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Margaux Bigou, fan de fanzine


Margaux Bigou, fan de fanzine
TAHITI, le 23 novembre2022 - Formée à l’animation à l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris, Margaux Bigou s’est finalement mise à créer des fanzines. Elle imagine des livres-objets qu’elle confectionne avec un minimum de moyens. L’un de ses titres est archivé et a intégré les collections du Metropolitan Museum of Art de New York. Son premier fanzine polynésien s’apprête à voir le jour.

Elle a 29 ans et déjà une vie professionnelle riche de couleurs, d’idées et de créations diverses. Margaux Bigou est auteure de fanzines. Les fanzines sont des sortes de livres-objets innovants, créatifs, presque uniques. Ils sont publiés en peu d’exemplaires, parfois numérotés. “L’objectif, pour un créateur de fanzine est de faire un livre avec peu de moyens”, résume Margaux Bigou. Peu de moyens, mais beaucoup d’imagination. Le fanzine relève plus de l’expérience de lecture que du livre car il n’y a pas toujours de texte. Les formats sont variés, comme par exemple cet éventail pour sécher les larmes dont chaque branche porte une partie de poème. Les feuilles qui constituent les fanzines sont pliées, agrafées, collées. Le sens de lecture n’a jamais rien de figé. “J’aime vraiment faire des pliages, imaginer des concepts de lecture.” Les fanzines sont imprimés via la sérigraphie ou la risographie qui sont des procédés particuliers d’impression. “On peut obtenir des couleurs spéciales que l’on ne retrouve pas avec les imprimantes à jet d’encre.” Le travail est artisanal. Chaque exemplaire demande une attention particulière.

Petite déjà…

Margaux Bigou naît en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, en 1993. Ses grands-parents maternels étaient vietnamiens. Ils se sont installés sur le Caillou pour travailler dans les mines de nickel. Sa mère est donc née elle aussi en Nouvelle-Calédonie. Son père, pied noir, est né au Maroc. Ses origines, diverses, nourrissent aujourd’hui son être et son art.

Elle va à l’école en Nouvelle-Calédonie, sachant très tôt qu’elle veut “être artiste”. Elle a toujours aimé dessiner, commence enfant à faire des livres en pliant des feuilles volantes qu’elle agrafe. Elle ne saurait dire d’où lui vient cette passion car elle n’est pas d’une famille d’artistes. Son père est boucher, sa mère, secrétaire, son frère, coiffeur de formation, a décidé de devenir professeur de yoga. Margaux Bigou, elle, vise rapidement les arts appliqués. Contrairement aux beaux-arts que sont la peinture, la sculpture… qui existent pour eux-mêmes, les arts appliqués sont liés à une pratique du quotidien. C’est le design textile, l’illustration, le design d’objets…

Margaux Bigou n’a jamais pris de cours de dessin ou d’art plastique en dehors de l’école. “Ma mère m’a plutôt encouragée à faire du sport, elle trouvait que j’en faisais assez à la maison”, dit celle qui remplissait des carnets de croquis, imaginait déjà tout un monde. “J’ai toujours trouvé cela plus facile d’inventer des formes que de reproduire celles qui existent dans la réalité

Au collège, lors d’un test d’orientation, “c’est le métier de directeur artistique qui est ressorti. Ce qui me paraissait assez flou.” Elle se fixe pour objectif d’entrer dans une école d’arts décoratifs. Les arts décoratifs sont les œuvres d’art qui sont à la fois fonctionnelles et ornementales. Au lycée, dans cette optique, elle s’inscrit en filière L option art. “Je vivais très loin de tous les établissements qui m’intéressaient, heureusement, il y avait internet. J’ai découvert une prépa privée, les Ateliers de Sèvres à Paris, pour tenter ensuite les concours d’entrée aux arts déco.”

Une année marathon


Elle a pu obtenir une bourse de la Nouvelle-Calédonie, pour son année de préparation puis pour chacune de ses années d’études. Aux Ateliers de Sèvres, “tout s’est très bien passé, sauf… que je n’ai pas eu les concours”. Elle a beaucoup appris mais rate de peu le sésame. Elle enchaîne avec une année de préparation dans une structure publique, cette fois-ci au lycée Corvisart-Tolbiac des arts graphiques, à Paris toujours. Cette année, professionnalisante, focalise son attention sur l’illustration. Elle redouble d’efforts et tente une fois de plus les concours d’entrée dans différentes écoles : l’École nationale supérieure des arts décoratifs à Paris et l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg qui sont les plus connues, mais également des écoles des beaux-arts qui proposent des filières arts appliqués à Nantes, Caen, Toulouse, Lyon…


Son année se révèle être un véritable marathon. “C’était très long, les concours s’étalaient sur trois mois”, détaille-t-elle. D’abord, les candidats doivent illustrer à l’aide de dix planches un sujet en ligne, puis passer un oral pour présenter ce travail, puis lire un livre, répondre à des questions d’analyse d’images, proposer une création à l’occasion d’une épreuve de deux heures, expliciter cette création et répondre à des questions de culture générale. Selon elle, l’année précédente, elle avait échoué car il lui était difficile de parler de son travail. “À force de faire des oraux, je me suis améliorée.” Résultat ? “Ils m’ont tous dit oui ! ” Elle choisit de rester à Paris où elle est installée depuis deux ans. En 2013, elle intègre l’École nationale supérieure des arts décoratifs pour cinq années d’étude. Elle emprunte la voie du cinéma d’animation qu’elle ne connait pas.

