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Papio: les manèges qui font "La Joie" des enfants


Papio: les manèges qui font "La Joie" des enfants
Si Tiurai rime avec sport pour les hommes et danse pour les femmes, il rime avec papio pour nos chers bambins. L’attraction apparait comme par enchantement après une année passée dans l’oubli.

Nous avons voulu en savoir plus sur l’univers forain polynésien qui donne tant de bonheur aux enfants. Nous avons donc rencontré la famille Porlier, les gérants des manèges "La joie" à Aorai Tini Hau.

Il faut tout d’abord savoir que les premiers forains ont été la famille Nordman. Albert Porlier, lui, très bricoleur, aidait à l’entretien des machines. Il s’est vite retrouvé passionné. Alors, lorsque l’affaire eu du mal à trouver un successeur, Albert Porlier décida de racheter les deux premiers manèges que sont la grande roue et les chevaux. Ainsi, dans les années 60, Albert Porlier s’installait à l’emplacement du parc Bougainville, anciennement appelé place Albert. Coïncidence ou non, ce fut le début d’une longue aventure.

Aidé de René Dubois, un grand ami, Albert n’a jamais cessé de bricoler ses manèges. Il pouvait passer des nuits à essayer un système puis un autre, pour permettre aux manèges de tourner, encore et toujours. Nos deux amis, dégourdis, sont rapidement devenus de vrais "MacGyver". Et pendant que les hommes mettaient les mains dans le cambouis, Monique, l’épouse d’Albert, veillait au bonheur de chaque enfant.

Ainsi, ils ont doucement diversifié leurs manèges. La première commande fut des avions. Aujourd’hui ce sont 15 manèges qui font tourner le monde Porlier. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les aventures : du bateau aux voitures, en passant par les avions, sans oublier les 2 roues pour les motards en herbe. Peu avant les années 2000, le "dragon" est venu compléter le parc, au plus grand bonheur des jeunes adolescents à la recherche de sensations fortes.
Et comme chaque âge a son petit bonheur, il est difficile de désigner le manège favori des enfants, néanmoins les chevaux semblent rassembler, plus unanimement, petits et grands.

C’est sûr, à Aorai Tini Hau, la densité d’enfants heureux y est très forte. Si "La joie" est inscrite sur les tee-shirts des employés, elle se lit surtout sur les visages lorsque les manèges font leur tour. En général, les pleurs commencent lorsque l’heure du retour à la maison sonne.

Aujourd’hui, Albert et Monique Porlier ne sont plus mais leurs 6 enfants ont repris fidèlement la suite. Le travail est partagé. Les garçons se sont spécialisés dans la mécanique et électronique. Pendant ce temps, les filles plutôt assurent la partie administrative.

Et c’est loin d’être la moindre car les forains ont un système très proche de celui d’une entreprise. Charges, patentes, loyers, factures d’électricité font l’envers du décor. Ce temps de crise touche également l’univers de nos chevaux de bois. Il n’est vraiment pas simple d’être forain. L’investissement est important et l’entretien très couteux puisqu’on est loin des pays exportateurs de ces pièces-là. A quoi s’ajoute une réglementation stricte. Aussi, les gérants ont dû augmenter le prix du jeton à 150fcp, cela faisait plus de 20 ans qu’il était à 100fcp. Cette dure réalité n’épargne pas le monde des manèges, hélas !

Cette année il a fallu près d’un mois pour tout installer. La troisième génération est venue prêter main forte et elle est "réquisitionnée" jusqu’à la fin des vacances. Pour compléter "l’équipe", du personnel est embauché pour l’hiver. Pour ce Tiurai, "La joie" a reçu 462 demandes de travail pour une soixantaine de postes. La famille Porlier est très sensible à ce constat, Albert engageait toujours les plus démunis. Il leur confiait l’entretien du parc les premiers jours, puis une responsabilité plus importante, et ce jusqu’à "l’attribution" d’un manège.
Ce processus se faisait progressivement car deux grands principes devaient être appliqués rigoureusement : respect et sécurité. Albert était catégorique sur ce point-là. Accueillir et encadrer des enfants n’est pas chose aisée. Pour les former, les "novices" sont supervisés par certains employés qui sont là depuis le début, ou presque. C’est le cas de Roo, le responsable des chevaux. Il est toujours là, à installer les petits cavaliers, à s’assurer que tout est ok avant de lancer les chevaux dans leur ronde. Les années ont beau défiler, il n’est pas fiu du spectacle de la "horde de chevaux suspendus". Grâce à ses compagnons de bois, il n’a rien perdu de son âme d’enfant.

Mais les manèges "la joie", ce sont avant tout des valeurs inculquées par les parents et que toute la famille s’efforce de perdurer contre un monde qui pousse à être individuel. Durant toute notre rencontre, nous avons entendu : "papi disait…", "ça, ça vient de papi…". Et le point d’honneur qui met tout le monde d’accord, c’est le don de soi pour le bonheur des autres.

Ainsi, trois matinées sont offertes : une aux enfants handicapés, une aux enfants défavorisés et une aux enfants de Pirae. Un rayon de soleil pour ceux que la vie malmène un peu. Et, durant ce court instant, tous retrouvent leur innocence d’enfant. Un tour de manège pour de merveilleux fous rire, un tour de manège avec de nouveaux amis car tout le personnel est sensibilisé. Et la matinée se termine par une distribution de barbe à papa, moment privilégié avec Monique Porlier qui donnait toujours une caresse sur la tête à chaque enfant, les filles perpétuent la tradition. Je le sais pour l’avoir vécu !

Cette générosité naturelle, voilà ce qui fait tourner les manèges "La joie". Tous les enfants ont un travail, ils n’ont nul besoin de leurs manèges pour vivre. Mais ces manèges sont un héritage, un art de vivre dans lequel ils ont grandi. Aussi, dès que le Tiurai approche, ils laissent leur "petite vie" pour, le temps d’un tour de manège et d’un rire d’enfant, continuer l’œuvre de leurs parents.

Que leur souhaiter ? A part ceci, et la phrase prend tout son sens : tournez, manèges !

Nathalie Salmon

Salmon-Hudry Nathalie Heirani

Nathalie  est infirme, elle écrit avec une licorne
Nathalie est infirme, elle écrit avec une licorne
Nathalie Heirani Salmon-Hudry est née en 1983, à Papeete. Suite à une erreur médicale à sa naissance, elle est infirme moteur cérébral. Malgré ce handicap important, elle cherche toujours à vivre aussi normalement que possible, faisant face aux préjugés et aux difficultés. Son parcours dans la vie est celui d'une personne pour qui rien n'est facile. Chaque jour est un défi et elle le relève grâce à l'amour infini de sa mère. Une « évasan » - évacuation sanitaire - en France la confortera dans l’idée qu’un "handicapé" est une personne "normale", il suffit de bien regarder. Elle se bat, elle apprend, et elle se construit dans un monde ou son handicap lui impose un effort particulier pour les choses qui paraissent les plus simples aux valides. Un parcours atypique pour une vie normale.

En Mai dernier, nous avons rencontré Nathalie Salmon chez son éditeur, Christian Robert du vent des îles. Elle a exprimé une telle envie communiquer et une passion pour l'écriture que nous avons décidé de collaborer avec elle. Régulièrement vous retrouverez dans nos colonnes des articles de Nathalie Salmon.
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La redaction

Rédigé par Nathalie Salmon le Lundi 1 Juillet 2013 à 09:57 | Lu 3032 fois