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Poerani et Teiva, unis à la ville comme à la scène


Poerani et Teiva, unis à la ville comme à la scène
TAHITI, le 30 novembre 2022 - À la ville, Poerani Germain et Teiva Viaris sont enseignants. Sur scène, elle est chorégraphe et danseuse ; il est compositeur, chanteur et musicien. Le couple, dont la troupe Ia Ora Te Hura s’est fait remarquer lors du dernier Heiva, vit pleinement sa passion commune de la scène, la musique et la danse. Un album de musique sort le 9 décembre, un documentaire début 2023 sur France Télévisions.

C’est au lycée La Mennais qu’ils se sont rencontrés. Poerani Germain et Teiva Viaris partagent aujourd’hui leur vie, et leurs passions. Ils sont enseignants tous les deux, mais se retrouvent sur scène, elle comme chorégraphe et danseuse, lui comme compositeur, chanteur et musicien.

“Normal” de devenir prof

Poerani Germain, 36 ans aujourd’hui, est née à Tahiti. Elle a grandi à Paea où elle a fait tout sa “petite” scolarité comme elle le précise. Elle a été inscrite au lycée La Mennais à Papeete. “J’étais bonne élève un peu partout et ne savais pas trop ce que je voulais faire” Elle a pris goût aux sciences. Elle aimait tout particulièrement les mathématiques. Son baccalauréat en poche, elle a rejoint les bancs de l’université de la Polynésie française. Elle envisageait alors de devenir enseignante. “J’ai baigné dans le monde de l’éducation : tante, oncle, mère, grand-mère étaient dans ce domaine. C’était donc, je dirais, normal de devenir prof.

Elle a fait les deux premières années de licence en sciences de la vie et de la Terre à Tahiti, puis la troisième année à Paris, à l’université Pierre et Marie Curie car le cursus s’arrêtait alors au niveau Bac + 2 en Polynésie. Puis elle a enchaîné avec un master en biologie cellulaire et biologie moléculaire. Elle a fait de la microbiologie appliquée à l’environnement et la santé. “J’ai fait alors le choix d’un cursus recherche car finalement cela m’intéressait plus que l’enseignement.

En deuxième année de master elle a effectué un stage dans un laboratoire de recherche à l’hôpital du Kremlin-Bicêtre. Avec une doctorante, elle y a étudié pendant six mois la réaction immunitaire de l’organisme contre le virus d’Epstein-Barr. Son maître de stage lui a proposé de poursuivre avec une thèse. “Ce que j’ai refusé, car cela devenait financièrement compliqué.” Poerani Germain avait sollicité un prêt étudiant. Elle n’imaginait pas continuer trois années de plus ainsi. “Alors je suis rentrée. Et je suis retournée à l’enseignement.” C’était en juillet 2010. Elle a postulé à la Direction de l’éducation et de l’enseignement, s’est tournée vers le Vice-rectorat, la Direction générale de l’éducation et des enseignements (DGEE), la direction de l’enseignement catholique “pour voir s’il n’était pas possible que je fasse des remplacements”. En août 2010, elle a pu démarrer avec deux classes, l’une de terminale, l’autre de BTS au lycée La Mennais. Elle a ensuite fait différents remplacements jusqu’à passer le CAER, “ce qui correspond au Capes dans le privé”, précise Poerani Germain. Depuis 2015, elle est donc titulaire et enseigne dans le lycée où elle a elle-même été élève quelques années plus tôt.

À 13 ans, premières tournées avec Tamariki Poerani

En parallèle et depuis longtemps, l’enseignante a une vie artistique riche. Elle a commencé le ‘ori Tahiti chez elle, à l’âge de 5 ans. À 7 ans, elle est entrée à l’école de danse de Makau Foster. “C’est tout de suite devenu une passion.” Makau Foster a monté sa troupe en 1999 : Tamariki Poerani. Poerani Germain l’a intégrée, comme une évidence, suivant ses déplacements aux quatre coins du monde : Hawaii, États-Unis… “C’était sympa. J’étais jeune, j’avais 13 ans. Je voyais ça un peu comme une colonie de vacances. On visitait et on faisait des représentations.” Elle a aussi dansé dans le groupe de Guy Laurens avec qui elle est allée au Japon, à l’île de Pâques, au Chili, en Nouvelle-Calédonie. Mais elle est restée fidèle à Makau Foster. Elle a fait son premier Heiva avec Tamariki Poerani quand elle a eu l’âge autorisé, c’est-à-dire à 15 ans, en 2001. “On a dansé cette année-là en catégorie professionnelle, car l’année précédente, en 2000, la troupe avait remporté le Heiva en catégorie amateurs.”

