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Logement social: un promoteur réclame 1,8 milliard de francs à l'OPH


Me Szpiner, conseil de la SCI Toofa et Me Froment-Meurice, avocat de l'OPH.
Me Szpiner, conseil de la SCI Toofa et Me Froment-Meurice, avocat de l'OPH.
PAPEETE, le 5 février 2018 -Deux grandes figures du barreau parisien s'affrontaient ce lundi devant le tribunal civil de première instance dans l'affaire portant sur un projet de 157 logements sociaux à Papeari. La SCI Toofa, promoteur, réclame 1,8 milliard de francs à l'OPH après le désistement de l’opérateur public de logement social. Le jugement sera rendu le 30 mai.

Le 8 septembre 2011, des représentants de la Société civile immobilière (SCI) Toofa sont invités au conseil d'administration de l'Office polynésien de l'habitat (OPH) afin d'y présenter un projet qui consiste à réaliser un lotissement de 157 logements sociaux sur un terrain cadastré qu'a acquis la SCI en mars 2007 à Papeari. La SCI Toofa propose alors un projet de construction qui comprend le descriptif d'un programme immobilier à hauteur de 4,5 milliards de francs ainsi qu'un montage juridique et financier effectué par la société Alcyom qui est spécialisée dans la mise en place de financements intégrant le dispositif d'aide fiscale à l'outre-mer dite "Loi Girardin."

Le 26 septembre 2011, à l'issue d'une nouvelle séance du conseil d'administration de l'OPH, un "mandat d'ingénierie financière et de placement" est signé avec la société Alcyom. Il a pour but de valider le dispositif juridique et financier proposé par la société de défiscalisation. A deux reprises, le conseil d'administration de l'OPH accepte ensuite la prorogation du contrat. En raison, notamment, du report du délai d'obtention de l'agrément fiscal. Mais le 21 juin 2013, ses membres décident de rejeter une troisième demande de prorogation et refusent d'agrémenter "l'opération Toofa, prévue dans les conditions éventuelles de la vente du même contrat de réservation." De fait, ce dernier est rompu.



AVIS DEFAVORABLE DE LA CHAMBRE TERRITORIALE DES COMPTES

Il faut dire qu'entretemps, plusieurs avis défavorables ont été exprimés sur la teneur du projet. Tout d'abord la Chambre territoriale des comptes (CTC) qui, dans son rapport d'observations définitives, conclut que "la volonté de développer la construction sociale ne doit cependant pas déboucher sur des prises de risque mal appréciées dans des opérations comportant des enjeux financiers de plusieurs milliards de Francs." La CTC estime qu'à terme, "l'OPH se retrouverait garant des loyers pour 157 logements", ce qui aurait constitué un "risque très lourd.". Puis Bercy, qui fait savoir que le projet ne bénéficiera certainement pas de la défiscalisation nationale.

Suite à l'arrêt du contrat, la SCI Toofa avait décidé de porter l'affaire en justice et de réclamer des dommages et intérêts à hauteur d'1, 8 milliard de francs "en réparation du préjudice subi pour inexécution du contrat de réservation." . Le dossier a donc été traité ce lundi devant le tribunal civil de première instance (TCPI). L'audience a débuté par les observations de Me Szpiner, conseil de la SCI Toofa, qui a estimé que la non-prorogation du contrat n'était qu'un prétexte servant à masquer une décision bien plus politique. Face à l'avocat, le conseil de l'OPH, Me Froment-Meurice a, quant à lui, jugé que l'opération avait été "sagement interrompue (…) Je rappelle que la CTC a littéralement pilonné le projet et que, si l'OPH n'avait pas pu remplir l'intégralité des logements pendant une durée minimum de cinq ans et demi, Bercy aurait pu requalifier l'opération."

Me Szpiner, conseil de la SCI Toofa

Pour la partie adverse, l'OPH a bien fait de cesser cette opération qui n'était pas viable économiquement?

"Je suis ravi d'apprendre que l'OPH reconnaît qu'elle a tout fait pour que cette opération ne se fasse pas. Ce qui, pour moi, engage sa responsabilité au niveau contractuel. Ce que j'observe, c'est que c'était un bon projet lorsque M. Tong-Sang le soutenait, c'est devenu un mauvais projet quand Oscar Temaru est arrivé. Et donc, dire que la fiabilité économique d'un projet dépend de la couleur majoritaire, nous savons bien que sous M. Temaru, la Polynésie a connu le marasme et l'immobilisme. La vérité est que l'OPH a changé d'avis pour des raisons qui n'étaient pas dans l'intérêt de la population polynésienne et qu'il a tout fait pour saboter ce projet. Voilà pourquoi nous demandons au tribunal d'entrer en voie de condamnation pour réparer les fautes qu'a commis l'OPH en faisant en sorte que ce contrat ne puisse pas aller à la fin. Nous avons engagé des frais, c'est le droit commun qui s'applique et l'OPH n'est pas au-dessus des lois. Ça n'est pas parce que vous avez des fonds publics que vous êtes au-dessus des règles de loi."

Me froment-Meurice, conseil de l'Office polynésien de l'habitat (OPH)

Votre contradicteur demande 1,8 milliards de francs de dommages et intérêts car il estime que l'OPH aurait dû aller jusqu'au bout de ce contrat, quelle est votre position?

"C'est intéressant car, jusqu'à maintenant, l'on voyait des opérations qui tournaient en eau de boudin mais l'on n'avait jamais vu d'opération, arrêtée à temps par l'OPH, se traduire par une demande destinée aux contribuables polynésiens. L'OPH n'a pas voulu poursuivre le chantier car Bercy avait fait savoir que la défiscalisation métropolitaine ne serait jamais donnée à une opération extrêmement risquée qui consistait à construire 157 logements à Tevaiuta, c’est-à-dire dans la endroit où la demande était très faible, avec seulement 17 locataires potentiels à l'époque. Et bien entendu, comme dans tous ces montages, c'est l'OPH qui portait le risque final."

Rédigé par Garance Colbert le Lundi 5 Février 2018 à 16:06 | Lu 3466 fois