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“Plus de 300 millions de pertes en mars” pour les pensions de famille


Mélinda Bodin, présidente de l’association du tourisme authentique de Polynésie française.
Mélinda Bodin, présidente de l’association du tourisme authentique de Polynésie française.
Tahiti, le 1er avril 2020 - L’association du tourisme authentique de Polynésie française rassemble 300 professionnels de la petite hôtellerie et de la prestation de service touristiques, répartis sur une trentaine d’îles polynésiennes. Entretien avec sa présidente, Mélinda Bodin, alors que l’activité dans ce secteur est à l’arrêt depuis deux semaines sans espoir de reprise immédiate.
 
A quel point cette crise sanitaire met-elle en péril l’activité des pensions de famille polynésiennes ?
C’est catastrophique. Nos entreprises sont de petite taille. C’est vrai qu’elles emploient très peu de salariés, mais ce sont des familles qui ne vivent que du tourisme et qui permettent à de nombreuses personnes d’avoir une activité économique dans les îles. Dans une île quand la pension de famille va bien, elle achète du poisson au pêcheur, des couronnes aux mamas, l’artisanat fonctionne bien, etc. Aujourd’hui, c’est toute cette économie qui est à l’arrêt. 
Maintenant, le péril ne menace pas que les pensions de famille. C’est toute l’économie du territoire qui est en danger. Le tourisme est la première économie du territoire et la crise s’est fait sentir immédiatement dans le secteur : tous nos établissements sont fermés ; nos prestataires d’activités ont arrêté ; l’artisanat est à l’arrêt. Nous sommes complètement démunis face à cette situation
.”
 
Avez-vous estimé le nombre d’emplois menacés par cette situation dans votre secteur ?
Nous sommes justement en train d’évaluer cela. Ce sont de petites entreprises. Il n’y a pas plus de 900 personnes impliquées directement. Mais vous savez, il faut considérer l’impact d’ensemble : quand une mamie artisane fait vivre sa petite famille avec les produits vendus aux touristes, son mari est pêcheur et vend son poisson à la pension, etc. Il faut voir la situation comme ça. On a tous besoin les uns des autres dans les îles.”
 
Comment la profession gère-t-elle les incertitudes sur la reprise de l’activité économique et touristique après la crise sanitaire ?
Pour le moment, nous essayons déjà de gérer la crise elle-même. On est en contact avec nos membres tous les jours, du matin au soir, depuis deux semaines déjà. Tout ce que ces entrepreneurs attendent de nous pour l’instant, c’est que l’on fasse le relai en leur envoyant les formulaires pour les aides du Pays. 
Nous avons chaque jour des données qui nous remontent sur les réservations annulées, le manque à gagner… A Moorea, Bora Bora, Huahine, Raiatea, Maupiti, Tikehau, Fakarava, Rangiroa, qui sont les îles les plus visitées, la perte est très grande. On en est déjà à plus de 300 millions de Fcfp en mars. 
Maintenant, ils sont nombreux à se demander comment ils vont payer leur fin de mois. Avec le ministère, le Service du tourisme et Tahiti Tourisme, nous sommes en train de travailler sur l’après, afin de savoir comment faire redémarrer le tourisme. Mais on sait très bien que ça ne va pas repartir au mois de mai. C’est une crise mondiale. Les Espagnols ne vont pas revenir du jour au lendemain. Les Américains non plus. Aujourd’hui, il nous faut recréer toute cette économie
.” 
 
Doit-on, selon vous, s’attendre à une catastrophe dans le secteur de la petite hôtellerie familiale ?
La petite hôtellerie familiale s’est professionnalisée. Aujourd’hui les gens ont construit des pensions de famille : 80% de nos membres ont investi pour développer leur activité. Pour eux c’est catastrophique. Si le tourisme s’arrête, ils n’ont plus rien. Il leur faut pourtant rembourser les prêts. 
En matière de trésorerie, ceux qui peuvent tenir réussiront au mieux à passer deux mois parce qu’ils ont un peu d’économies de côté. Mais pour la majorité, ça se compte en une ou deux semaines, voire en jours
.”
 
De quelles aides avez-vous besoin aujourd’hui pour atténuer cet impact ?
Les aides du Pays nous arrangent bien. Maintenant il faut aussi que ce soit rapide. On sait que tout est mis en œuvre pour venir nous donner un coup de main. C’est d’ailleurs l’essentiel du travail que nous faisons avec ma petite équipe, d’adresser les formulaires de demande. Si le Pays met tout ça rapidement en œuvre on a espoir de s’en sortir, mais ça va être dur.”
 
Quelles sont vos craintes pour l’activité dans votre secteur au-delà du mois de mai ?
S’il y a une reprise, elle sera certainement modeste en mai. Je nous donne un an et je ne suis pas pessimiste. Cela va être très compliqué, notamment pour les pensions qui tournaient avec 60 à 70% de remplissage dans les îles les plus visitées. On a tout misé aujourd’hui sur ce tourisme authentique. C’est un pan important de l’économie touristique qui est en péril.
Heureusement que 2019 a été une super année, la meilleure depuis 2000
.” 

Rédigé par Propos recueillis par Jean-Pierre Viatge le Mercredi 1 Avril 2020 à 15:10 | Lu 2591 fois