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Les peuples autochtones rejoignent l'UICN, entre exigence et méfiance


Stephen Maturen / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Stephen Maturen / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Marseille, France | AFP | lundi 06/09/2021 - Les peuples autochtones font leur entrée cette année dans l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme membres de pleins droits, avec leurs exigences, mais aussi leurs doutes et leur défiance.

Relmu Namku est une indigène mapuche argentine, jugée en 2015 pour s'être opposée à la police afin d'empêcher l'exploitation d'un gisement pétrolifère, avant d'être jugée non coupable. Malgré les difficultés liées à la pandémie du Covid-19, elle a pu voyager jusqu'à Marseille où se tient le congrès mondial de l'UICN, avec un objectif clair.

"Nous critiquons sévèrement la façon dont la préservation de la nature a été gérée pendant toutes ces années", explique-t-elle à l'AFP. "Historiquement, les aires protégées ont été créées à travers l'usurpation des territoires des communautés" autochtones.

Être membre de l'UICN, avec un groupe spécifique, "peut servir à faire pression sur nos gouvernements", ajoute Relmu Namku. 

Sa position n'est pas partagée par tous: les Navajos aux Etats-Unis ont ainsi décidé en 2019 d'acheter les mines de charbon exploitées pendant des décennies par des sociétés, sur leurs terres en Utah, en dépit des conséquences environnementales possibles. 

L'UICN rassemble des Etats, des agences gouvernementales, des ONG internationales et nationales, des agences de développement économique, des entreprises. Elle est forte de plus de 1.400 membres, appuyés par de nombreux experts. Ses avis et motions votées par ses membres tous les quatre ans font donc référence dans le monde de la protection de la nature.

"Nous sommes des peuples"

L'entrée des peuples autochtones est le résultat d'un long processus semé d'embûches, selon des sources intérieures et extérieures à l'organisation.

"Ils nous ont invités (pendant des années), mais les peuples indigènes ne se considèrent pas comme des organisations de protection de la nature", raconte à l'AFP Victoria Tauli-Corpuz, ancienne rapporteure spéciale sur les droits des peuples autochtones à l'ONU.

"Nous sommes des nations, nous sommes des peuples", s'exclame cette responsable autochtone philippine. "De plus, les droits d'entrée sont tellement élevés pour nous. D'où pensent-ils que les peuples autochtones tirent leur argent?"

Les cotisations à l'UICN varient de 300 francs suisses (276 euros) jusqu'à 20.000 francs suisses (18.500 euros) annuellement, selon des critères précis, notamment de revenus.

"Depuis les années 1980, des groupes autochtones ont été membres de l'UICN, les Inuits ont fait partie des premiers", se souvient Enrique Lahmann, responsable de l'organisation du congrès à Marseille.

Mais ils ne possédaient pas de groupe spécifique. Et la discussion sur le sujet a duré des années, discrètement, jusqu'à ce que soit décidé de leur donner une catégorie propre au sein des membres de l'UICN.

Défiance mutuelle

Les peuples autochtones auront leur propre voix. Mais au moment de voter, ils formeront partie du collège des organisations non gouvernementales.

A cause du Covid, à peine une vingtaine d'activistes autochtones ont pu venir à Marseille. Avec la volonté de se faire entendre.

Leur demande principale? Que 80% de l'Amazonie soit protégée d'ici 2025. Une motion en ce sens a été déposée dimanche en procédure d'urgence. Elle réclame un "plan d'action global" pour mettre fin à la déforestation et à l'extraction minière, dans cette forêt vitale pour l'équilibre biologique de la Terre par son action de stockage du CO2 notamment.

Le chemin est encore long pour rapprocher le monde de la protection de la nature, éminemment scientifique, et celui des indigènes, traditionnel, et éliminer peu à peu les défiances mutuelles.

Il y a "une réticence des communautés à partager leurs connaissances et une réticence aussi des scientifiques (...) à cause de la fiabilité" des savoirs traditionnels, constate Aissatou Dicko, représentant indigène du Burkina Faso.

"Cela n'a pas de sens que des consultants, des entreprises, viennent enseigner aux indigènes ce qu'ils doivent faire pour protéger (la nature), c'est ce que nous faisons depuis toujours", estime José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien.

le Lundi 6 Septembre 2021 à 03:23 | Lu 177 fois