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Les Aito à la conquête de l'e-sport


Fausto Reid-Amaru, 36 ans, fondateur et manager de l'AS E-Sport. Ce dernier est installé en métropole.
Fausto Reid-Amaru, 36 ans, fondateur et manager de l'AS E-Sport. Ce dernier est installé en métropole.
Tahiti, le 20 septembre 2021 -  Fausto Reid Amaru, 38 ans, a lancé il y a quasiment un an depuis la métropole, l'équipe de sports électroniques Aito Spirit E-Sport ou AS E-Sport. La formation rassemble aujourd'hui pas loin de 120 joueurs répartis dans six sections de jeux. Et en septembre l'AS E-Sport a franchi une étape importante dans sa jeune histoire en inaugurant sa “gaming house”, dans l'est de la France. Grâce à cette dernière, l'AS E-Sport peut désormais offrir, toute proportion gardée, un accompagnement quasi professionnel à ses meilleurs joueurs. Le fondateur et manager de l'équipe nous livre ses ambitions.

Et pourquoi finalement, en octobre 2020, vous décidez de créer votre propre équipe d'e-sport
L'objectif, avec mon frère quand on a fondé l'équipe, c'était d'offrir une nouvelle alternative à la jeunesse polynésienne et de voir flotter un jour le drapeau de Tahiti sur les plus grandes compétitions internationales de l'e-sport. On a des champions dans différentes disciplines comme le surf, les sports de combat, pourquoi pas dans l'e-sport. Ce que je veux c'est développer l'e-sport polynésien de haut-niveau. Même si les jeux vidéo souffrent encore aujourd'hui de beaucoup de préjugés,  comme par exemple “c’est néfaste pour la santé, c'est pour les fainéants, c'est une addiction, ça enferme les enfants sur eux-mêmes” et d'autres stéréotypes. Je me bats contre ça. Le jeu vidéo peut être une solution, on peut s'en sortir et on peut se professionnaliser. Évidemment ce n'est pas tout le monde qui pourra prétendre être joueur professionnel, c'est comme dans toutes les autres disciplines. Ce n'est pas tout le monde qui devient joueur professionnel de foot. On ne vend pas de rêve et on reste réaliste avec les joueurs qui nous rejoignent. 

Combien de joueurs ont rejoint votre équipe depuis sa création ? 
Il y a environ 120 joueurs qui ont rejoint l'association. On en est à six sections de jeu aujourd'hui. On est sur Apex Legend, Call of Duty Warzone, Fortnite, League of Legend, PUBG Mobile et Call of Duty Mobile. Cette dernière Cod Mobile est la section la plus importante. Un téléphone portable aujourd'hui est beaucoup plus abordable qu'une console ou un PC avec une grosse configuration, donc c'est plutôt logique que l’on ait plus de joueurs sur mobile. Et je pense que le mobile aussi c’est l’avenir de l’e-sport. 

Comment vous recrutez vos joueurs ? 
Les joueurs peuvent postuler auprès de l'équipe. J'ai des “coachs” ensuite qui gèrent le recrutement. Mais généralement c’est à 15 ou 16 ans que l’on commence à voir si un joueur a des prédispositions pour le plus haut-niveau. 

“Proposer à nos meilleurs joueurs ce qui se rapproche le plus d'une structure professionnelle”

Deux joueurs de la section Fornite de l'AS E-Sport ont inauguré le 16 septembre la “gaming house”, installée dans l'est de la France.
Deux joueurs de la section Fornite de l'AS E-Sport ont inauguré le 16 septembre la “gaming house”, installée dans l'est de la France.
Vous avez franchi une étape récemment en inaugurant, le 16 septembre, votre “gaming house”. Qu'est-ce-que cela change pour vos joueurs et pour l'AS E-Sport ? 
Grâce à cette “gaming house” on va pouvoir proposer à nos meilleurs joueurs ce qui se rapproche le plus d'une structure professionnelle. On a calqué pas mal de choses sur ces structures pros et on peut compter aussi sur quelques coachs qui suivent des formations dans des écoles d'e-sport. Le but ce n'est pas de les laisser jouer toute la journée. On leur impose un planning avec de l'entraînement sur les jeux, du repos, les repas, le sport, les briefs et débriefs et on leur propose aussi des séances de yoga pour calmer et soulager les joueurs. 

Comment se passe une journée type à la “gaming house” ? 
Par exemple on a le réveil à 9 heures, ensuite à 10 heures il y a du coaching mental. Ils enchaînent après des “rewiews” de leur partie pour voir les points positifs et négatifs. A midi c’est le repas. En début d'après-midi ils font l'analyse des parties de joueurs professionnels avec un coach. A 15 heures ils ont des parties privées et à 17 heures ils font des parties classées pour situer un peu leur niveau. Entre 18 et 19 heures ils se prennent une pause et puis ils enchaînent avec des “Cups”, des tournois, jusqu'à 1 h du matin maximum. Mais ils peuvent arrêter avant s'ils sont fatigués. 

