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Loi électorale : comprendre les enjeux du nouveau mode de scrutin


Le politologue Sémir Al Wardi.
Le politologue Sémir Al Wardi.
PAPEETE, mardi 26 mars 2013. Même les plus fins politiques ont du mal à y voir clair avec les nouvelles règles du jeu imposées par la nouvelle loi électorale, loi Penchard de 2011. C’est dire si les électeurs et citoyens qui vont devoir choisir leurs représentants d’ici quelques semaines naviguent à vue. Au sortir d’un entretien ciblé avec le politologue Sémir Al Wardi il ressort clairement que les anciennes combinaisons pour tenter de faire une projection hypothétique du nouveau visage de l’assemblée, au vu des forces en présence et de leur poids supposé dans les urnes, sont vouées à l’échec. Rien ne sera plus comme avant.

Même les partis politiques les plus aiguisés ont essuyé les plâtres de ces nouvelles règles du jeu. Ainsi, la liste telle que présentée samedi lors de la marche orange par le Tahoeraa Huiraatira n’était pas conforme au sens du Code électoral en vigueur. Si les sections (de 1 à 8) pouvaient être présentées dans le désordre, pour des équilibres politiciens délicats liés à la prise en compte de la parité homme/femme obligatoire, en revanche leur intitulé est inscrit en toutes lettres dans la loi organique et ne peut être modifié. Sans doute que le parti orange a eu à rectifier le tir au moment de déposer officiellement sa liste au Haut-commissariat lundi matin.

19 SIEGES QUI CHANGENT TOUT

Mode de répartition des 19 sièges de la prime majoritaire selon les sections.
Mode de répartition des 19 sièges de la prime majoritaire selon les sections.
Autre nouveauté extrêmement importante pour les partis politiques, l’enjeu considérable de la prime majoritaire de 19 sièges qui sera accordé, à l’issue du 2e tour, au parti qui arrivera en tête. Cette prime qui assurera la stabilité politique pour cinq ans à la majorité issue des urnes au soir du 5 mai prochain est vrillée dans la tête de tous les directeurs de campagne des 10 listes en course, car pour gagner elle est capitale. Elle permettra d’attribuer les 19 premiers sièges comme suit 4 élus (les quatre premiers de la liste) dans la 1re circonscription des Îles du Vent, 4 élus issus de la 2e section des Îles du Vent, 4 élus de la 3e section des Îles du Vent, 3 élus pour la section des Îles sous le Vent, 1 élu pour la section des Tuamotu de l’Ouest, 1 élu pour la section Gambier/Tuamotu de l’Est, 1 élu pour les Marquises, 1 élu pour les Australes. «Tout a été calculé pour limiter l’impact des îles dans le scrutin. Si un élu des îles est fort chez lui mais ne se retrouve pas dans la liste qui est en tête, il peut vite être éjecté» explique Sémir Al Wardi qui précise que l’on va pouvoir se retrouver avec des situations abracadabrantes et difficilement compréhensibles pour les candidats.

«Si un élu des Marquises par exemple, fait un score excellent dans sa section en remportant 80% des voix, mais si la liste à laquelle il appartient ne recueille pas le minimum des 5% de suffrages sur la circonscription totale, alors le candidat (et toute la liste d’ailleurs) est éliminé». On pourra également se retrouver avec la situation inverse, à savoir : un élu d’une petite section des îles qui n’aurait obtenu pas même 5% des voix de sa section mais appartenant à une liste massivement créditée sur le comptage global de la circonscription unique, peut gagner son siège place Tarahoi. Avoir son fief d’implantation locale n’est donc plus une raison suffisante pour obtenir un siège à l’assemblée de Polynésie.

UN SCRUTIN TOTALEMENT OUVERT

Les 8 sections qui composent la circonscription unique de Polynésie française.
Les 8 sections qui composent la circonscription unique de Polynésie française.
Dans le même sens, prédire le résultat global de l’élection à mi parcours du dépouillement, comme cela se faisait habituellement, relève de la mission impossible. «Les premiers résultats qui tomberont seront ceux des petites sections des îles, mais cela n’indiquera rien du tout. La liste qui sera sûre de gagner la prime majoritaire à l’issue du 2e tour, doit arriver en tête dans les trois premières sections des Îles du Vent qui comprennent le plus grand nombre d’élus». On comprend mieux pourquoi les différents partis ont attendu la dernière minute pour déposer les listes : la mécanique de la victoire est totalement bouleversée pour les stratèges politiciens.

Quant aux 38 sièges restants, une fois les 19 de la prime majoritaire attribués, ils seront répartis au sein de chaque section «à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne entre les listes ayant obtenu au moins 5% des suffrages exprimés sur l’ensemble de la circonscription unique de Polynésie française» précise le mémento du candidat qui est devenu depuis un mois le livre de chevet de tous les candidats en course. Voilà de quoi encore alimenter au soir du 2e tour de longs calculs pour savoir qui seront les nouveaux titulaires d’un siège au sein de l’hémicycle territorial et qui peut donner des sueurs froides à n’importe quel élu sortant. Car rien ne peut garantir pour l’instant à n’importe lequel des 57 élus sortants de l’assemblée de retrouver son siège actuel. Le nouveau mode d’attribution des places au sein de l’assemblée rend ce scrutin complètement ouvert à toutes les possibilités, toutes les probabilités.
Si la nouvelle loi électorale n’avait pas semblé avoir été décortiquée dans le détail au moment de son passage devant le parlement national en 2011, depuis, les politiques polynésiens ne cessent d’en découvrir les subtilités avec le risque d’une veste monumentale ou l’avantage énorme accordé à la liste qui arrivera en tête. Il est quasi certain que sitôt ce scrutin terminé des demandes de modifications de la loi électorale applicable à la Polynésie française seront formulées auprès du gouvernement central.

Rédigé par Mireille Loubet le Mardi 26 Mars 2013 à 09:05 | Lu 3179 fois