Au fil du temps, des Heiva, des représentations et concours, Poerani Germain a gagné en expérience. Elle a eu de plus en plus de responsabilités. Elle a dansé bien sûr mais aussi travaillé sur les déplacements, proposé des pas, joué le rôle de répétitrice jusqu’au point d’orgue en 2017 au Hura Tapairu. “J’ai été très impliquée : chorégraphies, déplacement, gestion des danseuses…” Le succès a été au rendez-vous. Après avoir remporté le Heiva en juillet 2017, Tamariki Poerani a obtenu le prix Hura Tapairu (‘aparima, ‘ōte’a). Poerani Germain a célébré cette victoire avec la troupe en général, et avec son compagnon Teiva Viaris en particulier. Lui avait composé deux chansons pour l’orchestre qui a emporté le 1er prix Pahu Nui.

Teiva Viaris, 36 ans, a “toujours été en ville”. Il a un profil créatif mais est d’une famille qui n’est “pas du tout dans l’artistique”. Toutefois ses parents l’ont inscrit à des cours de piano comme à d’autres nombreuses activités, au nombre desquelles le judo, la voile. “Je suppose que c’était pour me donner un maximum d’armes, pour voir si parmi tout cela quelque chose me plairait.” Il se rappelle ne pas “y avoir pris goût tout de suite”. Du piano, il en a fait jusqu’à l’âge de 12 ans puis s’est arrêté. Et c’est là “que j’ai vraiment pris goût à la musique, quand j’ai fait les choses seul.” Teiva Viaris aime apprendre par lui-même. “Ce qui est paradoxal puisqu’aujourd’hui, je suis prof”, s’amuse-t-il. En cours, il reprenait des morceaux ; chez lui, il composait. Et cela faisait une grande différence. Il a écrit des morceaux qu’il a interprétés avec une guitare, s’est enregistré, a “joué avec des logiciels”. Ses créations étaient “rudimentaires”. Au début, “honnêtement, ça ne ressemblait à rien : les notes sortaient comme ça. Je ne maîtrisais pas grand-chose.”

La composition, quand il était plus jeune, était quelque chose de très personnel. Il ne diffusait rien : “Je faisais comme un album photo de ma vie. C’était un peu comme un journal intime.” Il avait remarqué que ses compositions, écoutées des mois voire des années après leur création, le replongeaient dans l’exacte situation où il se trouvait en créant. “L’objectif était donc de me connaître, de me (re)trouver. Ce qui est toujours le cas quand je trouve le temps de composer pour moi.” Il aime surtout la folk, l’acoustique mais dit écouter des styles très variés qui l’influencent par période. “En ce moment c’est surtout le hip hop, l’électro.” Il revendique “à fond” une influence multiculturelle, y compris lorsqu’il a composé pour le Heiva.

“Je me suis éclaté”


Au lycée, il ne savait pas ce qu’il voulait. “J’ai donc fait ce qu’on me conseillait.” Il a suivi une prépa HEC à Gauguin puis pris la direction de Lille en métropole pour entrer dans une école de commerce. “Je me suis rendu compte très vite que ce n’était pas du tout ce qui comptait pour moi. Mon intérêt pour la musique s’est confirmé au point de me dire que je ne pouvais pas mettre ça de côté.” Il n’a jamais passé autant de temps qu’à Lille avec des instruments : batterie, piano, guitare, basse, chant… Au passage, il insiste pour dire qu’il ne se définit pas du tout comme un instrumentiste : “Je n’ai pas un bon niveau”. Les instruments sont des outils pour ses compositions.

Après son école de commerce, il a fait une école de musique. Sa formation, accélérée, a duré deux ans. Au programme : technique d’enregistrement, musique assistée par ordinateur… “J’avais des bases qu’il me fallait consolider. J’avais aussi besoin de parler à des gens de ce milieu, je me suis éclaté.”

