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Où en est Taputapuātea six ans après l'Unesco


© Jules Bourgat
© Jules Bourgat
Tahiti, le 10 août 2023 - Le 9 juillet 2017, le marae Taputapuātea est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Cette inscription au patrimoine mondial est arrivée avec son lot de droits et de devoirs pour assurer la protection du site et sa bonne transmission aux générations futures. Tahiti Infos est allé à Raiatea pour rencontrer les acteurs du Pays et faire le point sur ce qui a été mis en place depuis.
 
Pk 37, à l'extrémité sud-est de l'île de Raiatea, au milieu d'une nature sauvage et préservée, un espace sacré, cérémoniel, culturel et politique : le site archéologique “Tahua marae Taputapuātea i Ōpoa”. Situé au cœur du triangle polynésien, le marae Taputapuātea est le lieu qui unit tous les peuples de cet espace océanique. En reconnaissance de ce statut de premier ordre, le site est inscrit depuis 2017 au patrimoine mondial de l'Unesco.
 
Lorsque l'on parcourt la route sud de l'île de Raiatea, difficile d'imaginer que l'on va rencontrer un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco. Seuls quelques panneaux flambant neuf le long de la route permettent de savoir que l'on s'en approche. Des crotons, plante originaire du pacifique, ont été plantés le long de la route jusqu'au marae. La mise en scène est mesurée et cherche l’authentique. À proximité du site, un petit hôtel avec un restaurant font office de voisins. Mais encore faut-il le savoir car ils ne sont pas visibles depuis le marae.

“Garder l'authenticité”

© Jules Bourgat
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À l'arrivée sur le site, un parking, ne pouvant accueillir que quelques dizaines de véhicules, se tient devant le marae qui s’étale sur des centaines de mètres entre la route et la mer. Deux vigiles sont présents sur les lieux. Ils assurent la protection du site et s’occupent de la distribution de dépliants montrant une frise chronologique et des indications sur les zones importantes du vestige patrimonial. Ce lundi, une dizaine de locaux se baignent en bordure du site tandis qu'une poignée de touristes sillonnent le lieu, s'asseyant sur les bancs à l'ombre des grands arbres qui ponctuent l’espace de Taputapuātea. Un groupe d'anglophones accompagné d'un guide tatoué de la tête aux pieds et soufflant dans son pū entre deux anecdotes. Dans un anglais courant, il raconte l'histoire et les légendes du marae. Si un guide audio disponible sur internet est censé permettre d’orienter la visite du marae, après un essai peu concluant le dépliant semble plus efficace.
 
Sur place, l'herbe est coupée de près et les feuilles sont fréquemment ramassées. “Avant, c'était la brousse. Aujourd'hui, c'est tout propre”, confie Thomas Moutame, le maire de la commune pour qui le site et ses alentours doivent “donner envie”. Depuis le 9 juillet 2017 et l'inscription au patrimoine mondial de l'Unesco, c'est le Pays qui s'occupe de ce site archéologique. Un conseil de gestion est organisé tous les deux mois avec des représentants de la culture, du tourisme, des habitants et même de l'État. “Ce sont eux qui fixent les règles et non pas l'Unesco”, explique Jean Mere, le médiateur du patrimoine au service de la culture. “L'Unesco a fixé un cahier des charges et reviendra voir si nous l'avons respecté”, explique Thomas Moutame pour qui le plus important reste de “garder l'authenticité du lieu”.
 
Ainsi, même la nouvelle école en construction à Ōpoa, qui sera officiellement inauguré en octobre doit respecter ce cahier des charges. Pour adhérer à la végétation, elle a été conçue avec un toit vert. “C'est le marae qui attire mais il faut que tout soit impeccable autour”, souligne le tāvana. Une vision que partagent les acteurs du tourisme. Malgré la dimension internationale qu'a pris le marae avec son inscription à l'Unesco, “on ne peut pas faire n'importe quoi”, confie Vaihere Lissant, directrice marketing et communication à Tahiti Tourisme.

7 000 à 8 000 visiteurs par an

En 2017, alors président du Pays, Édouard Fritch avait qualifié cette inscription de “défi” en mettant en avant la promotion du site mais aussi son respect. “Nous nous engageons à transmettre aux générations futures ce trésor qui est avant tout vivant et que nous voulons partager avec l'humanité tout entière”, avait-il assuré. Depuis, même si l'on est loin des millions de visiteurs de la Tour Eiffel ou de la Grande muraille de Chine, autres monuments inscrits au patrimoine mondial, 7 000 à 8 000 personnes visitent le site archéologique de Taputapuātea chaque année, selon les chiffres de Tahiti Tourisme. C'est plus de trois fois plus qu'avant 2017.
 
La promotion du site à “l'humanité tout entière” ne passe pas uniquement par le tourisme. Jean Mere et son écologie Teriitehau Raimana, les gardiens du temple, ont permis à 4 000 élèves de venir découvrir le lieu et en apprendre plus sur leur histoire et leur culture. Au cours de ces journées culturelles, les jeunes des écoles primaires, des collèges et des lycées de Raiatea mais aussi de Tahiti ou d'autres îles apprennent à concevoir du mono'i, à attacher des pāreu, à planter des arbres fruitiers ou encore à interpréter des ‘ōrero. Par la suite, “les enfants racontent aux parents qui sont à leur tour intrigués”, indique Jean Mere. Le tāvana Thomas Moutame confirme cette méthodologie : “L'Unesco englobe tout cela. Le classement n'est pas là juste pour le marae.” Cette transmission passe aussi par les cérémonies culturelles comme lors du passage de la pirogue hawaïenne Hōkūle'a.

