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Le prix du thon blanc s'envole


PAPEETE, le 5 octobre 2016 - Depuis plus de deux semaines, le prix du thon blanc a passé la barre des 2000 francs le kilo, en moyenne. Les consommateurs s'affolent, les professionnels de la pêche s'inquiètent.

Le soleil disparaît sous les nuages. En ce mercredi matin au port de pêche de Papeete, le ciel devient menaçant. Les bateaux sont à quai. Quelques hommes sont encore à bord, certains nettoient, d'autres réparent leur outil de travail dans l'attente de repartir en mer. Une nouvelle fois, la campagne de pêche n'a pas été bonne.

Voilà plusieurs semaines que les poissons du large se font rares. "Nous ne sommes rentrés qu'avec une dizaine de thons, à peine. D'habitude, nous en avons plus de 50", regrette l'un des pêcheurs, qui travaillent sur les thoniers depuis deux ans. Derrière lui, ses collègues acquiescent.

A quelques mètres de là, les employés d'Ocean Products s'affairent à la tâche. Pesage, découpage, emballage, le thon est préparé pour les particuliers, les grandes surfaces, les snacks et roulottes. Tout est ordonné et calibré, comme d'habitude, ou presque. Depuis deux semaines, l'entreprise traite moins de poissons. Le prix du thon blanc a doublé et arrive au même niveau que ceux du mahi mahi ou du meka. Devant le grand tableau blanc où sont inscrites les commandes du jour, le gérant souffle en pointant du doigt le prix du thon. "C'est la première fois que je vois ça depuis que je travaille dans ce secteur. Certains poissons sont chers mais le thon blanc, lui, reste d'habitude raisonnable. Là, les prix sont devenus fous…"

A la criée le matin, les prix grimpent en flèche. Le peu de ressource part en 20 minutes, montre en main. "Il y a moins de prises mais les charges pour les pêcheurs restent les mêmes. Le gazole ou les appâts restent au même prix et nous avons besoin de chiffre d'affaires pour compenser le coût de ces charges…", explique Yann Ching, directeur général de Vini Vini, producteur, mareyeur et exportateur. En temps normal, le prix du thon blanc à la criée est aux alentours de 500 francs le kilo. La semaine dernière, il est monté jusqu'à 1200 francs. "C'est la première fois que l'on vend le poisson aussi cher", raconte un armateur de la place. "Nous le vendons trop cher, mais nous sommes obligés car il n'y en a pas…"

UNE CRISE À VENIR?

Comme chaque année, la période entre septembre et octobre est mauvaise. Ce n'est souvent qu'un cap difficile à passer. Avec le phénomène climatique "el Nino" (lire ci-dessous), le poisson déserte les eaux polynésiennes ou descend plus en profondeur. "Nous le savons, il y a toujours une petite période qui est mauvaise entre septembre et octobre, mais d'habitude, ce n'est pas à ce point là. Aujourd'hui, nous sommes inquiets, nous avons peur que la crise revienne, comme en 2003…", reprend le directeur général de Vini Vini.

Les grosses entreprises comme les plus petites redoutent le pire. Du côté de Fenua fish, les chambres froides sont vides. Seule une carcasse de poisson est accrochée. Dans les meilleurs jours, ce sont des dizaines de thons qui pendent, dans l'attente d'être découpés puis expédiés. Christophe Misselis, gérant de la société, regrette : "Là, on dit que la ressource est dispersée. Cela est dû aux conditions el Nino mais pas seulement, il doit y avoir d'autres indices climatiques. J'espère que cela ne va pas durer comme en 2004 car sinon, la période va être très compliquée pour nous, les petites structures."

Il n'y a pas que les professionnels de la pêche qui grincent des dents. Dans les allées du marché et des grandes surfaces, les consommateurs aussi accusent le coup. "Quelle galère! Il est très cher le thon en ce moment, je ne sais pas comme je vais faire manger du poisson cru à ma petite famille", lâche une maman avant de se diriger vers le rayon boucherie. Le prix au kilo de viande rouge néo-zélandaise est largement en dessous de celui du thon blanc, produit de première nécessité. Dans les restaurants, roulottes et snacks, l'impact du manque de pêche se ressent aussi. Certains professionnels de la restauration n'alimentent plus leur stock. La plupart des consommateurs tentent de relativiser. "Le thon va revenir et on pourra à nouveau manger du poisson cru au lait de coco le dimanche", sourit un retraité.

