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Nukutepipi, l’expérience de Laliberté


PAPEETE, le 22 juillet 2019 - Le milliardaire, fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, a ouvert la semaine dernière les portes de son atoll de Nukutepipi à la presse locale pour présenter sa « création ». Un projet à 12 milliards de Fcfp, proposé à la location à 130 millions de Fcfp la semaine, à mi-chemin entre l’hôtel de luxe et le laboratoire expérimental.
 
Ni hôtel, ni résidence secondaire, ni refuge en cas de fin du monde… L’atoll privé de Nukutepipi, acheté en 2007 par le milliardaire québécois fondateur du Cirque du Soleil, Guy Laliberté, est présenté par l’intéressé comme une sorte d’œuvre d’art, de « création » au même titre que ses spectacles. Difficile en effet de poser une définition précise sur le projet aujourd’hui porté par la holding de Guy Laliberté, Lune Rouge, et dont les travaux viennent tout juste de s’achever après six années de chantier.
 
La semaine dernière, jeudi et vendredi, Guy Laliberté et ses équipes de Lune Rouge ont décidé de présenter aux médias locaux le résultat de cet investissement faramineux de 12 milliards de Fcfp pour faire de l’atoll un jardin d’Eden pour sa propre expérience et celle de touristes très haut de gamme. Jusqu’ici quelques photos et indiscrétions avaient filtré, malgré les clauses de confidentialité intégrées aux contrats des employés sur place. Cette fois-ci, l’objectif est de montrer au grand jour la totalité de l’atoll, espaces de maintenance et lieux de vie du personnel compris.
 
« Guy Laliberté est un créateur, doublé d’un businessman. Il y a vraiment ces deux facettes de sa personnalité dans tout ce qu’il fait », explique la responsable de la communication de Lune Rouge. « Il a travaillé sur ce projet comme un artiste et il n’aime pas présenter quelque chose qui n’est pas fini. Aujourd’hui, il veut montrer sa création. Il veut montrer aux Polynésiens ce qu’ils ont contribué à faire ».

Jurassic Parc

Il y a un côté Jurassic Parc à arpenter dans des voiturettes électriques les chemins de sable qui sillonnent la végétation de l’atoll. Outre l’écosystème extraordinaire de Nukutepipi -une forêt primaire, une lentille d’eau douce et l’absence de passe autour de l’atoll-, l’installation réalisée par Guy Laliberté est totalement surréaliste. On peut notamment croiser, au beau milieu de cet atoll quasiment désert des Tuamotu, un studio d’enregistrement dernier cri, un observatoire d’astronomie ou encore une œuvre d’art constituée d’une cathédrale métallique de 9 mètres de haut…
 
Guy Laliberté s’est créé un espace de luxe absolu. Il a décrété son propre fuseau horaire (+1h sur Tahiti). Il s’est installé une immense villa au bout d’une lignée d’une vingtaine de bungalows individuels. Le tout dans un style « anti-bling-bing » très recherché. L’ambiance des bâtisses paraît même un peu terne, dominée par des tons grisâtres et marron. L’idée étant de faire disparaître les habitations dans végétation, pour mettre en valeur le vert des plantes et le bleu du lagon.
 
Il n’en reste pas moins que l’atoll est équipé comme un véritable hôtel de luxe. Spa, restaurant, salle de jeu, mini-cinéma, salle de conférence, mini-bar à chaque coin de rue… Pas moins de 120 personnes sont employées sur place lorsque Guy Laliberté ou des invités sont logés. Un chiffre qui retombe à 40 en permanence le reste de l’année. Du personnel qui reste la plupart du temps six à huit semaine sur place, pour une semaine à Tahiti. Un sacrifice difficile à tenir, mais des conditions de travail vantées par les quelques employés rencontrés. « Le boss est tellement cool qu’il a accepté le carbass pour les employés en fin de week-end », explique l’un d’entre eux. Passionné de musique et DJ à ses heures, Guy Laliberté, qui s’est installé 100 000 watts de puissance sonore dans le salon-bar au centre de Nukutepipi, pouvait difficilement refuser…

