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Les défis de la classification des sites archéologiques en Polynésie


Crédit photo : Greg Boissy.
Crédit photo : Greg Boissy.
Tahiti, le 16 janvier 2023 - En Polynésie, 5 121 sites culturels et archéologiques sont répertoriés. Cependant, la Direction de la culture et du patrimoine a classé à peine plus de 200 d'entre eux, les protégeant ainsi en vertu du code du patrimoine instauré en 2015. Une énorme disparité qui s'explique par la localisation des sites et l'absence parfois de Plan général d'aménagement, entravant les fouilles potentielles. Conscientes de cette problématique, les premières assises de l'archéologie, débutées ce mardi à Faa'a, ont d'emblée abordé cette question cruciale.
 
La Polynésie regorge de sites archéologiques et ethnologiques qui sont les témoins et les gardiens de l'histoire et de la culture mā'ohi. Chaque année, de nouveaux vestiges émergent, s'ajoutant à la longue liste des 5 121 sites culturels actuellement répertoriés par la Direction de la culture et du patrimoine (DCP). Marae, tiki, pétroglyphes et fosses de stockage, ces reliques, datant généralement d'avant l'arrivée des Européens, voire même du XIVe siècle pour les plus anciennes, constituent un précieux héritage. Une problématique justement mise en lumière lors des premières assises de l'archéologie ce mardi, par Belona Mou, archéologue à la DCP.
 
L'événement, qui s'achèvera ce jeudi, rassemble divers acteurs, du Pays ou du privé, engagés dans la préservation du patrimoine du Fenua, afin d'échanger sur différents sujets autour de l'archéologie en Polynésie et notamment sur cette question cruciale de la protection des sites polynésiens.
 
“Il est crucial de comprendre que ces sites, non classés, ne peuvent pas bénéficier d'une protection optimale (selon le code du patrimoine mis en place en 2015, NDLR). Même en tentant de les valoriser, des limites subsistent. C'est ce défi que le gouvernement et le ministère cherchent activement à relever”, explique Belona Mou. Alors que des sanctions sévères sont prévues pour la destruction d'un site classé, aucune mesure coercitive n'est actuellement en place pour les sites non classés, créant ainsi un vide juridique problématique. “Les sites, qu'ils soient classés ou non, peuvent en effet être en danger et faire face à l'indifférence générale et à l'incivilité. Nous, nous essayons justement de les protéger grâce à des mesures de protection que nous octroie le code du patrimoine”, précise-t-elle également.
 
PGA et propriété privée
 
Mais alors, une question émerge naturellement : pourquoi si peu de sites sont-ils classés par la DCP s'ils ne peuvent pas être protégés correctement ? L'une des raisons majeures réside dans la localisation de ces sites, souvent implantés sur des terrains privés dont les propriétaires rechignent à voir débarquer des archéologues pour des fouilles approfondies. Cette situation prévaut particulièrement dans les Tuamotu, où quasiment aucun site classé n'apparaît.
 
“Plutôt que d'imposer le classement d'office du terrain, notre intention est de travailler en harmonie avec les propriétaires fonciers, les incitant à valoriser ces trésors sur leurs terres”, précise Belina Mou, bien consciente du problème.
 
Un autre obstacle majeur rencontré par les équipes de la DCP dans la classification des sites réside dans l'absence de Plan général d'aménagement (PGA) dans certaines communes. En effet, la découverte d'un site nécessite la mise en place de mesures de protection, dépendant étroitement d'un PGA existant. “L'absence de PGA rend notre action limitée. Puisque selon l'importance du site, on va proposer un périmètre de protection, de 15 ou 20 mètres, qu'il faut impérativement intégrer au PGA. On transmet ensuite toutes les infos au Service de l'urbanisme dans ce sens. Ce qui engendre qu'à chaque demande de permis de construire à proximité du lieu, on a notre avis à donner. Mais sans PGA, on ne peut rien faire”, explique-t-elle, avant de rajouter, fataliste : “C'est très frustrant”. Bien sûr, l'archéologue admet également que plus de financements et de moyens humains seraient les bienvenus. “C'est le nerf de la guerre. Ça demande beaucoup de moyens et une volonté de la politique publique”.
 
“Nous sommes toujours dans l'urgence”
 
La DCP ne compte que trois archéologues, un chiffre bien faible compte tenu de l'immensité de la Polynésie. “Nous faisons également appel à trois ou quatre patentés régulièrement”, ajoute Belona Mou. “Sur le territoire, il y a également plusieurs archéologues universitaires. Mais eux, leurs fouilles sont axées sur un programme de recherche”. Et pour les archéologues de la DCP, pas le temps de faire de la recherche programmée comme leurs confrères de l'université, leur travail s'effectue presque exclusivement dans l'urgence. “Lorsque des ossements sont trouvés lors de travaux par exemple. Nous sommes toujours dans l'urgence”, détaille Belona Mou. “Nous faisons aussi de l'archéologie préventive, en amont des travaux pour récupérer des données.”
 
Cette approche est essentielle pour éviter la construction sur des sites de fouilles potentiels, qui peuvent devenir des sites classés. “Pour classer un site, il faut le connaître parfaitement. On doit connaître son état général et collecter des données tant ethnographiques qu'ethnologiques, pour évaluer son importance. On peut d'ailleurs autant classer un site en archéologie, qu'en ethnologie, même s’il y a plus d'archéologiques. Une tendance qu'on essaie d'inverser, car le patrimoine immatériel est tout aussi important que celui matériel”, conclut Belina Mou, mettant en lumière l'urgence et la complexité de la mission de préservation entreprise par la DCP.
 
Plusieurs autres sujets seront également abordés, lors de ces premières assises de l'archéologie qui se termineront jeudi, comme l'éthique et la formation ou encore la coopération régionale.
 

Rédigé par Thibault Segalard le Mardi 16 Janvier 2024 à 15:55 | Lu 1738 fois