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Michèle de Chazeaux, une voix du fenua


Michèle de Chazeaux est un nom, une voix, mais aussi une oreille pour des milliers de Polynésiens depuis plus de 40 ans. Crédit : Greg Boissy.
Michèle de Chazeaux est un nom, une voix, mais aussi une oreille pour des milliers de Polynésiens depuis plus de 40 ans. Crédit : Greg Boissy.
TAHITI, le 8 février 2023 - Elle a fêté ses 90 ans en 2022 mais reste au quotidien ou presque à l’antenne de Polynésie La 1ère. Cette semaine, elle arpente les allées du Fifo, ce festival qu’elle a contribué à faire éclore et qu’elle accompagne depuis 20 ans. Malgré le temps qui passe, Michèle de Chazeaux poursuit ses activités avec le même enthousiasme et les mêmes envies.

Bien sûr que je serai de la fête”, répondait Michèle de Chazeaux au mois de janvier lorsqu’elle était interrogée à propos de sa présence au Festival international du film documentaire (Fifo). Les années passent, ses envies restent. Elle a 90 ans, un infaillible enthousiasme, un engagement entier et fidèle pour les causes, activités et actions qui lui tiennent à cœur. Depuis son arrivée sur le territoire en 1966, son parcours le prouve.

Une tolérance rare

Michèle de Chazeaux est née en 1932, à Toulon, sa famille étant originaire de Haute-Loire. En sortant du lycée, elle est entrée en classes préparatoire Khâgne et hypokhâgne. Par la suite, elle s’est tournée vers l’enseignement. Ce n’était pas une vocation, “mais cette filière te tend les bras quand tu suis un cursus un peu sérieux”. Elle a beaucoup aimé et a démarré une carrière de professeure de lettres classiques. Pendant ce temps, son frère, officier de marine, a séjourné deux années à Tahiti. “Une fois de retour, il m’a raconté la vie en Polynésie. De ce que je comprenais de la vie tahitienne, il y avait une tolérance rare. On vous acceptait comme vous étiez, on ne vous jugeait pas.”

Michèle de Chazeaux, professeure à Arcachon, a divorcé. Elle avait deux enfants dont elle s’occupait. “Je n’étais pas toujours bien acceptée”. Elle n’avait “jamais pris de grand avion” mais, en 1966, a acheté un billet pour Tahiti. Elle a trouvé un poste au lycée Paul Gauguin. “Je ne suis jamais repartie.” La Polynésie lui a offert diverses occasions qu’elle a saisies. Le fenua lui a apporté ce qu’elle était venue chercher, l’a acceptée telle qu’elle était. Elle est entrée dans les fare, les foyers et les cœurs des Polynésiens.

Au lycée Paul Gauguin, deux ans après son arrivée, elle a lancé puis animé une télévision scolaire. Ce qui lui a donné une certaine visibilité. “Un jour, le directeur de l’ORTF Télé Tahiti qui s’appelait alors Jean Suhas, m’a appelée pour le dépanner. Il m’avait vue à l’antenne dans le cadre de notre projet de télévision.” Il était à la recherche de quelqu’un pour remplacer l’une de ses speakerines tombée malade. Michèle de Chazeaux a présenté des bulletins météo. “On recevait les textes par téléphone. Il nous fallait les recopier, puis nous maquiller, placer les magnets sur la carte...” Elle a le souvenir d’instants très “conviviaux” et “folkloriques”.

En 1976, elle a fait le choix de prendre une année sabbatique. Elle arrivait au terme de la période qui lui avait été accordée pour enseigner sur le territoire. “On ne pouvait pas renouveler nos contrats plus de deux ou trois fois. J’étais à mon troisième séjour, mais je ne voulais surtout pas rentrer.” Elle a occupé son temps libre en répondant à une sollicitation de la Maison des jeunes, l’établissement qui allait devenir la Maison de la culture. “On m’a demandé d’y faire une émission.” Elle a présenté Tahi rua toru. “On invitait les candidats, des élèves de collège, à utiliser leur tête, leurs jambes, leurs mains, leur voix. Ils avaient à passer des épreuves de calcul mental, ils répondaient à des questions, faisaient du sport traditionnel ou bien encore composaient des chants.” Selon elle, le projet était sans doute “un peu artisanal”, peut-être un peu “maladroit”. Mais il avait le mérite d’exister et de porter à l’écran des connaissances et savoirs polynésiens. Ce qui était nouveau pour l’époque.


Pour pouvoir rester en Polynésie, Michèle de Chazeaux a intégré l’enseignement privé. Elle est entrée au collège-lycée Pomare où elle est restée jusqu’à sa retraite en 1994. En parallèle, elle a continué à travailler à l’ORTF, devenu par la suite FR3-Tahiti, RFO Tahiti, RFO 1, Télé Polynésie puis Polynésie La 1ère. Elle n’est plus apparue à l’écran, mais a travaillé sur des émissions de télévision en coulisse et, surtout, a trouvé sa place sur les ondes radio.