“On ne peut pas faire n'importe quoi”

Les touristes locaux représentent 20 à 25% des visiteurs. S'ils viennent “par curiosité”, ils sont les premiers à devoir “faire vivre le marae et ce qu'il représente”. Selon Jean Mere, “pour la plupart des autres peuples polynésiens, le voyage au marae Taputapuātea est un retour aux sources pour récupérer le mana”. Selon Vaima Deniel, directrice des opérations locales à Tahiti Tourisme, ce tourisme est en phase avec ce que propose le pays. “Depuis 2014, nous avons mis l'accent sur le côté culturel de la Polynésie française car le côté carte postal nous démarque de moins en moins”, note-t-elle. “C'est dorénavant un passage obligé” pour les bateaux de croisières ou les touristes en visite à Raiatea. Depuis quelques années, Tahiti Tourisme a installé un bureau sur l'île avec une liste de prestataires “qui savent comment parler du marae”.
 
 
Mais, selon Thomas Moutame, “ce n'est pas suffisant”. Pour promouvoir encore mieux le site, “il manque des hôtels, des restaurants et de l'activité autour”. Un point de vue que partage Vaima Deniel : “On peut faire plus sans dénaturer le site et l'île”. Au nombre de ces projet : un bureau d'accueil pour remplacer le cabanon des vigiles ; un Fare pote pour accueillir les groupes nombreux et des boutiques artisanales autour du site. Le pays dispose quant à lui d'une emprise foncière sur lequel un hôtel doit être construit, tant qu'il respecte le cahier des charges de l'Unesco.
 
On ne peut pas faire n'importe quoi. On ne peut pas planter n'importe quoi. On ne peut pas construire n’importe quoi. Du coup, ça prend du temps”, explique Joany Cadousteau, directrice de la culture et du patrimoine. Avec le Covid, la population locale qui s'est montrée parfois réticente, le cahier des charges de l'Unesco et le nouveau gouvernement, le développement du site archéologique de Taputapuātea se met en place petit à petit. Moetai Brotherson, qui s'est déjà déplacé deux fois à Raiatea sans se rendre au marae, est attendu sur le site en octobre, lors de sa visite pour inaugurer l'école de Ōpoa.

Jean Mere, médiateur du patrimoine au ministère de la culture : “Nous sommes accompagnés pour retrouver notre histoire et nos racines”

Pourquoi le Marae Taputapuātea est si fort pour toute la Polynésie ?

"S'il est si fort pour la Polynésie, c'est par rapport à la navigation. Dans le temps, les peuples polynésiens venaient à Taputapuātea pour avoir l'aval des Dieux. Après avoir fait leur doléance, les navigateurs récupéraient des cailloux sur le grand marae de Taputapuātea. Sur chaque île qu'ils ont abordées, ils ont déposé un caillou et ils ont construit un marae au nom de Taputapuātea. Toutes ces îles appartiennent à Raiatea et Raiatea appartient à toutes ces îles.”
 
Pensez-vous que le regard des Polynésiens du fenua a changé avec l'inscription au patrimoine de l'Unesco ?

“Oui. Depuis l'inscription, nous nous sommes attardés sur le marae. Notre histoire n'est pas documentée. Il n'y a pas d'écrits. Nous étions restés sur ce que les Européens avaient écrit. Depuis l'inscription au patrimoine de l'Unesco, le Polynésien a cherché sa véritable histoire. Les connaissances que nous en avons aujourd'hui viennent des personnes âgées mais aussi des maoris néozélandais. Eux, ils ont conservé l'histoire. Lorsque les Anglais sont arrivés, ils ne se sont pas mélangés. À l'école française, nous avons abandonné notre éducation pour l'éducation française.”
 
Sans l'inscription au patrimoine de l'Unesco, pensez-vous que nous nous serions moins intéressés à notre histoire ?

“En fait, ici, nous n'avons pas eu les moyens, les structures et le personnel pour transmettre. Mais aujourd'hui, les écoles s'y mettent. La première année, nous ne savions pas trop comment nous y prendre. Au fur et à mesure, nous nous améliorons.”
 
Pensez-vous que le Polynésien d'aujourd'hui sait qui est-il vraiment ?

“Aujourd'hui, je suis content. Quand j'ai commencé ma mission il y a 5 ans, je partais presque perdant. Aujourd'hui, je suis fier de mon peuple et je suis surtout fier des enfants métissés. Ce sont eux qui recherchent le plus leur identité.”
 
Sommes-nous en train de nous réapproprier cette culture ?

“Oui, je suis confiant en la jeunesse d'aujourd'hui. Pour avancer correctement, il faut savoir qui l'on est. Et pour savoir qui l'on est, il faut se réapproprier notre histoire. Notre histoire est cachée mais il faut aller la chercher pour être fier d'être Polynésien.”
 
Comment voyez-vous ce classement ? Est-ce que c'est une reconnaissance envers la civilisation polynésienne ou une mission confiée pour transmettre cette histoire et cette culture ?

“Pour moi, c'est une reconnaissance de la France elle-même qui se sent désolée de ce qui s'est passé ici. Jusqu'à aujourd'hui, la France a dit aux Polynésiens comment il fallait faire et a remis la faute sur les Polynésiens, comme pour le diabète par exemple. Mais toutes ces choses attribuées aux Polynésiens ne leur appartiennent pas. Elles ont été amenées de l'extérieur. La France, avec François Hollande, nous a beaucoup aidé pour être classé au patrimoine de l'Unesco. Nous sommes aujourd'hui accompagnés pour retrouver notre histoire et nos racines.”

Rédigé par Jules Bourgat le Jeudi 10 Août 2023 à 20:21 | Lu 3779 fois