Vous parlez de tournoi, est-ce qu'ils touchent de l'argent lors de ces parties ? 
Oui c'est ça. L'argent qu’ils gagnent en “Cup” ou sur des tournois, il le touchent sous forme de monnaie virtuelle, ou bien d'argent réel selon leur préférence. Pour les quelques joueurs mineurs qui sont dans l’équipe, je règle ça avec leurs parents. Mais pour le moment on n'a pas le statut d'équipe professionnelle, il n’y a donc pas de contrat entre l’équipe et les joueurs. On en est pour le moment au statut d'association. Même si le but prochaînement est de se approcher le plus possible d’une structure professionnelle. 

Vous pouvez compter sur un staff autour de vous ? 
Oui je me suis constitué une équipe qui travaille pour le moment bénévolement et dont les membres sont passionnés comme moi. J'ai des community managers qui s'occupent de la communication sur les réseaux sociaux. On a des content creators qui vont créer des vidéos par exemple, et on peut compter aussi sur des ambassadeurs comme Heikilea qui a une grosse communauté sur TikTok.  Vraiment mon but avec l'AS E-Sport c'est d'être reconnu et d'avoir assez de visibilité pour attirer de gros sponsors et commencer à générer des petits salaires.  

Le jeu League of Legend c'est la figure de proue de l'e-sport. Est-ce-que c'est cette section que vous cherchez à développer ? 
Le problème avec League of Legend c'est que c'est un jeu qui est déjà assez vieux et c'est très difficile quand tu es une nouvelle équipe de performer. Aujourd'hui il y a des sections de jeux qui sont émergentes. 

Sur quels jeux souhaitez-vous percer ? 
Sur Fortnite par exemple qui rapporte beaucoup d'argent. C'est un jeu en milieu d'âge même si on arrive plutôt vers la fin maintenant. Les développeurs ne savent plus trop quoi sortir et ça commence à tourner un peu en rond. Mais Fortnite c'est un jeu qui me tient à cœur parce que je me suis pas mal attaché à mes joueurs. Apex Legend émerge aussi pas mal. Pour Call of Duty et Warzone, le problème des cheaters (tricheurs) démoralise pas mal de joueurs. Et enfin notre section Cod Mobile brille pas mal sur les compétitions. On a battu par exemple en tournoi la troisième équipe française. Sur ce jeu et sur le tournoi que l'on a fait, on commence un peu à nous craindre. 

De grosses équipes d'e-sport existent déjà en Europe ou en Amérique du nord. Emmener un ou plusieurs de vos joueurs vers l'une de ces structures, ce serait déjà une victoire pour vous ? 
Evidemment si l'un de mes joueurs concrétise un contrat pro je ne le retiendrais pas. Je serais fier et content pour lui. Mais ça sera un peu à contre-cœur de les laisser partir parce que mes joueurs je veux les garder. Quand j'aurai mon champion ça fera un exemple à suivre pour les jeunes Tahitiens qui veulent se lancer dans l'e-sport. 

E-sport : Ces équipes qui pèsent des millions

Preuve de l'intérêt grandissant pour le domaine du sport électronique, en 2019, Forbes a établi le classement des équipes d'e-sport les plus riches de la planète. Dans le top 10 on retrouvait principalement des structures nord-américaines. Ex-aequo à la première place, les équipes américaines de Team SoloMid et Cloud9 avec une valeur estimée, à l'époque, à 400 millions de dollars. Sur le podium également leur compatriote de Team Liquid qui pesait aux alentours des 320 millions de dollars. Bien loin encore de ces rivaux américains, Vitality, l'une des plus importantes structures de e-sport en France, a réalisé une levée de fonds en 2019 qui s'est élevée à 14 millions d'euros. 

Comment expliquer ces valeurs astronomiques ? Le sponsoring, les revenus publicitaires et les droits de diffusion pour l'e-sport ont quasiment doublé entre 2017 et 2019 pour s'établir à 897 millions de dollars. Evidemment l'AS E-Sport en est encore loin,  mais c'est ce à quoi l’équipe tahitiennne peut prétendre dans les prochaines années. 

Quel revenu pour un “e-sportif” professionnel ?

En 2017, ESPN a réalisé un sondage auprès des 33 meilleurs joueurs européens et nord-américains de League of Legend. Ces derniers étaient notamment interrogés sur le salaire annuel qu’il touchait. En Amérique du nord ce salaire s’élevait à 105 385 dollars en moyenne. Les joueurs européens étaient moins bien lotis avec quand même un salaire annuel de 76 137 dollars. Ce salaire varie selon les équipes dans lesquelles évoluent les joueurs et les jeux sur lesquels ils sont engagés. En 2020, des rumeurs circulaient sur “Faker”, joueur Sud-coréen reconnu par la communauté comme le meilleur joueur du monde de League of Legend, qui aurait refusé une offre de 10 millions de dollars par an d’un club chinois. 

En plus du salaire, les gains en tournoi ont atteint ces dernières années des sommes mirobolantes. En 2019, l’Américain Kyle Giersdorf décrochait le titre de champion du monde sur Fortnite et empochait au passage la somme de 3 millions de dollars. Toujours sur Fortnite, selon Business Insider, le Français Alexandre Christophe avait remporté en 2020 près de 100 000 euros de gains sur les différents tournois qu’il a disputé. 

Rédigé par Désiré Teivao le Lundi 20 Septembre 2021 à 05:00 | Lu 2334 fois