Tahiti Infos

Ravel encore renvoyé en correctionnelle, non-lieu pour Bouissou


Tahiti, le 5 décembre 2022 - Le juge d'instruction en charge du second volet de l'affaire de corruption et de trafic d'influence dite “Ravel-Le Gayic” a rendu son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, le 8 novembre dernier. S'il a décidé de renvoyer l'homme d'affaires Bill Ravel, l'apporteur d'affaires Gaston Tetuanui, ainsi que le conseiller technique à l'Équipement Jean Chin Foo pour trafic d'influence dans le cadre de la signature en 2006 d'une convention relative à l'alimentation de produits pétroliers en Polynésie, il a en revanche rendu sept non-lieux dans cette affaire, dont un pour l'actuel vice-président du Pays, Jean-Christophe Bouissou. Le parquet a décidé de faire appel.
 
Trois renvois et sept non-lieux. Le juge d'instruction chargé de l'information judiciaire du second volet de l'affaire “Ravel-Le Gayic”, Thierry Fragnoli, a ordonné le 8 novembre dernier le renvoi devant le tribunal correctionnel de l'homme d'affaires Bill Ravel, de Gaston Tetuanui et de l'ancien conseiller technique de James Salmon, Jean Chin Foo, pour “trafic d'influence” mais les a blanchis des accusations de corruption. Il a par ailleurs rendu un non-lieu pour les sept autres mis en cause dans cette affaire au rang desquels figurent notamment l'actuel vice-président du Pays, Jean-Christophe Bouissou, le fonctionnaire du haut-commissariat, Emmanuel Sztejnberg-Martin, ainsi que l'ancien ministre de l'Équipement, James Salmon.
 
Rappelons en préambule que cette vieille et dense affaire avait démarré le 25 juin 2009, suite à une dénonciation anonyme accusant Cyril Le Gayic, l'ancien dirigeant de la Confédération des Syndicats indépendants de Polynésie (CSIP), de détourner des fonds de la trésorerie de son syndicat. Le parquet avait en conséquence ouvert une enquête préliminaire pour “détournements de fonds publics”. Les premiers éléments de l'enquête ont en effet permis d'établir que le président du CSIP avait encaissé des fonds destinés à la confédération sur son compte personnel et qu'il avait reçu de l'argent de l'homme d'affaires Bill Ravel, propriétaire de la SA Pétrocean. Des fonds que les enquêteurs soupçonnaient d’avoir été versés par le patron de Pétrocéan au syndicaliste en contrepartie de la paix sociale au sein de sa société. Mais les investigations ont aussi révélé le versement par Bill Ravel de sommes en numéraires pour un peu plus de 45 millions de Fcfp à plusieurs hommes politiques ou fonctionnaires, parmi lesquels Jean-Christophe Bouissou, James Salmon ou encore Gaston Tetuanui.
 
Disjonction
 
Dans l’ordonnance, le juge relève que ces sommes d'argent avaient été versées entre septembre 2007 et janvier 2012, soit à la fois après la signature d'une convention de transport des hydrocarbures entre la société de Bill Ravel, la SA Petrocean, et le gouvernement, et pendant le développement du projet de navette rapide King Tamatoa qui était destiné à mettre à la disposition des îles Sous-le-Vent un outil de désenclavement. Un projet porté, là-encore, par Bill Ravel. Constatant que le versement par l'homme d'affaires de ces dizaines de millions à des hommes politiques n'était pas directement imbriqué dans les faits reprochés à Cyril Le Gayic et à Bill Ravel, le juge d'instruction avait décidé de disjoindre les deux dossiers. Le premier volet a d'ailleurs débouché, le 21 juin dernier sur les condamnations de Cyril Le Gayic et Bill Ravel à des peines respectives de trois ans de prison dont un an ferme  et deux ans de sursis. Les deux hommes ont fait appel.
 
Ce premier volet ayant déjà été jugé, c'est donc sur la deuxième partie de cette affaire, dans laquelle Bill Ravel est soupçonné d'avoir payé des hommes politiques pour obtenir un soutien dans le cadre du projet du King Tamatoa et pour la signature de la convention signée en juillet 2006 entre sa société et le Pays, que porte l'ordonnance de renvoi rendue par Thierry Fragnoli le 8 novembre dernier.
 