"Ca ne peut pas être rentable"

Désormais officiellement proposé à la location à près de 130 millions de Fcfp la semaine, l’atoll de Nukutepipi n’a pour l’heure « aucune réservation ». « Ce n’est pas un problème, ça ne peut pas être rentable, ça n’est pas fait pour ça », explique-t-on chez Lune Rouge. Le marché n’est pas « concurrentiel », explique Guy Laliberté, qui préfère que son atoll continue de servir de laboratoire expérimental pour l’autosuffisance alimentaire, la constitution d’une immense réserve de tiki en Polynésie, ou encore de la recherche sur les abeilles et les oiseaux endémiques…
 
« Il a encore plein d’idée, et on ne sait pas encore exactement tout ce qu’on va pouvoir proposer à notre clientèle », concédait vendredi Romain Borie, un jeune ingénieur agronome propulsé directeur d’exploitation à Nukutepipi par le fantasque québécois. Nukutepipi est une « création » avec laquelle l’artiste n’a semble-t-il pas encore fini d’expérimenter.

Guy Laliberté, propriétaire de Nukutepipi : « Ce projet, c’est une création »

On a lu et entendu beaucoup de choses sur votre projet à Nukutepipi. Notamment qu’il s’agissait d’un refuge pour votre famille et vos proches en cas de fin du monde. Qu’en est-il réellement et qu’avez-vous voulu faire ici ?
« Non, cette ligne de communication (le refuge en cas de fin du monde, NDLR) a été sortie de son contexte au milieu d’une longue entrevue. Mais mon idée à Nukutepipi, c’est d’avoir trouvé un lieu magique dans le monde et d’y avoir fait une création, au même titre que les spectacles que j’ai pu faire avec le Cirque du soleil. Je suis un créateur et nécessairement j’ai été inspiré lorsque j’ai mis les pieds ici pour la première fois. Je suis tombé amoureux de l’endroit. On a décidé de faire une ‘bulle’ qui va permettre aux gens de vivre des expériences uniques. Et surtout d’être en contact avec cet endroit au milieu de nulle part. (…) C’est une île qui est pure. Il n’y a pas de moustiques. Il n’y a pas de rats. Il n’y a pas de nono. C’est assez unique dans le monde. Et cette île a un impact sur l’humain. Elle nous ramène les deux pieds sur terre. On prend un coup d’humilité et on se rend compte qu’on est un grain de sable au milieu de l’océan. Même après avoir construit tout ce qu’on a construit ici, si dame nature décide de tout nettoyer elle le fera… Ici, on a l’une des dernières forêts primaires des Tuamotu. On a une île où les oiseaux nichent à terre… Pour nous, Ca va être un laboratoire. C’est un lieu où les gens vont pouvoir être en contact avec la nature pure. Et on espère en faire profiter le plus de monde possible à travers des expériences organisées par Lune Rouge (la société de Guy Laliberté, NDLR), qui est propriétaire de l’île. »
 
Est-ce que c’est davantage un projet personnel qu’un projet hôtelier ?
« Ce n’est pas un hôtel. Ce n’est pas une maison privée non plus. On est dans ce ‘no man’s land’ qui est un peu exceptionnel. Et c’est la beauté de l’endroit. Elle n’est rien de ce qui existe à Tahiti. Ce n’est pas un projet personnel. Je suis un créateur. On a créé des spectacles, des lieux magiques, alors pour moi tout environnement est prétexte à création. Et j’ai traité ce projet là de la même façon que j’ai traité la création de nos spectacles. On propose une expérience émotionnelle, artistique, culinaire, de santé ou environnementale… Et il y a plusieurs projets reliés à l’île. On a cet objectif de faire de l’île un lieu où seront présents les tiki. On connaît l’histoire des tiki lors de la colonisation, avec l’église qui a détruit tous les tiki. Donc on a fait un exercice accompagné d’experts. On a identifié les techniques de création des tiki. On a été aux Marquises. On a travaillé avec des artistes contemporains. L’un des objectifs que j’ai ici, c’est d’en faire un sanctuaire de tiki qui va reprendre l’histoire des tiki tahitiens. Mais c’est un projet de dix à vingt ans… Par ailleurs, on a un projet avec les abeilles. L’île est pure. Elle n’est pas contaminée par les pesticides. On peut donc essayer de faire de croisements d’abeilles reines pour trouver des solutions génétiques pour contribuer à préserver les abeilles dans le monde. On a toute une série de petits projets comme ça qui ne sont pas seulement pour l’île ou pour la Polynésie, mais pour le reste de la planète. J’ai toujours été très sensible à la protection de l’environnement, donc pour moi c’était important de faire ça. »
 
