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"Nous sommes tous sur le pont"


Tahiti, le 29 octobre 2020 - En première ligne face à la maladie, le personnel soignant du CHPF appelle la population à "respecter les gestes barrières" pour sauver l’hôpital de la saturation et écarter l’idée insupportable du tri des patients. Claude Panero, directrice du CHPF exhorte les Polynésiens à "penser aux patients qui ne sont pas Covid".
 
Alors que les projections faisaient état de 60 hospitalisations en octobre, dont 8 en réanimations, le CHPF enregistre en réalité 85 hospitalisations, dont 24 réanimations. Vu le rythme de diffusion en avance sur les prévisions épidémiologiques, le risque de voir les services saturés le mois prochain est réel. La courbe étant très rapide, le CHPF dit entendre les "craintes de la population" et souligne que"l’hôpital n’est pas saturé". Pas encore. "Nous avons encore des ressources et nous travaillons d’arrache-pied pour ne pas arriver au bout de ces ressources, même si c’est extrêmement compliqué, mais nous avons besoin de la population pour ne jamais arriver à ces scénarios extrêmes"assène Claude Panero.

C’est donc sur un ton grave que la directrice du CHPF appelle l’ensemble des Polynésiens en renfort. Sauver l’hôpital de la saturation et écarter l’idée insupportable du tri des patients : le message fait écho à l’objectif national fixé par le président de la République dans son allocution mercredi. Alors que l’hôpital du Taaone se prépare à encaisser une vague qui est quasiment "déjà-là", le CHPF a tenu à "prendre la parole" afin d’exposer la situation "au plus prêt de la réalité médicale" et "faire taire les idées reçues".
 

100 lits ouverts en secteur "non réanimatoire"

Comme tous les hôpitaux sur le territoire national, le CHPF a été réorganisé en deux secteurs, Covid et non Covid pour éviter les flux croisés. Du côté du secteur Covid "non réanimatoire", l’établissement s’est arrangé pour sanctuariser jusqu’à 186 lits d’hospitalisation. Une centaine d’entre eux ont déjà été ouverts, dont 71 sont aujourd’hui occupés. Du côté de la réanimation, 24 postes sont déjà mobilisés, tandis que 41 autres lits sont en cours d’armement, dont 18 sont aujourd’hui consacrés à la prise en charge des non Covid, et notamment des patients atteints d’un cancer.

"Nos capacités de prises en charge pour le Covid sont à peu près de 45 lits, nous essayons d’anticiper l’ouverture des secteurs pour permettre cela, mais nous sommes confrontés à des problématiques de ressources pour armer ces postes de réanimation, précise Claude Panero. Nous avons essayé de retarder le plus possible la déprogrammation, mais dès qu’on ouvre des secteurs spécialisés dans la prise en charge des Covid, nous sommes obligés de déprogrammer des activités pour ne pas se retrouver avec des personnes hospitalisés pour d’autres motifs que ceux du Covid.

Une réorganisation "impressionnante"

Si le CHPF a mis au point un "répertoire opérationnel des ressources" pour piloter les organisations et anticiper la cinétique épidémique, le caractère inédit de la crise conduit les responsables à se réunir quotidiennement et prendre des décisions "au jour le jour". Une réorganisation "impressionnante" juge Philippe Dupire, président de la commission médicale d’établissement, qui suppose "une forte présence médicale". "Les patients sont souvent atteints de maladies chroniques associées, de syndromes respiratoires aiguës associés à d’autres maladies, ce qui nécessite la présence intense de ressource soignante"  ajoute le médecin.
 

Un personnel soignant sous tension

"Mobilisés mais fatigués," le personnel a annulé ses vacances pour rester sur le front du Covid. "On assume, mais les ressources paramédicales ne sont pas simples à trouver" reconnaît Philippe Dupire, la prise en charge des patients Covid étant "extrêmement lourde et complexe". Le CHPF est donc contraint de doubler, voire de tripler les ressources humaines pour les hospitalisations en secteur Covid.

"Aujourd’hui nous avons besoin d’un binôme (infirmière - aide soignante) pour 8 patients contre 12 en temps normal en secteur médical, et d’un binôme pour 3 patients contre 6 en temps normal en réanimation"justifie la directrice.Si une soixantaine de recrutements ont déjà été effectués, et que 60 autres sont dans les tuyaux, le CHPF a également rappelé les retraités et sollicité les élèves infirmiers ou la réserve sanitaire de l’Etat.

"Nous draguons toutes les ressources possibles pour pouvoir ouvrir tous les services si la cinétique se poursuit" reprend Claude Panero. Des collaborations avec les cliniques et les structures périphériques doivent bien sûr permettre de repousser encore les limites d’accueil des patients. Mais cela ne pourra pas se faire indéfiniment.  D’autant qu’en première ligne sur le front du Covid, le personnel n'est pas épargnée par le coronavirus. "Les premières balles ont fait des blessés parmi les soldats" déplore Loïc Durand, chef de service des urgences.
 

