Tahiti Infos

Les “éveillés” parlent vaccination


Tahiti le 24 juin 2024. Jeudi dernier, le collectif des femmes de Polynésie organisait une réunion intitulée “Les vaccins, ce qu’on ne vous dit pas” à la salle Manu Iti de Paea. Les organisateurs ont soutenu pendant près de 2 heures des arguments en faveur de l’abolition de l’obligation vaccinale, du danger qu’elle représente pour les plus jeunes et du complot qui se cache derrière. Des propos durs à entendre pour des médecins.
 
“Comment tu vas ?”, lance chaleureusement l’animateur de la réunion intitulée “Les vaccins, ce qu’on ne vous dit pas” à une connaissance qui s’installe dans son siège. “Je ne savais pas que tu étais antivax, euh antisystème, euh informé”, rigole malicieusement l’homme. 19 h 15 à Paea, jeudi dernier, et la salle de Manu Iti se remplit doucement mais sûrement. Au total, un peu plus d’une trentaine de personnes sont venues assister à cette réunion, censée leur révéler les sombres secrets de la vaccination. Des vieux, des plus jeunes, un petit groupe d’enfants qui jouent et, au centre de l’attention, un “éveillé” comme il se qualifie. D’un ton sûr, intransigeant, il commence à chauffer la salle sur la vaccination Covid.
 
Les gens sont tous assis, la conférence peut commencer – le jeune animateur passe le micro à une juriste de profession, qui annonce d’une voix assurée : “Nous allons vous révéler la vérité sur les vaccins”. L’objet de la réunion, la dangerosité de la vaccination générale et en particulier pour les plus jeunes.

Démagogie et assurance

Vient un premier témoignage d’une mère polynésienne diffusé à l’écran. Puis un deuxième. Toutes deux souffrent beaucoup, car elles ont vu leurs fils devenir handicapés, à la suite d’une vaccination. Déboussolées, sans réelle preuve que la vaccination en soit à l’origine, elles se retrouvent dans les discours prononcés ce soir. “À chaque fois que je prends de ses nouvelles, je suis en larmes”, finit une des mamans en larmoyant. Leur désespoir est réellement touchant.
 
L’occasion est trop belle pour un homme assis dans la salle, qui se présente comme médecin à la retraite. Fissa, il demande le micro pour réagir : “Il faut savoir que la santé publique est un équilibre que s’impose l’État entre son confort et les dépenses – ce n’est pas la santé des gens qui l’intéresse.” Habilement, il utilise l’émoi d’un discours et d’une personne pour rebondir sur une idée, dont il assoit la pertinence en disant qu’il est médecin à la retraite. Plus tard, il rebondira encore : “Vous savez combien faut-il de temps pour devenir médecin généraliste ? Neuf ans. Vous savez combien de temps de formation sur les vaccins ont les médecins dans leur cursus ? 5 heures. Ils n’y connaissent rien.”
 
La soirée se poursuit et le débit d’informations ne faiblit pas. Les arguments, eux aussi, deviennent de plus en plus farfelus, affichant par exemple en grand que les vaccins contiennent parfois “de la cervelle de lapin ; des reins de chiens…” Ou encore qu’une bête “démoniaque, qui ne viendrait pas de ce monde, est injectée sous forme d’œufs via un vaccin” et se collerait sur nos synapses pour interagir avec la 5G. Dur de tout comprendre. La conclusion de la soirée au final, après de nombreux détours, c’est d’abolir l’obligation vaccinale surtout chez les jeunes et compter principalement sur son système immunitaire.

L’oreille des médecins

Le discours est dur à entendre pour des médecins de profession. Même habitué à ce genre de discours, c’est toujours aussi déroutant pour Nédim Al Wardi, président de l’ordre des médecins en Polynésie française. “Cette méfiance touche tout le monde, tous les continents…” Mais en Polynésie, c’est spécial rappelle-t-il, car le territoire a souffert de nombreux chocs microbiens ayant décimé sa population par le passé, époque où il n’y avait pas de vaccins. Les arguments le démangent sans doute, mais c’est fatiguant d’argumenter en boucle. “On sait quels sont les bénéfices de la vaccination. Maintenant, on ne peut pas se battre contre ces gens. Je ne veux quand même pas argumenter contre tous les gens qui pensent que la terre est plate”, ironise le docteur.
 
Le plus inquiétant au final, c’est l’augmentation des adeptes de ce discours antivaccin, et les techniques utilisées par les “éveillés” vus plus haut. “Des gens fragilisés par ce qui leur arrive, qui cherchent des explications et qu’enfin quelqu’un leur en donne (malgré l’absence de preuves, NDLR). Ils ont enfin de quoi s’accrocher, c’est humain, c’est normal. On a propagé des tas de religions de cette manière-là”, finit Nédim Al Wardi.

Pour Laureline Houssin, pédiatre, c’est aussi beaucoup de démagogie dans les discours. Exemple du prétendu tā’ote qui affirmait que les médecins ne sont pas assez formés sur la vaccination. “C’est de la démagogie, s’il veut vraiment se renseigner, il peut, il y a un tas d’opportunités dans la profession.”
 
Effarés, les deux médecins insistent une ultime fois sur l’importance de la vaccination générale, surtout chez les plus jeunes. Laureline Houssin l’explique : “C’est surtout lors de la période avant 2 ans où on est le plus à risque d’attraper les infections bactériennes ou les virus par lesquels on est protégé par les vaccins. C’est le moment où le système immunitaire a besoin le plus de protection. Et plus la proportion des enfants vaccinés dans le monde est grande, moins les maladies circuleront.” Elle continue sur le fait que des effets secondaires existent bel et bien, mais qu’ils sont minimes (comme de la fièvre prolongée avec l’injection du ROR par exemple) et sont parfaitement connus et bénins, et qu’il est largement préférable de les subir que de contracter la véritable forme de la rougeole par exemple.
 
Pour Nédim Al Wardi également, c’est très important qu’un maximum de gens se vaccinent, car c’est tout bêtement comme ça que fonctionne un vaccin. “Plus on vaccine de monde, plus on est efficace. Dès qu’on a commencé dans n’importe quel pays à diminuer le taux de vaccination, comme c’était le cas il y a deux ans aux États-Unis avec la rougeole, on voit réapparaître des maladies qui avaient disparu, il suffit qu’à un moment donné on baisse notre vigilance.”

le Lundi 24 Juin 2024 à 23:10 | Lu 4751 fois