Sur le port de pêche de Papeete aussi, les gens préfèrent garder le sourire. "Peut-être que nous nous alarmons pour rien et que le poisson va revenir", lance avec un brin d'espoir Yann Ching. Depuis la crise, le secteur de la pêche était reparti sur une bonne dynamique. Pour les professionnels du secteur, gros ou petits, comme pour les consommateurs, il serait dommage que le ciel s'assombrisse trop longtemps.

Qu'est-ce que "El Nino"?

Victoire Laurent, météorologue à Météo France, résume le phénomène climatique El Nino en quelques mots : "El Nino est une anomalie climatique qui touche l'atmosphère et les océans. Il s'agit d'un réchauffement des surfaces océaniques et parfois des profondeurs. Cela joue aussi sur l'atmosphère qui se dérègle à son tour. A l'heure actuelle, nous ne sommes plus en période El Nino. Nous sommes dans une période normale avec un retour des conditions climatiques à la normale depuis le début de la saison fraîche."

Le thon blanc, un produit de première nécessité

Yann Ching, directeur général de Vini Vini.
Yann Ching, directeur général de Vini Vini.
- Qu'est-ce qu'un PPN? Le thon blanc est un produit classé dans la catégorie de produit de première nécessité (PPN). Cette notion est apparue pour la première fois en 1978. En fixant des prix ou des marges maximum, ce dispositif a pour objectif de garantir aux familles à faibles revenus, l'accès à des produits de consommation courante (alimentaires et non alimentaires).

- Comment fonctionne le dispositif? Le thon blanc est sur cette liste des PPN depuis 2007. Le PPN est un produit qui n'est pas taxé. Il est "exonéré" de droits, de taxes y compris de TVA. Sa marge maximale de commercialisation est généralement fixée en valeur. Pour le thon blanc, celle-ci s'élève à 200 francs par kilo. "Le produit PPN est encadré chez le mareyeur et l'armateur, par chez le pêcheur. Et heureusement, car si non, demain, les pêcheurs n'iraient plus pêcher…", commente Yann Ching, directeur général de Vini Vini.

- Quel impact sur les prix? A l'heure actuelle, le thon blanc est acheté aux alentours de 1500 francs le kilo. Sur cette base, les mareyeurs appliquent un coefficient de perte de 1,8 pour obtenir leur prix de revente. C'est à ce prix de revente qu'ils appliquent leur marge de 200 francs. C'est pour cette raison que le prix du thon blanc, au kilo, avoisine les 3000 francs en ce moment. "Les tarifs sont chers en ce moment mais la criée est ouverte à tous. Nous n'avons rien à cacher", se défend le patron de la société.

"Il faut à tout prix enlever le PPN"

Christophe Pisselis, gérant de la société Fenua fish.
Christophe Pisselis, gérant de la société Fenua fish.
Christophe Misselis, de la société Fenua Fish, estime qu'il faut retirer le thon blanc de la catégorie PPN. "Quand on achète un thon blanc à 1500, on le vend à la sortie de nos frigos à quasiment 2800 et là-dessus je ne prends que 200 francs de marge, ce n'est pas beaucoup. Il faut à tout prix enlever le PPN, cela ne veut pas dire que les prix vont grimper en flèche mais nous allons pouvoir mieux le travailler comme le thon rouge. Il ne faut pas croire qu'on cherche à vendre très cher à tous prix parce que ça ne passe plus auprès de nos clients. Si nous ne sommes plus PPN, nous allons faire plusieurs catégories de qualité, mieux vendre le thon blanc rosé, vendre un peu moins cher le thon à d'autres périodes de l'année…Cela va nous permettre de travailler normalement. Les marges contrôlées sont une aberration."

Rédigé par Amelie David le Mercredi 5 Octobre 2016 à 17:03 | Lu 6179 fois