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Réchauffement climatique : les espèces endémiques du fenua en danger


Les forêts polynésiennes où vivent des espèces endémiques, menacées par le réchauffement climatique. Crédit photo : Greg Boissy.
Les forêts polynésiennes où vivent des espèces endémiques, menacées par le réchauffement climatique. Crédit photo : Greg Boissy.
Tahiti, le 10 mai 2023 - Lors de la première journée du colloque intitulé “insularité et changement climatique” organisé à l'UPF mercredi et jeudi, l'écologue Jean-Yves Meyer, a présenté les effets du réchauffement de la planète sur les écosystèmes terrestres. Selon lui, en 2050, plus d'1 million d'espèces seront en danger d'extinction dont la plupart seront des espèces endémiques.
 
“On parle beaucoup des effets du changement climatique, et à juste titre, au niveau marin, mais le milieu terrestre va, lui aussi, être grandement touché”, a déclaré l'écologue Jean-Yves Meyer mercredi matin lors de la première journée du colloque intitulé “Insularité et changement climatique” organisé à l'UPF. En effet, à l'occasion de cet événement, le chercheur a développé les conséquences et les impacts du réchauffement de la planète sur les écosystèmes et notamment ceux de Polynésie, où de très nombreuses espèces endémiques pourraient disparaitre.
 
Pour rappel, ce colloque, qui se termine jeudi soir, a pour objectif de mettre en relation des universitaires de l'UPF et d'ailleurs avec des praticiens afin d'échanger sur plusieurs thématiques, comme les conséquences du changement climatique, les politiques publiques sur ce sujet mais également le droit environnemental. “La nouveauté, c'est que parmi les universitaires, on va associer des scientifiques, des juristes, des économistes et même des linguistes. Car l'environnement ne se traite pas d'une seule façon, et tous les scientifiques n'ont pas un discours unique”, avait expliqué la semaine dernière, la co-organisatrice de l'événement, Florence Poirat. La matinée de mercredi s’est donc focalisée sur un état des lieux des conséquences du réchauffement climatique.
 
Durant cette matinée, Jean-Yves Meyer, qui est également chargé de recherche à la Délégation à la recherche de la Polynésie française, a donc présenté ces impacts sur la biodiversité terrestre. Parmi eux, les risques d'extinction des espèces, leurs déplacements en latitude ou en altitude, le changement des périodes de croissance ou de reproduction, la modification de leur morphologie et de leur  ratio male/femelle.
 
Les impacts sur les écosystèmes
 
Pour présenter l'impact sur les écosystèmes, l'écologue les a départagés en trois catégories : “Les zones littorales et humides, les forêts semi sèches et les forêts de nuages [en altitude, NDLR]”Les effets du réchauffement de la planète, vont être différents sur chacune de ces zones et par conséquent, chacune va réagir d'une manière propre. “Pour les littoraux, qui dit élévation du niveau de la mer, dit régression des végétations sur les côtes”, a-t-il expliqué. “Ensuite, au-delà des zones littorales, il y a également les zones humides de basse altitude, dont personne ne parle, et qui vont être durement impactées. C'est par exemple, les marécages comme à Tubuai ou encore les prairies salées.” La salinisation des nappes phréatiques sera aussi une conséquence directe de la montée des eaux, ce qui va toucher les espèces d'eau douce dans cette zone.
 
En ce qui concerne les forêts semi sèches, comme par exemple celle de Terre Déserte à Nuku Hiva et les cotes des îles Sous-le-Vent, les principaux risques seront le manque de précipitation et par conséquent l'augmentation des incendies. Mais, ce seront certainement les “forêts de nuages”, celles qui se trouvent en altitude, qui vivront les plus grands chambardements. En Polynésie, on retrouve ces zones montagneuses, aux Marquises, à Rapa ou encore à Tahiti. Ce sont les espèces qui vivent dans ces espaces qui ont potentiellement le plus de risques de disparaitre ou d'être placées en voie d'extinction à cause du changement climatique. “La question que l'on se pose également, c'est est-ce qu'il y aura une augmentation de la fréquence et de l'intensité des cyclones ou des précipitations ? Car tout ça viendrait perturber encore plus l'écosystème et la structure des forêts, avec des forts glissements de terrains” craint aussi Jean-Yves Meyer.
 
