Tahiti Infos

Le courrier à domicile : La solution ?


Tahiti, le 25 février 2021 - En plus d'une hausse des tarifs d'affranchissement, Fare Rata a décidé d'être moins tolérante envers ses clients de boîte postale avec une application plus stricte de la redevance à acquitter pour tout destinataire supplémentaire. Un changement de politique qui a fait réagir l'association Te Tia Ara qui a déposé un référé au tribunal administratif. La livraison en boîte postale n'est pourtant, en théorie, pas une fatalité.
 
La mesure avait fait réagir. Si le tribunal des réseaux sociaux s'était vite saisi de l'affaire, la juridiction administrative, seule compétente pour apprécier la légalité de la décision de Fare Rata, se penchera sur le sujet le lundi 1er mars. L'association de protection de consommateurs Te Tia Ara a en effet saisi le tribunal administratif de Papeete afin de "suspendre l'exécution de la décision de la SAS Fare Rata d'imposer à compter du 1er janvier 2021 une redevance supplémentaire à la redevance d'abonnement à la boîte postale de l'usager". Du côté de l'opérateur, on a vite rappelé que la règle de base, "c'est que la boîte postale est une boîte individuelle" et que pour tout destinataire supplémentaire, il fallait débourser 500 Fcfp de plus annuellement et ce alors que l'offre de l'opérateur est insuffisante. Au 1er janvier 2019, il était en effet dénombré 54 881 boîtes postales attribuées. Le chiffre, en légère hausse de 1,6% par rapport à 2018, est à comparer aux 76 800 logements recensés en Polynésie dont 57 300 sur les seules îles du Vent. Indépendamment des besoins des entreprises, il ne peut donc y avoir de BP pour tous les ménages. Ces derniers vont devoir supporter une charge supplémentaire après avoir subi une forte augmentation du prix du timbre.
 
Hausse du timbre, stagnation du service
 
En septembre dernier, le conseil des ministres avait approuvé une délibération du conseil d'administration de Fare Rata conduisant à une hausse progressive mais substantielle du prix du timbre. Inchangé depuis novembre 2015, le tarif d'affranchissement de la lettre de moins de 20 grammes passait ainsi de 80 à 90 Fcfp en 2020, puis à 110 Fcfp en 2021 puis 130 Fcfp pour 2022. Une augmentation de 62,5% sur trois ans justifiée par le gouvernement dans son communiqué par les contraintes particulières d'acheminement et de distribution en Polynésie mais également "la concurrence sur le secteur du colis rapide" et à "une forte tendance au développement du courrier électronique, avec également des nouveaux modes et moyens de correspondance et d'échange tirés des nouvelles technologies de la communication". Victimes de la concurrence des courriels et des transporteurs express comme DHL, UPS ou Fedex, l'OPT décidait d'augmenter ses prix pour être compétitif.
 
Les hausses ainsi actées sont souvent légitimées par une évolution identique en métropole. En 2015, le conseil des ministres précisait ainsi qu'"à titre de comparaison, le même service fourni par La Poste métropolitaine, est de 90,7 Fcfp et sera porté à 95,5 Fcfp au 1er janvier 2016". Or, la distribution postale est assurée en métropole au domicile de l'usager qui n'a pas à s'acquitter de la location d'une boîte postale pour bénéficier du service. Il sera donc possible de parler de "même service" lorsque la livraison à domicile sera réalisée par l'opérateur ayant le monopole postal. Ce qui est en droit déjà le cas.
 
La livraison à domicile, c'est possible
 
Le paiement d'une boîte postale n'est en effet pas une fatalité pour les ménages polynésiens. Le code des postes prévoit en effet que "la distribution postale est effectuée soit au bureau de poste, soit à domicile" et qu'elle "peut aussi être effectuée dans des boîtes installées par l'exploitant public sur le domaine public ou sur des propriétés privées, ou dans des points postaux". Le choix est donc possible et la livraison en boîte postale peut presque être considérée en dernier ressort. Un état de fait confirmé par Benjamin Teihotu, président de Fare Rata. Il admettait lui-même en août dernier dans les colonnes de La Dépêche que la boîte postale est une "solution palliative à la distribution à domicile". Un palliatif qui a la vie dure même si les règles pour implanter sa propre boîte aux lettres à côté de son habitation avaient été précisées il y a cinq ans. Car en réalité, cette installation est une obligation pour toutes les nouvelles habitations, immeubles comme maisons individuelles, depuis un arrêté de mai 2016. Il y est en effet précisé que "pour leur desserte postale, tous les immeubles doivent être pourvus de boîtes aux lettres à raison d'une boîte aux lettres par logement ou local professionnel". Cet équipement obligatoire est à la charge des propriétaires.
 