Toujours sur les ondes

Elle a pris le relais de Kinou, une jeune femme qui animait Côté mer, côté montagne et qui consistait en des interviews de matahiapo. “En partant, elle m’a demandé de prendre la suite, j’ai œuvré dans son sillage, même si nous avions une approche et une sensibilité différentes.” Michèle de Chazeaux dit avoir été “piquée au jeu”. Elle a mis en place son émission Rencontres, elle a également lancé C’était hier.

Encore aujourd’hui, elle est sur les ondes tous les jours. Elle propose une nouvelle émission hebdomadaire, le reste du temps ce sont des rediffusions. Elle dit avoir reçu au moins 300 invités. Elle donne la parole à des femmes et des hommes que l’entourage a suggérés, qu’elle a rencontrés, dont elle a entendu parler. “On discute ensemble à bâton rompu autant de temps qu’il faut, puis on retient les éléments essentiels au montage.” Elle s’est longtemps chargée de cette partie montage mais a passé la main récemment. La plupart du temps, l’enregistrement des discussions se fait chez l’invité, dans son environnement personnel.

Michèle de Chazeaux ne s’en lasse pas, même si elle fonctionne désormais “un peu au ralenti”. Ce qui lui plaît ? “La confiance qui m’est accordée alors que j’entre dans leur intimité”, “l’originalité des propos”. “J’ai parfois l’impression de faire partie de leur famille !” Ses invités détaillent leur vie. “Ici, il y a un art particulier du souvenir”, constate-t-elle. Elle se dit touchée par l’amour que les invités portent à leur île et à leur devenir.

En plus de ses passages à l’écran et de ses rendez-vous radiophoniques (elle a aussi une chronique à malice le dimanche matin), Michèle de Chazeaux a écrit. Elle a contribué à la littérature pour enfants avec la série des légendes comme La légende de Tuivao ou La légende du cocotier parue aux Mers Australes. Elle a rédigé les textes d’un ouvrage de référence sur le Tifaifai avec Marie-Noëlle Fremy. Il est paru chez Au Vent des îles en 2012. “J’ai mis à disposition des témoignages récoltés dans le cadre de mon émission de radio.” Elle a participé à des actions du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) et du Conseil des femmes. Surtout, depuis très exactement 20 ans, elle est une grande dame du Fifo.

« 20 ans de FIFO avec notre Michèle ! » Michèle de Chazeaux, dans les allées du Fifo 2023 en présence de Hina Sylvain (en arrière-plan), Marie-Noelle Fremy (à gauche) et Moana Brotherson (à droite). Crédit photo : Moana Brotherson.
« 20 ans de FIFO avec notre Michèle ! » Michèle de Chazeaux, dans les allées du Fifo 2023 en présence de Hina Sylvain (en arrière-plan), Marie-Noelle Fremy (à gauche) et Moana Brotherson (à droite). Crédit photo : Moana Brotherson.
“On avait l’impression d’être des pionniers”

Michèle de Chazeaux a été recrutée par Hina Sylvain, rencontrée précédemment à la Maison des jeunes. “Elle a fait un travail remarquable !”, souligne-t-elle. Au début, le duo s’est plongé dans les archives de la station de télévision. “On ne pensait vraiment pas trouver toute cette matière ! Il y avait une grande diversité de films originaux sur la Polynésie bien sûr, mais aussi sur la Nouvelle-Zélande, le Vanuatu…” Pierre Olivier qui compte parmi les membres fondateurs du Fifo était avec elles. “On constituait un trio enthousiaste.”

Au début de l’aventure, le trio visionnait et sélectionnait les films, s’occupait également d’une partie technique vérifiant les sous-titrages, démasquant les fautes d’orthographe. “On avait l’impression d’être des pionniers, c’était fantastique.” L’aventure, “qui n’est pas terminée”, s’est inscrite dans le temps, elle a évolué. Michèle de Chazeaux s’est retrouvée membre du comité de préselection des documentaires. Elle a aussi, à partir de 2007, participé à des tournées dans les îles dans le cadre du Fifo hors les murs. “C’est un détail qui vaut la peine d’être souligné, ce Fifo hors les murs a été réclamé par les îles, notamment les Marquises dès 2006.

"Je reste émerveillée"

Aujourd’hui, elle continue à lire énormément, elle marche moins. Elle vit entourée de ses deux enfants et de ses sept petits-enfants. “Plus ça va, et plus j’apprécie le monde océanien”, dit-elle. “Je l’ai découvert en profondeur grâce au Fifo. Ce festival m’a permis de faire un bon dans mes connaissances. Je reste émerveillée par la sagesse de certains, par leur créativité, leurs propos, leurs comportements.” C’est tout un monde qu’elle a découvert également en commentant à la radio les fêtes du Heiva.

Elle dit avoir peu voyagé dans cette zone qu’elle affectionne. Elle adorerait aller en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle a 90 ans, et elle continue à donner, et à rêver.

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 8 Février 2023 à 23:20 | Lu 7397 fois