Tahiti Infos

Les laiteries locales accusent le coup, après l'annonce de l'ouverture des importations de yaourts


Le prix des yaourts Sachet n'a pas augmenté depuis 2012. Crédit photo : Thibault Segalard.
Le prix des yaourts Sachet n'a pas augmenté depuis 2012. Crédit photo : Thibault Segalard.
Tahiti, le 11 avril 2023 – Réveil difficile, ce jeudi, pour les laiteries locales. Le gouvernement a acté en conseil des ministres l'ouverture des importations de yaourts de toutes provenances. Une décision prise, encore une fois, sans concertation des acteurs polynésiens du secteur, et qui a notamment fait bondir le directeur de Sachet, Xavier Fondecave.
 
La décision actée ce mercredi en conseil des ministres, d'autoriser l'importation des yaourts de toutes provenances, jusque-là autorisée simplement aux produits lactés issus de l'Union européenne, a fait bondir les laiteries locales. En effet, une fois de plus, le gouvernement n'a pas jugé bon de contacter les laiteries Sachet et Roche, les deux producteurs implantés au Fenua, avant de prendre un arrêté pouvant avoir des conséquences délétères sur l'industrie locale, déjà émoussée par l'augmentation du coût des matières premières et du fret maritime.
 
Chez Sachet, le directeur, Xavier Fondecave n'a pas tourné autour du pot (de yaourt) ce jeudi affirmant ainsi être “effaré” et “consterné” par la décision du gouvernement. “On a eu aucun contact avec l'administration, on ne nous a pas demandé s'il y aurait des incidences sur notre activité... Car si cette réglementation existe depuis 1987 [loi autorisant uniquement l'importation de yaourt en provenance de l'Union européenne, NDLR] et qu'elle n'a jamais été supprimée, c'est qu'il y a une bonne raison”, s’indigne-t-il. “Que le politique prenne des décisions en connaissance de cause, d'accord ; mais là il n'y a pas de connaissance de cause justement. Là, ça menace et ça ne va vraiment pas dans le sens de la production et de l'emploi local.” Du côté de la laiterie Roche, on regrette également cette non-concertation et on prédit des futures pertes de parts de marché. “On espère que ce sera bien des yaourts et non des produits lactés qui seront importés”, redoute la direction de la laiterie de Papara, qui est sur la même longueur d'onde que son concurrent de Arue : “Ça ne favorise vraiment pas l'emploi local, c'est dommage.”
 
Du petit lait pour les importateurs
 
Si cette décision a été justifiée dans le compte rendu du conseil des ministres par la possibilité “d'offrir aux consommateurs des prix qui devraient être plus abordables”, ce choix pourrait également arranger les importateurs, qui auront une capacité de marges plus importantes qu'avec les yaourts actuellement importés de l’UE. “Il faut déjà savoir que sur les yaourts, il n'y a pas de TDL, la Taxe de développement locale, qui peut s’élever jusqu’à 82% pour certains produits comme la bière. Ensuite, nous limitons la marge sur nos produits à 20%. On a un prix de vente conseillé. Pour les yaourts en provenance de l'étranger, la marge, elle, est beaucoup plus grande, et donc plus rentable pour les importateurs”, explique Xavier Fondecave, dans les locaux de son usine à Arue, vraiment inquiet pour l'avenir de son activité. “Les marques importées arriveront peu chères, car leurs usines sont bien plus productives que la nôtre. Ces produits seront ensuite certainement vendus par les importateurs à un prix légèrement moins élevé que les nôtres au départ, pour casser notre business, avant de les augmenter après. Et nous n'avons aucune subvention.”
 
D'autant que Sachet n'a pas monté ses prix depuis 2012, réussissant à assumer sur ses marges l'augmentation des coûts de production de ces dernières années. “On est dans le respect des consommateurs en leur offrant des yaourts de qualité et accessibles. On a absorbé ça pour maintenir nos prix.”
 
Fin du régime chez les yaourts
 
Ce qui interroge également les professionnels du secteur, c'est bien les normes de production avec lesquelles les futurs produits importés auront été fabriqués. Car, si en Europe, la réglementation est drastique, elle l'est beaucoup moins aux États-Unis ou en Nouvelle-Zélande par exemple, notamment au niveau des taux de sucre. Une donnée qui pose question, quant à la volonté affichée du gouvernement de mettre en place une politique publique pour lutter contre l'obésité et le surpoids, qui affole les compteurs au Fenua. “Si à l'époque, on avait restreint l'importation de ces produits, c'est qu'il y avait une raison. Nous, on respecte ces normes européennes. On a d'ailleurs baissé nos taux de sucres en 2013. On utilise des arômes naturels et on fait venir de la vraie purée de fruits de France et d'Autriche. Les produits anglo-saxons n'ont pas cette qualité, concernant les purées de fruits, chez eux, c'est 2-3 morceaux qui nagent dans du saccharose et du fructose, ce n'est pas bon”, souligne le patron de Sachet, pessimiste quant à l'avenir de son entreprise.
 

Volonté d'écrémer l'empreinte carbone

Le gouvernement a également justifié cette décision en affirmant vouloir réduire l'empreinte carbone des importations, qui est de toute évidence importante au vu du trajet des bateaux depuis l'Europe. “Lors de notre dernier bilan carbone, on a calculé qu'un yaourt Sachet représentait 8 fois moins d'émissions de gaz à effet de serre qu'un yaourt en provenance de l'UE, ce qui est normal car il est importé. Mais je ne suis pas sûr que des produits en provenance des États-Unis ou de Nouvelle-Zélande soient beaucoup moins polluants au bout du compte”, souligne à juste titre Xavier Fondecave. Avec l'ouverture du marché des yaourts, le gouvernement souhaite également étendre ses partenariats commerciaux.

Rédigé par Thibault Segalard le Jeudi 11 Avril 2024 à 17:04 | Lu 4879 fois