L’oxygénothérapie "composante majeure du traitement"

Au cœur de la prise en charge des patients, l’oxygénothérapie incarne la"composante majeure du traitement." En attente d’un générateur d’oxygène et d’alimentation par Isotank d’oxygène liquide, le CHPF a tenté d’anticiper au maximum en tenant compte des projections, et ce, malgré une certaine tension sur les marchés internationaux. "On fait en sorte d’accélérer les investissements, l’hôpital consomme à ce jour environ 60 mètres cube par heure, contre 18 en temps normal. Mais dans le plus lourd des scénarios, on peut aller jusqu’à 180 mètres cubes, soit 10 fois les capacités habituelles, précise Philippe Dupire. Avec l’aide de la population on n’y arrivera pas, mais on est déjà presque à la moitié".

Sa capacité à réduire la mortalité de 20 à 35% ayant été démontrée, l'anti-inflammatoire dexaméthasone fait également partie du traitement. Enfin, la levée d’isolement est décidée par le médecin et la sortie du patient est organisée avec le relais des structures de soins de suite, ou celui des structures alternatives. "Elles nous aident beaucoup, en particulier les associations ou les prestataires qui ont à disposition des sources d’oxygène pour les mettre à la maison, ce qui permet de libérer des lits" termine Philippe Dupire.

Plus d'un milliard de Fcfp déployé

De mémoire d’homme, jamais le CHPF n’avait déployé de tels moyens : plus d’un milliard de Fcfp a déjà été engagé par l’hôpital, dont 565 millions en coût de fonctionnement et 445 millions en investissements. Au-delà des moyens financiers, la directrice a souligné "l’engagement exemplaire" du personnel."C’est important que la population sache que les carrées épidémiologique ne sont pas que des chiffres, derrière ce sont des hommes et des femmes qui travaillent 24 heures sur 24. Nous ne comptons pas nos heures, nous sommes tous sur le pont." Nous sommes tous dans le même bateau.
 

Dans les coulisses de la réanimation

Sous respirateur artificiel, une patiente dort pour pouvoir supporter la sonde introduite dans la gorge jusqu’à la trachée. "Ça lui apporte le maximum d’oxygène possible" indique Laure Baudouin, chef du service de réanimation. Et comme ça ne suffit pas, la patiente est également placée sous ECMO, une technique de circulation extracorporelle, pour l’oxygénation du sang. "La machine extrait son sang le passe dans un oxygénateur et lui renvoie du sang oxygéné. C’est la prise en charge optimum" poursuit la responsable. Voilà à quoi ressemble la forme la plus grave de la maladie. 

A ce stade, le patient a besoin de grosses doses d’oxygène et ne tolère pas les appareils au niveau clinique. "Les patients qui commencent à être essoufflés, on leur met un appareil au bout du doigt pour voir la quantité d’oxygène dans le sang, si elle reste trop basse par rapport à la quantité d’oxygène qu’on leur apporte au niveau respiratoire, qu’il ne peut plus parler tellement il est essoufflé, là on les passe en réanimation pour leur donner encore plus d’oxygène" énumère le médecin.

"Il ne faut pas que le patient s’agite, ce qui lui demande des efforts"

Qui dit réanimation ne dit pas forcément intubation. Plusieurs systèmes permettent d’apporter de l’oxygène. Avant d’arriver en réanimation, les patients ont d’abord des petites lunettes nasales d’oxygène. "Quelques litres, si ça ne suffit pas on leur met un masque qui va jusqu’à 5 à 8 litres, si ça ne suffit toujours pas on peut apporter un masque à haute concentration équipé d’un petit ballon, et si ça ne suffit toujours pas ils viennent en réanimation" développe Laure Baudouin. "Là on a deux autre systèmes : l’oxygénation à haut débit, qui envoie de très grosses quantités d’oxygène dans le nez et en dernier recours l’intubation avec ventilation artificielle."

Le patient est alors endormi pour des raisons de confort, "parce que ce n’est pas du tout agréable d’avoir un tuyau dans la trachée", mais aussi "parce qu’il ne faut pas qu’il s’agite, ce qui lui demande des efforts qui risquent de le mettre encore plus en dette d’oxygène au niveau de tous les organes."

La réanimation compte dix infirmiers, auxquels s’ajoutent deux experts techniques pour la manipulation des machines. Si l’un d’eux tombe malade, la charge de travail se reporte sur les autres. C’est là que ça coince. "Plus il y a de malades, plus il faut ouvrir des secteurs et donc avoir du personnel. On a recensé d’autres infirmiers formés en réanimation dans les autres étages, mais si on les rapatrie en réanimation, il faut les remplacer" résume la responsable. Rappelons qu’un bon infirmier en réanimation nécessite cinq ans de formation.
 

Rédigé par Esther Cunéo le Jeudi 29 Octobre 2020 à 19:39 | Lu 3911 fois