Vers une extinction des espèces ?
 
Comme évoqué plus haut, ces changements climatiques vont mettre en danger de très nombreuses espèces animales et végétales. “On prédit que 18 à 35% des espèces, soit 1 million d'entre elles, seront menacées d'extinction en 2050”, a annoncé l'écologue. “Et on sait que les zones géographiques, où il y a des espèces endémiques, comme en Polynésie, seront les plus touchées.” Toujours selon Jean-Yves Meyer, il y aura également une perte de 80% de toutes les plantes de zones alpines.
 
Les animaux vivant en haute altitude seront les plus touchés par le réchauffement climatique, car ce sont eux qui possèdent le moins de capacités d'adaptation. “Ils vivent dans des habitats bien particuliers qui sont souvent des niches climatiques. Ils sont présents sur des petites surfaces, sont génétiquement isolés et se dispersent faiblement. Ce sont les caractéristiques des animaux endémiques insulaires d'altitude”, a-t-il expliqué. Il y a quelques années, l'écologue avait mené une étude sur la régression, liée au changement climatique, des espèces dite d'altitude. “Avec une simulation de +1,4 degré en 2050, on a calculé que les animaux et les végétaux allaient migrer 220 mètres plus haut que leur habitat actuel. Ceux qui vivent déjà le plus en hauteur, ne vont donc pas pouvoir migrer encore plus haut et donc il y aura des risques qu'ils disparaissent”, estime Jean-Yves Meyer. Des conséquences annexes du réchauffement de l'air vont aussi menacer ces espèces. Comme par exemple, l'accroissement du nombre de moustiques dans les zones montagneuses : “Les moustiques, habituellement présents en basse altitude, vont pouvoir monter. Transportant la malaria aviaire, ils vont donc pouvoir piquer et contaminer les oiseaux, endémiques ou non, présents dans ces zones. Ce qui va réduire considérablement leur population”. Pour les plantes, il y aura également l'augmentation des risques de pathogènes parasites qui les attaquent : “Il y en a déjà énormément en Polynésie, on travaille dessus actuellement sur leurs identifications.”
 
Cap sur l'anticipation
 
Pour tenter de réduire ces effets sur les écosystèmes, les chercheurs vont donc devoir adopter une “stratégie d'adaptation et de mitigation”, dans le but de préserver les espaces encore non perturbés par l'activité humaine. Selon Jean-Yves Meyer, il va également falloir “restaurer ou réhabiliter ceux qui ont été dégradés par l'homme”, tout en essayant de “conserver la diversité génétique des espèces sauvages et domestiques” et pourquoi pas, tenter une “translocation de celles-ci vers des sites plus favorables”. Pour arriver à de tels résultats la recherche est donc essentielle. “Étudier les espèces les plus sensibles aux variations de température, qui pourront être de bons indicateurs, va nous aider dans nos recherches. Nous allons également étudier les paléoclimats et la végétation dite du passé, pour tenter de reconstruire les changements climatiques qui ont eu lieu dans l'histoire, afin de prédire les ceux qui auront lieu dans le futur” conclut l'écologueLa deuxième journée de ce colloque va être focalisée sur le droit environnemental. Le professeur Prieur, président du Centre international de droit comparé à l'environnement, donnera jeudi notamment une conférence sur le projet de convention relative au statut international des “déplacés environnementaux”.

 

Rédigé par Thibault Segalard le Mercredi 10 Mai 2023 à 18:59 | Lu 1413 fois