Les fanzines à la Parsons


En 2016, elle fait un échange de six mois dans un établissement de New York. “C’était à la Parsons”, indique-t-elle. Il s‘agit d’une école d’arts et de design, reconnue en cinéma d’animation. Et c’est là que l’aventure fanzine démarre. “Pendant ces six mois, j’avais des directives, mais j’ai été assez libre de créer, d’expérimenter. Je suis revenue à l’illustration, j’ai eu un cours de fanzine donné par un illustrateur jeunesse qui marche bien, Steven Guarnaccia. Je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette moi aussi.

Margaux Bigou n’a jamais cessé de créer tout au long de son parcours. À New York, elle laisse certaines de ses créations dans des librairies, elle participe à des festivals pour se faire connaître, mais également pour rencontrer d’autres auteurs, des éditeurs, lancer si possible des projets collectifs.


De retour à Paris après son semestre d’échange, il lui faut rédiger son mémoire. Il s'intitule “Partir : du réel à l’invisible” et traite du voyage, ou plutôt des voyages. Elle s’interroge sur ses origines, est touchée par les questions liées au référendum qui est alors prévu en Nouvelle-Calédonie, réfléchit à la possibilité de sociétés alternatives et travaille autour de l’utopie. Le tout est baigné d’un sentiment d’éloignement. Elle vit à l’opposé de sa terre natale et des siens.

L’année suivante, la dernière de son cursus au sein de l’école, elle conçoit une installation immersive. Elle fabrique une cabane à l’image des cases kanak à base de végétaux récupérés dans les jardins de la capitale. À l’intérieur, elle place des céramiques, des porcelaines, elle projette une vague continue en 3D, lit des poèmes… Son mémoire et son installation lui permettent d’obtenir son diplôme avec double félicitation du jury.

Son diplôme en poche, Margaux Bigou souhaite rester une année plus au sein de l’établissement pour enrichir ses connaissances et compétences en utilisant les équipements disponibles. “Puis, j’ai voyagé.” Ses pérégrinations la mènent à New York, Shangaï, Barcelone… Toutes ont un seul but : participer à des festivals comme le Festival Comic Art Brooklyn, le Picnic Art Festival… L’année 2020, avec ses confinements et ses crises, met un terme aux festivals et donc au voyage de Margaux Bigou. Elle postule pour participer à une résidence d’artistes auprès des Ateliers Médicis. Elle est prise et envoyée… en Polynésie française entre mars et août 2021. L’idée ? Avoir du temps pour créer. “En échange, je devais animer des ateliers une fois par semaine auprès d’une classe de CM1 de l’école Mairipehe à Mataiea.” Une opportunité rêvée pour Margaux Bigou. “Je ne me sentais pas à ma place à Paris, je voulais revenir dans le Pacifique. Ici, je me suis sentie bien tout de suite.” Lorsque la résidence prend fin, elle fait un aller-retour en métropole pour récupérer quelques affaires, dont son précieux risographe.

Depuis bientôt deux ans, elle est installée à Tahiti. Elle fait ponctuellement des déplacements hors territoire pour participer à des festivals : New York, Toronto, San Francisco. Elle a appris récemment que l’un de ses fanzines intitulé Jérémiades avait intégré les collections du Metropolitan Museum of Art. “En octobre au New York Art Book Fair, le bibliothécaire du musée est venu à ma rencontre. Il m’a ensuite ouvert les portes du musée pour une visite guidée, j’ai pu voir et surtout toucher d’autres fanzines”, ajoute Margaux Bigou, visiblement touchée.

Par ailleurs, elle répond à des commandes d’illustrations, a donné de nouveaux ateliers toujours grâce aux Ateliers Médicis. Elle est intervenue, cette fois-ci, dans la maison de quartier de Taapuna. De cette nouvelle résidence, plus courte que la précédente, est né un projet de fanzine polynésien. Il sera composé de trois éléments faits par les enfants de la maison de quartier, par des artistes du territoire et par Margaux Bigou elle-même. Plus tard, cette dernière aimerait lancer d’autres projets collectifs, ouvrir un atelier et insuffler, par ces intermédiaires, le plaisir de créer mais aussi de lire des fanzines en Polynésie. Tout reste à faire.


Contacts :

Site internet de Margaux Bigou.
FB : Margaux Bigou – Mxvousaime

Rédigé par Delphine Barrais le Mercredi 23 Novembre 2022 à 21:24 | Lu 1392 fois