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Nucléaire : “L’Etat nous doit cet argent”


Tahiti, le 14 mai 2021 - Alors que les travaux préparatoire à la "table ronde" sur le nucléaire doivent s'ouvrir, le numéro un de la CSTP-FO et président du conseil d’administration de la CPS, Patrick Galenon, a écrit au ministre des Outre-mer pour déplorer un manque de “volonté claire et franche d’indemniser toutes les victimes et leurs ayants-droits”. Afin “d’amorcer la réconciliation”, il demande à l’État de rembourser notamment le coût des maladies radio-induites, qu’il estime à 80 milliards de Fcfp.

 

Dans un courrier au ministre des Outre-mer, vous reprochez à l’État un manque de volonté “claire et franche” d’indemniser les victimes ?

 

“Oui, et ça continue. Déjà parce qu’on n’est pas invité, ni à la table ronde, ni par le ministre dans le cadre de son séjour. Moi, j’ai bien été invité au titre de représentant des fonctionnaires d’État, mais pas en tant que responsable de la CPS, ni en tant que responsable de la plus grande centrale syndicale du Pays. Ça veut bien dire qu’on choisit les interlocuteurs avec qui on veut bien discuter de ces choses-là. L’État détient toutes les données tactiques et financières de ces problèmes de fond. Maintenant, on voit très bien que monsieur le ministre vient préparer le voyage du président de la République. Mais si on a des avancées certaines dans ce domaine, pourquoi pas.”

 

Des avancées qui se traduiraient par un remboursement de la CPS comme vous le réclamez ?

 

“En 2016 déjà, le conseil d’État disait qu’il allait rembourser au titre de la solidarité et non pas au titre de la responsabilité. Ça veut dire quoi ? Qu’il faut qu’on aille mendier des sous ? La CPS a rempli son rôle, elle a pris à sa charge toutes les maladies radio-induites. On a assumé notre rôle, on a même été au-delà. Aujourd’hui, on est à 23 maladies radio-induites. Nous avons forcément payé la prise en charge de toutes ces maladies. Et l’État jusqu’à présent ? Rien du tout. Je reste dubitatif, c’est l’objet de la lettre.”
 


“La CPS a rempli son rôle, elle a pris à sa charge toutes les maladies radio-induites”

Quatre-vingt milliards pour la CPS, 5 milliards par an pour la prise en charge des services d’oncologie, 13 milliards au titre du bénéfice de la CSPE (Contribution au service public de l'électricité) : comment justifier ces sommes qui sont importantes ?
 

“Ce ne sont pas de grosses sommes comparées à ce qu’ils ont fait subir à la population. Il faut bien que quelqu’un paye et, pour l’instant, c’est nous, alors que c’est celui qui est responsable du dommage qui devrait payer. C’est tout ce qu’on demande, je ne fais pas l’aumône, ce n’est même pas une question de solidarité. Je demande qu’on nous rembourse ce qu’on a avancé. Je ne fais pas du sentimentalisme, je suis réaliste. Et encore, les chiffres de la CPS s’appuient sur les données disponibles depuis 1992, on n’est pas remonté jusqu’en 1966, puisque nous n’avons pas les données. Donc normalement, on devrait demander plus. Enfin bon, si déjà on pouvait négocier sur ces bases-là ce serait bien. Nous avons un peu moins de 10 000 cas concernés par les 23 maladies radio-induites, les sommes atteignent 80 milliards. Nous avons tout le détail, ça nous fait en moyenne 7 millions par malade. Nous avons d’ailleurs transmis tous ces chiffres au Civen. C’est à eux à interpréter, après ils vont nous dire que les cancers c’est la cigarette… On connaît le discours.”

 

Il faut “rembourser” ces sommes pour rétablir la confiance ?
 

