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Privée de Ligue 1, Canal+ doit se réinventer


Paris, France | AFP | mercredi 30/05/2018 - Privée des droits de la ligue 1 de football, un atout historique, et attaquée sur le créneau des films et des séries par de nouveaux concurrents comme Netflix, Canal+ est désormais dans l'obligation de se réinventer.

Canal+ n'a pas accepté la flambée des prix des droits TV pour la période 2020-2024, qui ont grimpé de 60% sur la période précédente pour au total dépasser le milliard d'euros.   
"Je crois que c'est impossible pour un quelconque acteur de miser de telles sommes et de les rentabiliser", a estimé mercredi matin sur Europe 1 Maxime Saada, le président du directoire de Canal+.
"Il y a des moyens de se réinventer, aujourd'hui nous sommes une chaîne qui est plus compétitive qu'elle ne l'a jamais été", a-t-il affirmé.
La chaîne payante, qui doit déjà faire face à une érosion de son audience, va devoir renoncer à la diffusion de ces matches qui ont tant fait pour son succès, sauf à réussir à négocier des accords avec le grand vainqueur de l'appel d'offres, le groupe espagnol Mediapro, contrôlé par le fonds chinois Orient Hontai Capital.  
Pour Olivier Bomsel, titulaire d'une chaire d'économie des médias et des marques à Paris Tech, Canal + arrive au bout du modèle très hexagonal défini à sa création en 1984.
Canal+ a été "un outil politique", qui a permis "de ranger sous les obligations de la chaîne, gonflée des droits du foot, le financement" du cinéma français, a-t-il rappelé.
Parmi les ultimes soubresauts de ce vieil accord, selon Oliver Bomsel, l'intervention du président François Hollande en 2014 auprès de l'émir du Qatar, lors du précédent appel d'offres pour les matches de L1.
A l'époque, M. Hollande avait appelé l'émir du Qatar pour éviter que beIn Sports ne fasse trop monter les enchères et ne rafle les droits, une initiative qui avait provoqué la colère de la Ligue professionnelle du football (LFP) lorsqu'elle l'avait apprise.
Mais ce modèle est battu en brèche: le concept même de chaîne de télévision est remis en cause, et de riches acteurs internationaux viennent attaquer la chaîne sur ses marchés, qu'il s'agisse des Qataris derrière beIn ou de Netflix, la plateforme de vidéo à la demande. 
Conséquence des incertitudes sur l'avenir de la chaîne, le titre Vivendi, maison-mère de Canal+, perdait 3,82% en milieu de journée mercredi.
Pourtant, la perte des droits de la L1 "peut être un mal pour un bien" pour Canal+, en lui donnant les moyens d'évoluer en profondeur, estime Jérôme Bodin, analyste chez Natixis. 
Canal+ pourrait parvenir à générer "jusqu'à 540 millions d'euros d'économies par an" dans un scénario sans L1, a-t-il estimé.
Cela "va lui donner les moyens de transformer en profondeur son modèle, et de mieux adapter son offre à la structure du marché, avec l'importance grandissante de la fiction" et l'exigence d'une "taille mondiale", estime Jérôme Bodin.

- Fuite des abonnés -

 
Comme Olivier Bomsel, Jérôme Bodin estime que "Canal+ a tout intérêt à laisser d'autres acteurs supporter la charge financière" des droits de la L1, "quitte à ensuite trouver un accord avec eux".
"Les abonnés regardent essentiellement du cinéma, des séries", et il ne faut pas surestimer l'importance du foot, a estimé de son côté Maxime Saada.
"Il n'y a que deux millions d'abonnés (sur 4,9 millions en France, ndlr) qui regardent occasionnellement de la L1" et "cela peut être moins d'un match par mois", a-t-il ajouté.
Mais certains analystes sont plus pessimistes.
"Dans le scénario du pire, c'est 40% des abonnés qui partiraient", soit une perte de chiffre d'affaires proche du milliard d'euros, estime Bruno Hareng de Oddo Securities.
Et si Canal+ a acquis un solide savoir-faire en matière de fiction, la chaîne est confrontée à une concurrence sévère de nouveaux acteurs américains, estime-t-il.
"Est-ce que Canal peut se réinventer comme un HBO (chaîne américaine de séries) à la française, j'ai envie d'y croire, car il y a quand même une expertise, des séries originales qui fonctionnent bien", estime Bruno Hareng.
"Malheureusement, tous les acteurs qui ont voulu concurrencer les mastodontes américains marchent peu", ajoute-t-il, en référence aux difficultés de Daily Motion (plateforme française de partage de vidéo) ou Viadeo (réseau social professionnel).

