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Payer les femmes enceintes pour ne plus fumer: efficace, disent les experts


Paris, France | AFP | mardi 10/05/2016 - Rémunérer des femmes enceintes pour les inciter à s'arrêter de fumer? Testée dans seize maternités, cette méthode, inattendue, est une approche positive plus efficace que la culpabilisation, estiment des spécialistes qui soulignent qu'elle a déjà fait ses preuves à l'étranger.

Malgré de nombreuses études scientifiques attestant de la nocivité du tabac sur le foetus (fausses-couches, prématurité, retard de croissance in utero, risque accru d'asthme, etc.), 20% des femmes enceintes continuent à fumer tout au long de leur grossesse en France. Un record européen révélé en février 2015 par le ministère de la Santé.

Pour tenter d'y remédier, 16 maternités françaises vont tenter, pour la première fois, de convaincre de futures mamans d'arrêter de fumer en leur offrant des bons d'achat.

Un total de 400 femmes enceintes vont être recrutées. Des volontaires, majeures, qui doivent être enceintes de moins de quatre mois et demi et fumer un minimum de cinq cigarettes quotidiennes (ou trois roulées, mais pas d'autre produit à base de tabac, ni de cigarette électronique).

"L'expérimentation a démarré le 7 avril et doit durer deux ans", a expliqué à l'AFP Ivan Berlin, médecin à l'Hôpital Pitié-Salpêtrière qui dirige l'étude financée par l'Institut national du cancer.

Les femmes rémunérées recevront en moyenne 300 euros. Et les médecins s'assureront de leur abstinence via des tests de contrôle biologiques.

Une approche qui peut surprendre mais qui est défendue par les addictologues.

"Imaginer qu'être enceinte est une motivation suffisante pour arrêter un comportement toxique revient à ne pas mesurer le potentiel d'emprise physiologique et psychologique que représentent les substances psycho-actives", explique le professeur Michel Lejoyeux, responsable du département de psychiatrie et d'addictologie Bichat-Beaujon.

La grossesse est une façon de faire une "vraie séparation" entre les consommatrices occasionnelles qui vont tout simplement arrêter de fumer pour protéger leur bébé et les dépendantes. Bien que conscientes de la toxicité du tabac, ces dernières ne peuvent s'en passer "pour des raisons biologiques et psychologiques", dit-il.

"Dans un nombre considérable de cas, l'addiction se poursuit dans la honte et la culpabilité", constate le professeur.

Et répéter à une femme enceinte que le tabac est mauvais pour son bébé n'est d'aucune efficacité.

- Déjà testé avec succès pour la cocaïne -
"L'addiction, c'est le détournement des circuits de la récompense vers une récompense unique qui est le produit. Le sujet a un besoin compulsif de la consommation de son produit. Quand il ne l'a pas, il est mal et c'est ce produit qui l'apaise", décrit le professeur Michel Reynaud, du Département de psychiatrie et d'addictologie de l'Hôpital Paul Brousse de Villejuif.

Offrir des bons d'achats peut ainsi agir positivement en activant un processus de plaisir. "Le sujet saisit une autre récompense possible qui vise à faire contre-poids à ce besoin massif du produit".

"On sait, dit-il, que dans les dépendances graves, cette stratégie est efficace. Aux Etats-Unis, elle est testée depuis au moins dix ans sur les sujets dépendants à la cocaïne avec de bons résultats et meilleurs que les résultats des autres thérapies", explique-t-il.

"Cette méthode est certes contre-intuitive. Mais il faut encourager les sujets dépendants plutôt que de les punir ou leur faire honte. Il faut les accompagner dans leur difficultés plutôt que des les pointer du doigt", ajoute-t-il.

Et face aux potentielles critiques sur le principe d'une rémunération des fumeurs ou sur le coût d'une telle méthode, le Pr Berlin met en avant les économies qu'elle génère. Car les coûts associés à la prise en charge par exemple de bébés prématurés ou de faibles poids devraient diminuer.

"Le tabac est tellement toxique pour les bébés que tout investissement est utile à partir du moment où il démontre son efficacité", estime-t-il.

Et de citer une équipe écossaise qui a déjà étudié l'efficacité de cette méthode. Ses travaux avaient été publiés fin janvier 2015 dans la revue médicale britannique BMJ: 23% des femmes ayant reçu une incitation financière étaient parvenues à arrêter la cigarette contre 9% parmi celles qui n'avaient reçu aucune rétribution.

Rédigé par () le Mardi 10 Mai 2016 à 06:53 | Lu 277 fois