Un achat à considérer mais un petit équipement vite rentabilisé par rapport à la location d'une boîte postale sur plusieurs années et les frais de transport nombreux pour aller vider le contenu de sa petite boîte métallique numérotée. Vite amortie, la boîte aux lettres à domicile a un autre avantage : vous pouvez y faire figurer les noms de toutes les personnes hébergées et susceptibles de recevoir du courrier. Une facilité gratuite également à comparer aux 500 francs à verser annuellement à l'OPT pour l'ajout de destinataire supplémentaire au souscripteur de la boîte postale.
 
L'OPT est en effet juridiquement tenu de "distribuer les objets de correspondance qui lui ont été confiés, à l'adresse indiquée par l'expéditeur", sauf en cas d'impossibilité de remise ou de danger. Dans ces cas, les objets postaux sont alors "mis en instance au bureau de poste le plus proche". Des exigences de sécurité somme toute légitime, le travail du postier n'est pas un jeu de piste à faire entre pitbulls et nids de poule. Mais la plupart des immeubles collectifs récents pourvus d'un local dédié répondent déjà aux exigences de la réglementation. La distribution d'un courrier à une adresse géographique clairement identifiée devrait, en théorie, être assurée. Mais peu confiants dans la possibilité de voir arriver leur courrier près de leur porte, certains copropriétaires réfléchissent à revendre leur boîte, une fois le certificat de conformité obtenu, à des immeubles en construction.
 
Boîtes aux lettres, la galère
 
Pour l'usager, la distribution à son domicile, pourtant prévue légalement, n'est pas évidente à mettre en œuvre d'autant que le format n'est pas libre. Finis les tubes en PVC ou autres nichettes faites en bois de récupération installés à la va-vite sur le portail. Le code de l'aménagement a normalisé ce qui pourrait faire l'objet de tant de fantaisies. Le texte précise en effet que les dimensions extérieures minimales des boîtes aux lettres "doivent être de 210 X 310 X 80 mm" et qu'elle doit comporter "une fente munie d'un clapet d'étanchéité, et dont les dimensions minimales sont de 190 mm X 30 mm". À cela s'ajoute l'obligation de positionner la fente entre 0,80 m et 1,80 m du sol. Un cahier des charges strict dans lequel pas n'importe quelle boîte peut rentrer mais qui permettrait à un fournisseur de s'approvisionner à moindre frais sans avoir à multiplier les commandes de modèles variés. Un marché donc intéressant à exploiter depuis cet arrêté de 2016 mais dans lequel peu se sont engouffrés. Le principal intéressé, l'OPT, n'a ainsi pas développé cette activité pourtant en lien avec le service postal et favorisant son trafic. Interrogé, l'opérateur en monopole a indiqué que "Fare Rata ne commercialise pas de boîtes aux lettres" tout en invitant à "se renseigner auprès des quincailleries de la place pour connaître leur offre en la matière". Quelques quincailleries proposent ainsi certains modèles aux normes dont les prix s'échelonnent entre 5 000 et 10 000 Fcfp pièce. Soit des montants équivalents à deux et quatre années de location de boîte postale. Un petit investissement qui peut donc rapporter aux consommateurs mais également aux communes.
 
Les communes pénalisées
 
Depuis plusieurs années, des communes polynésiennes se sont lancées dans des opérations d'adressage sur leur territoire. Punaauia et Paea ont ainsi initié ces démarches relativement coûteuses et bénéficiant partiellement de financements publics. D'autres communes vont suivre le pas. Il s'agit de trouver un nom aux routes et servitudes et numéroter les habitations. Les petites plaques chiffrées ont ainsi fleuri à côté des portails mais l'initiative n'est pas qu'esthétique. L'adressage répond en effet à plusieurs objectifs. Sous couvert de facilitation de la mise en œuvre des secours en cas de problème, l'adressage a aussi et surtout un aspect financier. Pour recouvrer les recettes liées notamment à la collecte des déchets ou à la distribution de l'eau, les communes doivent disposer des coordonnées précises pour pouvoir facturer. Des coordonnées qui sont, soit une adresse de boîte postale correcte à laquelle le courrier peut arriver au destinataire, soit une adresse géographique précise permettant de le localiser.
 
Or, si le nom du titulaire de la boîte postale ne correspond pas au nom du redevable sur la facture communale, le courrier ne sera donc pas distribué par Fare Rata. Une aubaine pour les redevables mais moins pour les communes. Des milliers de factures d'eau ou de déchets vont ainsi, si l'OPT se montre moins tolérante dans la distribution, faire l'objet d'un "retour à l'envoyeur" alors que les modalités de livraison à domicile ne sont pas encore opérationnelles. Les communes polynésiennes vont ainsi perdre quelques dizaines de millions de francs dans un contexte financier déjà plus que tendu avec la contraction prévue du Fonds intercommunal de péréquation. Petite boîte mais donc grande conséquence.
 

Rédigé par Sébastien Petit le Vendredi 26 Février 2021 à 16:11 | Lu 7235 fois