Teiva Viaris est rentré à Tahiti en 2012. “J’étais de passage pour les vacances, je n’avais pas prévu de rester. L’idée était de retourner en métropole et de me débrouiller comme compositeur.” Mais il n’a pas pu repartir. Il s’est tourné, lui aussi, vers la DGEE. La veille de la rentrée en 2012, une place lui a été confirmée au collège Henri Hiro comme professeur de musique. L’année suivante, il a pris une année sabbatique pour préparer le Capes. “C’était pour moi l’option la plus viable pour concilier mes ambitions d’artistes et mon envie de rester à Tahiti. Je ne risquais pas de devenir le meilleur compositeur de la place, mais au moins, je partais au boulot le matin avec une guitare.” Sa préparation au Capes (qu’il a obtenu) lui a permis de consolider ses connaissances en musique et en histoire de la musique. Ce qu’il a particulièrement apprécié. Depuis, il sait avoir fait le bon choix. “On se renouvelle tous les jours, on n’a jamais deux cours identiques. Et, en classe, tu es le seul maître à bord.” En parallèle, il y a quatre ans, il a monté son studio qu’il a appelé Third Fish Music. Il s’est équipé professionnellement. Il compose pour des court-métrages, des publicités, des trailers de films…

Des signes encourageants

En février 2018, Poerani Germain et sa cousine Reiarii Rochette ont fondé la troupe Ia Ora Te Hura. Avec une petite vingtaine de danseuses, elles se sont inscrites au Hura Tapariu de décembre 2018. Teiva Viaris a composé les musiques. Ia Ora Te Hura a remporté le 2e prix en catégorie ‘Aparima, le 3e prix en catégorie Pahu Nui et un prix spécial du jury pour la composition des chants. En 2020, Poerani Germain (Reiarii Rochette s'est retiré du groupe pour des projets personnels) envisageait de s’inscrire à nouveau au Hura Tapairu. Mais le concours a été annulé. “On avait pourtant bien avancé sur le thème, deux musiques avaient été composées. Début 2022, à deux semaines de la clôture des inscriptions, on s’est mis en tête de faire le Heiva.”

L’aventure s’annonçait compliquée. Teiva Viaris, qui a toute confiance en Poerani Germain, a hésité. “C’était exaltant, certes, mais je voyais la montagne à gravir”. Pour Poerani Germain toutes les conditions étaient réunies. “On a réussi à constituer la dream team pour se lancer. La moitié de notre spectacle était conceptualisé. On savait où on allait.” La dream team a tout donné, son temps, son énergie et son cœur. Tout au long de l’aventure, le couple dit avoir eu “des signes qui nous ont confirmé qu’on avait bien fait.”


Par exemple, Olga, danseuse au Moulin rouge, ancienne candidate de Koh-Lanta réalise une série de documentaires intitulée Danse autour du monde. Elle a contacté et suivi Poerani Germain et Teiva Viaris pour la partie Polynésie/’ori Tahiti. “Elle est arrivée une semaine et demie avant notre passage sur scène au Heiva en juillet dernier, elle a filmé quelques répétitions, le spectacle, elle a fait des interviews.” Le documentaire sera diffusé en 2023 en métropole sur France Télévisions, il est en cours de montage. Le couple se rappelle aussi un moment particulièrement fort, deux jours avant de passer sur scène : “On venait de faire notre dernière répétition, on s’est mis à chanter tous ensemble en se tenant par la main. Une petite pluie fine s’est mise à tomber, comme une bénédiction. On s’est arrêté de chanter. Il s’est arrêté de pleuvoir.”

La magie a opéré jusqu’au bout. La troupe a remporté le 1er prix en catégorie Hura Ava Tau. L’orchestre a remporté le prix du meilleur orchestre libre et le prix du meilleur orchestre imposé. Un album, baptisé Te Mana, qui reprend les compositions de ce passage sur scène au Heiva 2022 va sortir le 9 décembre prochain. Il est signé Ia Ora Te Hura et sera disponible sur toutes les plateformes de streaming. Il rend hommage à l’aventure vécue par la troupe. Les musiques ont été réenregistrées et arrangées. “Je n’ai pas cherché l’extravagance à ce niveau : la composition était déjà, me semble-t-il, assez exotique”, précise Teiva Viaris. Un clip a été tourné sur la musique intitulée Te Mana O Te Here, ce qui signifie le pouvoir, la force de l’amour. Elle est interprétée par Taloo et Morea Lechat (Moya). Ces images et cette musique résument Poerani Germain et Teiva Viaris, leur vie, leur union et leurs engagements en attendant de prochaines aventures.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 30 Novembre 2022 à 19:34 | Lu 9336 fois