Plusieurs non-lieux
 
Dans ce document qui constate l’achèvement de la procédure d’instruction et renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel, le juge d'instruction débute en abordant le cas d'Alain Kim Than Trong, le directeur général de Petrocean entre 2005 et 2009. L’homme est poursuivi pour avoir remis des enveloppes d'argent pour le compte de Bill Ravel Ravel à Gaston Tetuanui entre 2007 et 2009. Des enveloppes qui étaient, selon les enquêteurs, destinées à remercier Gaston Tetuanui d'être intervenu auprès du Pays afin de plaider en faveur de la convention sur les hydrocarbures. Interrogé sur ces remises d'enveloppes contenant plusieurs millions de francs au total, Alain Kim Than Trong les avait reconnues en indiquant globalement qu'il n'avait fait que suivre les ordres. Selon le magistrat instructeur, si “la matérialité de la remise d'argent de Bill Ravel, par l'entremise d'Alain Kim Than Trong en toute connaissance de cause de celui-ci était établie”, il a aussi été prouvé que les remises de fonds étaient intervenues plusieurs mois après la signature de la convention et que la “condition d'antériorité” n'était donc pas remplie. Le juge d'instruction a donc prononcé un non-lieu sur ce volet.
 
Parmi les sommes d'argent versées par Bill Ravel à des hommes politiques, les enquêteurs avaient relevé que l'homme d'affaires avait transmis 900 000 Fcfp à Jean-Christophe Bouissou en juin 2007. Cette somme était apparue dans la comptabilité de Taui FM lors d'une perquisition au sein des locaux de la radio associative de Jean-Christophe Bouissou. À l'époque ce dernier avait expliqué, tel que le rapporte le juge Thierry Fragnoli, que son mandataire financier pour la campagne électorale des législatives de 2007 avait “sollicité” Bill Ravel au même titre que “d'autres sponsors”. “Comme ces sommes ne pouvaient pas être enregistrées dans les comptes de campagne car elles dépassaient le seuil légal des dons en espèces”, elles avaient été versées sur les comptes de la radio. Interrogé sur la raison pour laquelle il n'avait pas “remboursé ce don en espèce à Bill Ravel puisqu'il n'était pas légal”, Jean-Christophe Bouissou avait opposé qu'il avait, bien au contraire, respecté “les règles démocratiques” : “C'est ce que j'ai fait en n'autorisant pas au travers de mon mandataire financier la perception de la somme. Rien n'interdisait par la suite M. Ravel d'autoriser l'affectation de cette aide pour le financement de l'association à but non lucratif Taui FM.”
 
“Promoteur du projet”
 
Reste que, entendu sur le versement de cette somme à Jean-Christophe Bouissou par Bill Ravel, Alain Kim Than Trong avait, pour sa part, affirmé que l'actuel vice-président du Pays était “le promoteur du projet de loi destiné à exonérer le King Tamatoa de certains droits et taxes sur le carburant en 2010”. Et à la question de savoir s'il estimait que Bill Ravel “avait contribué aux campagnes électorales de Jean-Christophe Bouissou en remerciement de son rôle dans ce projet”, Alain Kim Than Trong avait répondu qu'il “pense que oui” car “Bill ne dépense pas d'argent de manière magnanime”, poursuit le juge d'instruction. Outre ces 900 000 Fcfp, Bill Ravel avait en outre remis 500 000 Fcfp à Jean-Christophe Bouissou par le biais d'un fonctionnaire du haut-commissariat, Emmanuel Sztejnberg-Martin, à la fin du mois de janvier 2008. Une somme destinée, selon Jean-Christophe Bouissou, à “aider” Taui FM.
 
