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Protection de l'emploi local : Pourquoi ça tarde


Tahiti, le 30 mai 2021 – Votée en juillet 2019, la loi du Pays sur la protection de l'emploi local tarde à entrer en application en Polynésie française. La faute à la crise Covid, selon le gouvernement, qui défend dans le même temps l'intérêt d'une telle mesure pour lutter contre les effets de la crise. De leur côté les syndicats de salariés s'impatientent, mais la route est encore longue.

Sujet très en vogue ces derniers mois, la problématique de la protection de l'emploi local devait être réglée par la loi du Pays votée en juillet 2019 par l'assemblée de la Polynésie française. Mais près de deux ans après son passage à Tarahoi, le texte n'est toujours pas applicable. La revendication figure pourtant au cœur de plusieurs récents préavis de grève et agite les réseaux sociaux au moment où la crise économique liée au Covid vient tendre le marché de l'emploi.
 
"Inquiétudes" contre "fantasmes"
 
"La loi cadre existe, mais il n'y a pas encore d'arrêtés permettant son application. C'est en cours de discussions, mais bon ça fait quand même des années qu'on discute autour d'une telle loi", s'impatiente Cyril Le Gayic, de la CSIP, dans les travées du Cesec. "Au niveau de la direction du travail, ce dossier n'avance pas. Nous avons relancé la ministre du Travail sur ce sujet parce que ce qui nous inquiète aujourd'hui c'est qu'on constate que de nombreux motifs impérieux professionnels sont utilisés par des gens qui arrivent de métropole sur le territoire pour trouver un emploi en Polynésie. Ce qu'on ne voudrait pas, c'est que le bassin de l'emploi polynésien, déjà fragilisé par la crise, ne permette à des métropolitains de venir priver de travail des personnes déjà installées en Polynésie." Egalement issu des rangs de la CSIP, l'actuel président du Cesec Eugène Sommers affirme parler au nom de "toutes les organisations syndicales" lorsqu'il demande "que cette loi soit appliquée" en Polynésie. "D'autant que lorsqu'on se promène à Papeete, on entend que beaucoup de métropolitains viennent chercher du travail ici en ce moment", affirme également de son côté le président de la Quatrième institution du Pays.

"Il y a beaucoup de fantasmes derrière cette crainte de voir des personnes arriver de métropole pour trouver du travail en Polynésie, surtout en ce moment. Mais c'est vrai qu'on entend particulièrement cette peur chez les salariés en ce moment", confie un représentant du patronat au Cesec, tempérant l'idée selon laquelle on assisterait à un exode massif de travailleurs venus de l'extérieur. Le motif impérieux professionnel ne permettant l'accès à la Polynésie qu'aux voyageurs justifiant déjà d'un contrat signé ou d'une promesse d'un entretien d'embauche. Parmi les organisations patronales à l'origine du recours contre la loi du Pays sur la protection de l'emploi local en 2019, Christophe Plée de la CPME affirme ne pas s'étonner de retard pris dans l'application du texte. "Nous l'avions dit dès le départ, ce texte est trop compliqué d'application. La preuve, cela fait deux ans que la loi est au placard", constate Christophe Plée. "Maintenant, pour la CPME, notre position c'est que cette loi a été votée, donc nous l'appliquerons."
 
A cause du Covid et grâce au Covid
 
L'idée d'instaurer une réglementation protégeant l'emploi local au fenua n'est pas nouvelle. Loin de là. Un premier texte porté par l'UPLD en 2009 avait été annulé par la justice administrative et une seconde proposition de loi du Pays du Tavini en 2016 s'était heurtée à un avis défavorable du Cesec. En juillet 2019, le texte du gouvernement Fritch avait été attaqué par plusieurs organisations patronales et très partiellement censurée par le Conseil d'Etat. Une procédure qui avait retardé la promulgation de la loi du Pays au mois de novembre 2019.
 
Pour le gouvernement, c'est ensuite la crise Covid survenue début 2020 qui "n'a pas permis d'engager sa mise en œuvre", précisait une communication en conseil des ministres le 28 avril dernier. La priorité ayant été donnée à l'époque à la gestion de la crise et aux dispositifs de soutient à l'emploi type RES, Diese, Deseti ou encore CAES… Paradoxalement, le gouvernement estimait dans cette même communication en conseil des ministres que le contexte de crise actuel "où le marché de l’emploi risque d’être de plus en plus contraint" redonnait "toute son importance" à la question de la mise en œuvre de la loi du pays relative à la promotion et à la protection de l’emploi local.
 
Problème, la mise en place effective du texte ne va pas se faire en un claquement de doigt. Une "commission consultative tripartite de l'emploi local" (CTEL) composée de représentants du gouvernement, des syndicats de salariés et du patronat doit encore voir le jour. Puis cette commission devra émettre un avis sur "la liste des activités professionnelles soumises à une mesure de protection de l’emploi" sur la base de "déclarations préalables à l'embauche". Et enfin cette liste devra ensuite faire l'objet d'un arrêté en conseil des ministres.
 
Des réunions d'information
 
Plus récemment, une seconde communication en conseil des ministres le 12 mai dernier a annoncé des "réunions d'information" dans le courant du mois de juin pour "rappeler le mécanisme du dispositif de protection de l'emploi local" et "expliciter le fonctionnement de la CTEL". Et ce n'est qu'à l'issue de ces réunions que les partenaires sociaux seront invités à désigner leurs représentants pour la commission. Le gouvernement a également annoncé qu'il lui faudrait au préalable "adapter le formulaire actuel de la déclaration préalable à l’embauche" afin "d'établir chaque semestre la statistique sur le marché de l’emploi".
 
En bref, le chemin de croix de la réglementation sur la protection de l'emploi local est loin d'être terminé.
 

Rédigé par Vaite Urarii Pambrun et Antoine Samoyeau le Dimanche 30 Mai 2021 à 18:26 | Lu 2725 fois