La préservation de l’environnement semble d’ailleurs être la partie la plus importante de ce projet ?
« Oui, les ressources premières sont précieuses. On est chanceux parce qu’on a une source d’eau naturelle. Et puis on récolte l’eau de pluie. On a bâti un système d’énergie avec le solaire. On est en train de préparer une autonomie alimentaire… Le reste c’est principalement deux choses : le fuel pour les avions et puis quand on met le système de son à fond, ça demande un générateur. Mais ce sont les deux seules choses qui ne sont pas autonomes. »
 
Pourquoi avez-vous choisi la Polynésie pour ce projet ?
« J’ai cherché dix ans un endroit pour faire un projet comme ça. Je savais que c’était dans le Pacifique. J’avais cette attraction pour le Pacifique. (…) Je me suis promené aux Fidji aux Cook ou à Hawaii. Et puis la première fois que je suis venu à Tahiti, c’était en 1992. C’était aux Tuamotu pour faire de la plongée sous-marine. Forcément avec l’affinité de la langue, j’ai continué à venir ici et j’ai vraiment bien connecté avec la culture tahitienne. Je pense qu’il y a une mentalité qui me plaît. Je me sens bien. Je me sens chez vous. Vers les années 2000, j’ai commencé à regarder plus sérieusement. A un moment donné, j’avais une opportunité pour un motu à vendre à Bora Bora. J’ai été passer une semaine là-bas et puis la négociation s’est mal passée. Et c’est là qu’un ami m’a dit : il y a une autre île mais elle est loin, très loin. Il m’a montré sur la carte et effectivement, c’est au milieu de nulle part… Et puis on est allé la voir et cette île là m’attendait. En 2007, j’ai acheté l’endroit. On a fait des études environnementales pendant trois ans. On a nettoyé l’île de ses espèces invasives. Parce qu’il y avait eu des interventions de l’être humain. Après ça, on a fait un premier projet. Et juste après avoir commencé la construction, il y a une houle qui arrivée. Apparemment, elle arrive tous les 15 à 17 ans. Une houle qui passe par-dessus l’île. En voyant le parcours de cette vague, on s’est dit qu’on allait changer nos plans de construction. C’est comme si la nature nous avait averti. Elle nous avait dit : ‘peut-être que vous ne devriez pas construire comme ça ici’. Ensuite, on a commencé la construction sur un chantier de six ans. Ca a été un long processus. Et enfin, on a fait des tests d’habitation. D’abord il y a trois ans et puis il y a quelques mois, pour valider l’organisation qu’on voulait mettre en place. Et là on est prêts. »
 
Avec cette île, vous vous sentez un peu Robinson ?
« J’ai toujours été un Robinson. J’ai toujours aimé voyager. Tout ce que j’ai fait dans ma vie était justifié par ce désir de voyager. Quand on me demandait ce que je voulais faire dans ma vie à huit ans, certains répondaient médecin, docteur, plombier, architecte… Moi je disais que j’allai voyager. Donc ce lieu vient aussi satisfaire ce désir de voyage. Mais c’est aussi un outil de travail. C’est un lieu où on va pouvoir faire de la création. Ca va être utilisé à plusieurs sauces. Autant de façon corporative de mon côté, que pour le partager avec d’autres gens parce que je ne pourrai pas passer douze mois par an ici. Et puis j’aime bien penser que partager les trésors, ça fait partie des plaisirs de la vie. »

Rédigé par Antoine Samoyeau le Lundi 22 Juillet 2019 à 10:14 | Lu 9549 fois