“Quand quelqu’un vous doit de l’argent, il faut qu’il vous paye et après vous pouvez discuter de l’avenir. L’État nous doit cet argent. Aujourd’hui, on paye 5,2 milliards par an pour la prise en charge des services d’oncologie, ce serait bien qu’à l’avenir ce soit l’État qui s’en charge. Après, il faudrait comptabiliser aussi ceux qui sont morts. Moi je ne sais pas combien coûte une vie humaine. Les indemnités sont différentes en fonction des familles qui ont souffert. Mais jusqu’à présent, lorsque quelqu’un (retraité ou salarié ayant cotisé au régime de retraite, Ndlr) meurt, la CPS assume les ayants droits. Enfin, le nucléaire représente en France 70% à 80% de la production d’électricité. Et les Français payent 16 Fcfp le kilowatt, comme beaucoup de collectivité d’outre-mer au titre de la continuité territoriale. Bizarrement, la Polynésie française qui a subi tous les méfaits du nucléaire ne bénéficie pas de ce prix puisque nous payons 36 Fcfp le kilowatt. La différence représente une somme de 13 milliards par an. Ce qui permettrait de baisser considérablement le coût de la vie des plus démunis.”
 


“Il y a toujours deux avions contaminés dans la passe de Hao”

C’est ce que vous allez demander à Emmanuel Macron ?


“On l’avait demandé à travers le Cesec, mais qui n’est pas un organisme décideur. De toute façon, c’est aux élus de le demander. Moi, je ne suis qu’un syndicaliste. J’espère que le président du Pays reprendra ces arguments-là.”

 

Vous reprochez à la France “deux dépotoirs de déchets atomiques” à Mururoa et Fangataufa, la dépollution n’est pas finie ?


“L’État a mis 12 milliards dans la décontamination à Hao, mais ils n’ont pas enlevé les deux avions contaminés qui sont toujours dans la passe. Donc non, ce n’est pas fini. Et pour les deux autres atolls, la France a le devoir de continuer sa surveillance radiologique et géomécanique.”

 

Que vous inspire les déclarations du ministre de l’Outre-mer sur la réouverture des frontières conditionnées à une couverture vaccinale de 70% ?
 

“Il a raison ! Il a parfaitement compris ! Il ne veut pas qu’on lui reproche l’introduction des variants, dont le variant indien. À moins d’interdire l’entrer à tous ceux qui ne sont pas vaccinés, il faudra attendre que 70% de la population soit vacciné. Depuis le début on le dit : si l’immunité collective n’est pas acquise, il ne faut pas rouvrir. Les Américains entrent et ils sont vaccinés, c’est très bien. À partir du moment où vous êtes vaccinés, vous êtes protégés et vous êtes moins contaminants. L’année dernière, nous avions déjà demandé au haut-commissaire de ne pas faire venir tout de suite les fonctionnaires d’État. Mais pour des raisons impérieuses, ils vont quand même venir cette année et là, ils risquent de nous contaminer.”
 


“Ceux qui ne sont pas vaccinés n’entrent pas, point !”

Aujourd’hui, 25% de la population (en dehors des moins de 16 ans) ont reçu les deux doses, on est loin des 70%...


“C’est normal vu le modèle de communication qui est adopté. Aujourd’hui, on dit à ceux qui rentrent dans le pays et qui ne sont pas vaccinés de se confiner chez eux, mais deux jours plus tard on les retrouve à Carrefour. Ce n’est pas très cohérent. Après, on va nous dire que la législation française ne permet pas d’obliger les gens à se vacciner, que ce n’est pas possible… Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Si les gens qui entrent ne sont pas vaccinés, il y a de grande chance qu’ils transmettent les variants. Si vous empêchez ceux qui sont contaminés de venir chez nous, vous pouvez exiger que tout le monde soit vacciné, dans le cas contraire vous ne pouvez pas. Si au moins c’était clair et qu’on disait : ceux qui ne sont pas vaccinés n’entrent pas, point !”

 

Mais si les frontières ne rouvrent pas rapidement, les conséquences sur l’économie vont s’intensifier ?


“Chacun prend ses responsabilités. Je suis moi-même vacciné parce que je ne veux pas me retrouver en réanimation. L’économie, c’est d’abord la santé. Quand les gens sont malades, vous ne pouvez pas développer l’économie. Il ne faut pas faire le contraire, ouvrir pour l’économie et après essuyer des vagues de contamination, sinon ça ne servait à rien d’ouvrir. Maintenant, on essaye d’opposer le vaccin à l’économie. Ceux qui arrivent de l’extérieur doivent être tous vaccinés et à partir de ce moment, on pourra obliger les Polynésiens, et notamment ceux qui veulent sortir, à se vacciner. Ça me paraît logique.

 


Rédigé par Esther Cunéo le Lundi 17 Mai 2021 à 17:04 | Lu 2986 fois