Mais interrogé sur un éventuel lien entre le financement de sa campagne et son action dans le cadre du projet du King Tamatoa, Jean-Christophe Bouissou s’était indigné en apostrophant le magistrat instructeur : “Comment faites-vous la relation entre un projet de texte concernant des navires à grande vitesse voté en 2010 et un sponsoring de radio entre 2007 et 2008 ?” Un raisonnement suivi par le juge d'instruction qui prononce donc dans ce volet du dossier une ordonnance de non-lieu au bénéfice de Jean-Christophe Bouissou, Bill Ravel et Emmanuel Steinberg Martin au motif que “cette somme a été versée en juin 2007, soit environ deux ans avant l'émergence du projet King Tamatoa, ce qui rend improbable tout lien de causalité et tout pacte de corruption”.
 

Remerciement pour intervention
 
S'il ordonne ces non-lieux dans le cadre des sommes remises à Jean-Christophe Bouissou, le juge d'instruction retient cependant les faits de trafic d'influence pour Bill Ravel et Gaston Tetuanui sur la convention de transport d'hydrocarbures et ses avenants. Il rappelle ainsi que Bill Ravel prêtait “un certain pouvoir d'influence” à Gaston Tetuanui qui permettait de “comprendre l'intervention omnipotente de ce dernier”. Face au magistrat, l'armateur avait reconnu avoir versé la somme de dix millions de Fcfp, “convertie en quatre parkings de 2,5 millions de Fcfp chacun”, pour remercier Tetuanui “pour son intervention dans le renouvellement de la convention de livraison d'hydrocarbure à la Polynésie française par la société Pétrocean”.
 
Troisième et dernier mis en cause de ce dossier à être renvoyé devant le tribunal correctionnel, Jean Chin Foo, l'ancien conseiller technique de l'ex-ministre de l'Équipement, James Salmon, sera également jugé pour trafic d'influence passif. Chargé, entre 2005 et 2006, de mettre le projet de convention en forme, l'homme avait été également été chargé d'étudier la demande d'avenant de cette convention qui avait été signée en janvier 2008. Ce premier avenant avait permis l'augmentation de la fourchette de tarification du fret. Entre mai et octobre 2008, Jean-Chin Foo avait ensuite perçu 14,4 millions de Fcfp de la part de Bill Ravel. Il est donc lui aussi renvoyé en correctionnelle pour ces charges.
 
Pas de “contrepartie” pour James Salmon
 
Concernant les quatre derniers mis en cause de ce dossier – la comptable de Bill Ravel, Carole Toofa ; le ministre James Salmon ; la compagne Barbara Than Trong ; et le conseiller du ministre Charles Thunot – le juge d'instruction a également prononcé quatre non-lieux. À propos de Carole Toofa, la comptable des sociétés de Bill Ravel qui retirait les fonds pour ce dernier, il a estimé “qu'aucun élément ne démontrait qu'elle connaissait le détail des éventuels arrangements et des possibles desseins de Bill Ravel avec les multiples protagonistes de cette partie du dossier”. Il constate aussi qu'elle n'en avait tiré “aucun profit”. Même analyse pour l'assistante comptable de Petrocean et épouse de Kim Than Trong, Barbara Than Trong, qui n'ayant pas “la qualification et les compétences d'une comptable”, ne pouvait “appréhender le caractère problématique des écritures et des bordereaux de virement que Bill Ravel lui demandait de rédiger”.
 
L'ancien ministre de l'Équipement, James Salmon, bénéficie lui aussi d'un non-lieu. Poursuivi pour avoir perçu un million de Fcfp de Bill Ravel le 5 février 2008, soit trois semaines après avoir signé le premier avenant de la convention, l'homme s'était également défendu de toute “contrepartie” lors de ses auditions. Pour le magistrat instructeur, il est nécessaire de relever que ce versement, postérieur de plusieurs mois à la convention, rend “improbable” le lien de causalité de ce versement avec la signature antérieure de l'avenant. Enfin, concernant l'ancien chef de cabinet de James Salmon, Charles Thunot, le conseiller avait encaissé un chèque d'un million de Fcfp remis par Jean Chin Foo avant de faire un virement au bénéfice du compte de campagne du ministre en février 2008. Le juge Thierry Fragnoli relève, là-encore, que le virement de cette somme est intervenu 17 mois après la signature de la convention. Ce qui exclut, selon lui, tout pacte de corruption.
 

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 5 Décembre 2022 à 18:30 | Lu 2497 fois