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Référendum constitutionnel au Chili: les électeurs divisés face à la "plurinationalité"


Javier TORRES / AFP
Javier TORRES / AFP
Temuco, Chili | AFP | jeudi 31/08/2022 - L'autonomie politique, administrative et financière qu'entend accorder aux peuples autochtones du Chili la nouvelle constitution, soumise dimanche à référendum, suscite un fort rejet dans la population et ne satisfait pas non plus les groupes indépendantistes.

La proposition de faire du Chili un Etat "plurinational", qui reconnaît la coexistence de différents peuples et cultures comme c'est le cas en Bolivie, Equateur ou au Canada avec le Québec, met à nu la fracture au sein de la population chilienne où 12,8% des 20 millions d'habitants se déclarent indigènes, dont 9% Mapuches.

Pour ses détracteurs, les plus véhéments issus de la droite conservatrice, la large autonomie ainsi qu'un système judiciaire spécial qu'accorderait le nouveau texte est un parti pris indigéniste qui instaurerait des citoyens de différentes "classes". 

A l'inverse, la majeure partie de la gauche estime que le projet constitutionnel, qui consacre également un catalogue de droits sociaux et un nouveau système d'organisation politique, vient solder une vieille dette à l'égard des peuples premiers.

Hilary Hinen, universitaire à l'école d'histoire de l'université Diego Portales, voit dans le texte un "grand pas en avant en termes de relation entre l'Etat et les peuples indigènes du Chili" et "des outils que nous n'avons pas actuellement" pour résoudre le conflit actuel, qui est politique.

L'article Ier de la constitution rédigée par une Assemblée de citoyens élue stipule que "le Chili est un Etat social et démocratique fondé sur l'Etat de droit. Il est plurinational, interculturel, régional et écologique".

A la différence de l'actuelle constitution, rédigée sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), amendée de nombreuses fois mais qui place l’économie néolibérale au cœur de ses principes fondateurs, 11 peuples indigènes seraient désormais reconnus : Mapuche, Aymara, Rapa Nui, Lickanantay, Quechua, Colla, Diaguita, Chango, Kawésqar, Yagan et Selk'nam.

Nation Mapuche

Les autochtones les plus radicaux ne croient pas que la plurinationalité soit la réponse à leurs revendications de récupération de terres qu'ils considèrent comme leur appartenant en vertu de droits ancestraux. 

A Temucuicui, territoire mapuche dans la région d'Araucanie, à quelque 800 km au sud de Santiago, personne n'entre sans autorisation. Victor Queipul a accepté de s'entretenir avec l'AFP près de la ville de Collipulli sur un terrain "récupéré" à force d'incendies criminels et sabotages d'entreprises forestières. 

"Nous voulons nous reconstruire en tant que nation Mapuche, il n'y a pas d'autre alternative", a déclaré à l'AFP le défiant "lonko" (chef) de la communauté de Temucuicui, qui dirige une des zones les plus insurrectionnelles du sud chilien. 

La ministre de l'Intérieur Izkia Siches s'y est rendue en mars, deux jours après l'entrée en fonction du nouveau gouvernement de gauche de Gabriel Boric, signe de sa volonté de dialogue. Elle a été reçue par des tirs en l'air qui l'ont contrainte à rebrousser chemin.

"Je ne fais de compromis avec aucun politicien, avec aucun Etat", affirme Victor Queipul, écartant la nouvelle constitution rédigée pendant un an par les 154 membres élus de l'assemblée constituante, dont 17 sièges étaient pourtant réservés aux représentants des peuples autochtones.

Ces dernières semaines en Araucanie, des groupes radicaux ont intensifié les incendies criminels et contraint le président Boric, malgré son refus initial, de déployer l'armée.

"On sait que pour ces groupes (...) la voie à suivre n'est pas un nouveau pacte démocratique mais une rupture avec l'Etat", a déclaré à l'AFP Salvador Millaleo, avocat et universitaire mapuche. Pour lui, il s'agit d'"une erreur historique à l'égard du peuple mapuche, puisque la grande majorité d'entre eux sont en faveur d'une solution pacifique".

Julio Hotus, membre du Conseil des anciens de l'Île de Pâques, un territoire insulaire chilien d'origine polynésienne situé au milieu du Pacifique, se dit "très optimiste que cette Constitution soit une nouvelle vie pour le pays. Pour nous, les Rapa Nui, c'est l'opportunité du siècle d'être reconnu constitutionnellement".

Mais beaucoup d'électeurs, même au centre-gauche, sont réfractaires à la plurinationalité dans un seul et même Chili et différents sondages prédisent que le texte sera rejeté par les 15 millions d'inscrits appelés à ce vote obligatoire. Tous cependant soulignent le grand nombre d'indécis.

le Jeudi 1 Septembre 2022 à 04:28 | Lu 272 fois