Objectif milliard atteint pour 2020-24, avec Mediapro

Plus de 1,153 milliard d'euros par an: voilà la manne des droits TV du Championnat de France pour la période 2020-2024, a annoncé une Ligue de football professionnel (LFP) radieuse. Le grand gagnant de l'appel d'offres mardi est le groupe espagnol Mediapro, le grand perdant Canal+.
 

. "Dimension internationale"

Un "tournant" qui "confirme la dimension internationale du football français et la dimension globale de l'attractivité de notre sport": la LFP a atteint et dépassé son objectif, celui de dépasser le milliard d'euros annuel de droits TV, pour la période 2020-2024. 
C'est plus de 60% de plus que pour la période précédente (726,5 pour la L1 seule sur 2016-2020): "une augmentation significative, qui va permettre d'accélérer le cercle vertueux que nous avons commencé à créer", s'est félicité le directeur général de l'instance, Didier Quillot. "Il y a eu de nouveaux investisseurs, de nouveaux investissements, de nouveaux revenus et cela va continuer à accélérer ce cercle vertueux".
Cette journée "longue, riche en suspense et en émotion", dixit la présidente de la LFP, Nathalie Boy de la Tour, a fait un heureux, le groupe espagnol Mediapro qui a raflé les lots principaux, et un grand perdant, Canal+. 

. Canal+ a "manqué d'ambition"

"Partenaire du football français depuis 1984", dixit Didier Quillot, Canal "n'est plus attributaire d'aucun lot" bien qu'il ait fait des offres "sur chacun des 7" mis en vente. "Canal aurait pu remporter des lots, ils ont manqué d'ambition sur cet appel d'offres", a taclé l'influent président de l'Olympique Lyonnais Jean-Michel Aulas à l'issue de la conférence de presse.
"Il y a une certitude, c'est que Canal ne mourra pas d'avoir payé trop cher des droits sportifs comme la plupart des ses concurrents", s'est défendu de son côté le président du directoire de la chaîne cryptée Maxime Saada.
Mediapro est lui le grand gagnant de cet appel d'offres. Il s'est offert le lot N.1, qui comprend notamment les 10 plus belles affiches de la saison et l'affiche du dimanche à 21h00, et le lot N.2, qui comprend le vendredi 21h00 et le samedi 17h00. Ainsi que le lot N.4, qui compte le multiplex du dimanche après-midi (actuellement diffusé le samedi à 20h00, mais dont l'horaire va changer à partir de 2020), et l'affiche du dimanche 13h00. Le lot N.3, qui compte le samedi à 21h00 et le dimanche à 17h00, a été attribué à BeIN Sports. Free s'est octroyé un lot digital.
Deux lots de moindre importance, les N.5 et N.7, n'ont pas été attribués car "le prix de réserve" fixé par la LFP n'a pas été atteint, et seront remis en vente "avant la fin de l'année 2018", a encore indiqué la LFP.

. Interrogations sur Mediapro

De nombreuses interrogations ont toutefois été soulevées en conférence de presse, concernant Mediapro et les garanties que le groupe espagnol avait présenté. Début mai, la justice italienne a, en effet, suspendu l'offre que le groupe avait formulée sur les droits TV de la Serie A, le championnat italien, en estimant que la proposition du groupe espagnol avait été faite en violation des lois italiennes.
Didier Quillot et la LFP se sont montrés rassurants en assurant que le cahier des charges de l'appel d'offres n'était "pas complètement clair" en Italie, contrairement à celui concocté par l'instance française.
Canal+ paraît plus sceptique: Maxime Saada se demande dans quelle mesure Mediapro est capable "d'aller au bout de sa démarche financièrement" et "d'obtenir la valeur nécessaire pour justifier des montants comme ça".

. Clubs ravis

Les présidents de clubs se sont en tout cas félicités de cette manne nouvelle. "C'est une façon pour le foot français de rattraper une partie de son retard, s'est réjoui le président de Marseille Jacques-Henri Eyraud. Les efforts qui sont faits par les nouveaux propriétaires et les investisseurs sont récompensés."
"On va pouvoir se renforcer, se doter d'infrastructures pour ceux qui ne l'ont pas fait, prendre peut-être un peu plus de risques sur la partie joueurs et sur la partie centre de formation", a de son côté expliqué Jean-Michel Aulas.

le Mercredi 30 Mai 2018 à 04:56 | Lu 181 fois