la Justice peut très bien jouer un rôle neutre. Madame Belloubet a dit ici qu'elle ne donnait jamais d'instruction personnalisée. Mais il faut bien savoir que les magistrats ont une carrière qui dépend de l'Etat et (…) (ils) disposent toujours d'une marge de manœuvre, à la fois pour interpréter la loi dans un sens minimaliste ou maximaliste. Et puis, il y a la façon de procéder. La façon de faire de la publicité autour d'une affaire. Or, il y a un problème qu'a très bien soulevé encore récemment le président Fritch dans son interview à la commission sénatoriale de l'outre-mer : (…) c'est que les haut-fonctionnaires soient mieux formés aux outre-mer. On a toujours l'impression que l'histoire se répète et que beaucoup de personnes viennent ici sans connaître la profondeur de l'histoire, la profondeur de la sensibilité des gens. Un homme comme Oscar Temaru, je ne connais pas le dossier à fond donc je ne sais pas quel est son degré réel de culpabilité dans cette affaire, tout le monde s'accordant à dire que c'est un homme honnête, on voit mal pourquoi et comment on s'acharne en quelque sorte sur lui. Parce que ça ressemble quand même à de l'acharnement. Alors que l'affaire pourrait être traitée avec, me semble-t-il, beaucoup plus de détachement."
 
La justice est-elle "instrumentalisée" dans ce cas de figure ?
 
"C'est difficile de répondre de façon aussi catégorique. Disons que partout en France par exemple, la justice connaît très bien le contexte français et éventuellement le contexte régional si c'est une affaire régionale. Mais la justice d'outre-mer a toujours donné cette image de vouloir régler les problèmes autrement qu'elle ne les règlerait en métropole. Soit par la sévérité excessive ou soit au contraire par une indulgence coupable quelque fois. Donc on a toujours cet éternel problème. (…)"
 
Certains osent le parallèle avec Pouvana'a ?
 
"Alors là, c'est extrêmement difficile de faire des parallèles et des comparaisons. Parce qu'on est 60 ans plus tard. On peut se permettre aujourd'hui de dire des choses qu'on n'aurait pas osé dire autrefois. Et donc c'est un peu facile de dire qu'on va faire une comparaison avec ce qui s'est passé il y a 50 ou 60 ans. Parce qu'à ce moment là, on peut toujours tout justifier. Je crois que ce serait maladroit de montrer les ressemblances. Sauf à ce qu'on a affaire à des gens manifestement reconnus comme honnêtes, et que pour des raisons qu'on a du mal à saisir, on cherche soit à les éliminer de la vie politique, soit à leur causer plus d'ennui qu'ils ne le mériteraient vraisemblablement."

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun le Dimanche 14 Juin 2020 à 17:26 | Lu 3783 fois